Un de nos lecteurs, Sirath Chum, réagit aux accusations lancées par l’ancien premier ministre Hun Sen contre le père de l’opposant en exil (et chroniqueur de Gavroche) Sam Rainsy
Me permettriez vous d’évoquer cette affaire dans le contexte de l’époque ?
Il se trouve qu’en 1958, lorsque l’affaire Sam Sary éclata, j’étais élève en classe de première du Lycée Descartes (Lycée français) de Phnom Penh.
En plus de la diffusion d’articles, lettres, documents y relatifs à la radio d’état, il y avait des affiches publiques en ville représentant un chien errant dont la tête était celle de Sam Sary. Les hauts personnages de l’état rivalisaient de volupté oratoire dans la condamnation des agissements de l’ambassadeur Khmer en Grande Bretagne.
Ce fut l’époque où le culte de personnalité de Norodom Sihanouk qualifié par le journal en langue française « La Dépêche » dirigé par le premier ministre Sim Var, d’homme providentiel, battait son plein. Au lycée Descartes, des élèves aidés par leurs professeurs publiaient un bulletin hebdomadaire d’information appelé « le crapaud-buffle » et dont j’étais le responsable de publication.
Ce fut dans ce cadre que nos professeurs français nous apprenaient discrètement à avoir le sens critique et à savoir lire entre les lignes les informations diffusées. « L’affaire était certes infamante pour le pays, nous expliquaient-ils, mais il fallait aussi voir en filigrane la rivalité entre les différents clans du parti unique au pouvoir, le Sangkum ».
On apprenait à distinguer entre des actes de trahison à la patrie (exemples de Pétain, Laval etc.) et les fautes dans l’exercice de la fonction et/ou celles de comportement. Ce fut l’époque où il fallait faire semblant, surtout en public, d’être très intéressé par les discours interminables de MONSEIGNEUR (le titre officiel de Sihanouk) diffusés et rediffusés à longueur de journée par la seule radio existante, celle du ministère de l’information. Plus tard dans la vie, ayant lu « l’archipel du goulag » de Soljenytsine je me souvenais de cette époque.
En effet, dans ce livre, l’écrivain russe racontait avoir rencontré un prisonnier du goulag dont le crime était de s’arrêter d’applaudir le premier lors d’un discours interminable de Staline.
Je suis reconnaissant à mes professeurs français de l’époque qui se considéraient en mission de non seulement enseigner les matières au programme du baccalauréat mais aussi d’inculquer à leurs élèves le sens de la nuance. Cette capacité de douter m’a permis plus tard de rester en vie pendant la période des Khmers rouges.
Rétrospectivement, la pensée unique, le culte de personnalité d’alors et ceux d’aujourd’hui sont similaires : l’histoire est un éternel recommencement.
Bien à vous
Sirath Chum
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