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GAVROCHE – LU EN 2019: La retraite en Thaïlande, notre article «best-seller» de 2011 !

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 31/12/2019
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Vous avez bien lu. En 2019, soit neuf ans après sa première publication en….2010, cet article de notre consœur Olivia Corre a de nouveau fait le plein des suffrages et des clics de nos lecteurs. Nous avons donc décidé de le republier tel quel. L’occasion exceptionnelle de vous demander, amis lecteurs, de nous aider à réactualiser les situations évoquées par la journaliste dans ce texte d’anthologie. La retraite en 2019 en Thaïlande, mieux ou moins bien qu’en 2011 ?

 

Publication originale: Janvier 2011. Un article de Olivia Corre

 

Décider de passer sa retraite au soleil n’est pas toujours synonyme de sinécure. Des débuts tout beaux tout roses laissent bien souvent place aux désillusions. Partir en vacances dans un pays est une chose, y résider en est une autre. Enquête.

 

20 juin 2010

 

TF1 diffuse un reportage sur deux couples de Français ayant fait le choix de s’expatrier en Thaïlande pour profiter de leurs vieux jours. Guy et Chantal, originaires de Metz, semblent revivre. Madame va au marché acheter des calamars, Monsieur a perdu cinq kilos en deux mois, et ils s’apprêtent à louer la maison de leur rêve pour seulement 300 euros. Bernard et Emmanuelle, eux, se sont offert une magnifique villa de cinq chambres sur les hauteurs de Koh Samui.

 

Une vie, là encore, idyllique. La croisière s’amuse. Tous sur la pétrolette en direction du monde merveilleux de Oui-Oui. Mais derrière ce décor de carton-pâte pensé pour la télévision, la réalité est souvent tout autre. S’il est vrai que le coût de la vie n’a rien de semblable à celui en vigueur côté français, prendre sa retraite en Thaïlande n’en est pas pour autant gratuit. Et, malheureusement, les débuts si enchanteurs laissent bien souvent place aux désillusions et à l’isolement.

 

Faire croire que l’expatriation est une chose facile n’est pas honnête. Il faut s’accrocher, et j’ai déjà vu beaucoup de gens craquer avant de repartir pour la France », s’insurge Annie. « Il faut aussi arrêter de mentir aux gens en leur disant que l’on vit ici comme des rois avec une retraite équivalente à un Smic : ce n’est pas vrai. Vivre à l’européenne en Thaïlande coûte cher, et 65 000 bahts ne suffisent absolument pas. »

 

Le faible coût de la vie se place en tête du Top 10 des motivations invoquées par les retraités pour justifier leur départ. Mais, une fois sur place, la réalité est tout autre, et l’on est souvent loin du jackpot visé. « Il faut au moins 2 300 euros par mois pour vivre correctement ici », confirme Jean-Paul Bareaud, installé à Chiang Mai depuis sept ans. Un montant auquel il est loin de pouvoir prétendre. Après avoir passé 35 ans au centre de tri postal d’Angers, de nuit, il avait envie d’un peu plus de confort. Mais, avec ses 1 350 euros de retraite mensuelle, Jean-Paul doit se contenter d’un petit studio situé en banlieue. « Mais le coin est tranquille, et toujours mieux que ce que j’avais en France », précise-t-il.

 

Avant de s’expatrier, Jean-Paul logeait dans un foyer Sonacotra, victime d’un plan de surendettement un peu trop lourd à porter. Mais, ici, l’homme ne mène pas plus grand train. Une fois son loyer et les dépenses courantes réglées, le sexagénaire n’a plus de grande marge de manœuvre pour s’adonner aux joies du pays. Aucune folie au programme. Son boulet de surendettement toujours au pied, il n’a pas non plus les moyens de justifier d’un revenu suffisant pour obtenir un visa retraite (voir notre dossier visas retraites), ce qui lui complique la vie.

 

Poids des démarches

 

« J’ai aussi vu beaucoup de gens se rabattre sur les pays voisins, en pensant que les choses seraient financièrement plus faciles ailleurs », constate Thomas Baude, consul honoraire de la ville. « C’est vrai que, nous aussi, nous avons envisagé cette solution », raconte Jean-Michel Lafarge, également installé aux abords de Chiang Mai avec son épouse Cathy. Ils ont déjà songé au Cambodge, le Laos étant encore trop peu développé pour qu’ils envisagent de s’y sentir vraiment bien. « Et puis, c’est vrai qu’avec tous les micmacs que demande l’obtention de visas en Thaïlande, on se sent un peu pris en otage parfois, ajoute Jean-Michel, c’est peut-être l’un des rares défauts du pays », lance-t-il.

 

Un avis partagé par l’ensemble des retraités rencontrés. Tous accordent leurs violons pour dire haut et clair que toutes ces formalités administratives sont franchement casse-pieds. « Il faut toujours des papiers, des papiers, et encore des papiers. C’est sans fin », grogne André, en attendant son tour devant le consulat. « Beaucoup de retraités se sentent un peu perdus face aux exigences du Bureau d’immigration. Et, comme les lois changent régulièrement, ils n’y comprennent plus grand chose au final », explique le consul. « Tout ça est vraiment pesant à la longue », confirme un retraité qui souhaite rester anonyme. « Au début, on s’énerve facilement. Mais bon, après, on se rend aussi vite compte que l’administration thaïlandaise n’est pas aussi rigide qu’il n’y paraît. On peut s’arranger. A condition, bien sûr, de savoir être un peu généreux avec l’agent en charge du coup de tampon», dit Annie, la blogueuse de Koh Samui.

 

Moins de contraintes

 

Une « flexibilité » toute thaïlandaise qui ne s’arrête pas seulement aux frontières des services de l’Immigration. Cela pourrait en énerver plus d’un. Mais, bizarrement, le fait qu’il soit plus facile de négocier avec la police et les lois ne semble pas déplaire à nos tempes grisonnantes. « Tout est plus simple ici, car il y a moins d’interdits, et ceux qui existent peuvent être transgressés sans grandes conséquences », soutient Jean-Pierre, un ancien croupier qui « regrette la France de Voltaire, et non celle de Sarkozy ». Retrouver la possibilité de pouvoir chevaucher sa mobylette sans casque semble faire l’unanimité. « J’ai eu un contrôle fiscal ici, ça a été une vraie partie de plaisir », raconte Christian, un retraité ayant monté une entreprise près de Chiang Mai. Un engouement libertaire qui n’en est pas moins déstabilisant au départ, comme un paquet d’autres petites choses d’ailleurs. « S’installer ici n’a rien à voir avec une expatriation en Angleterre ou en Espagne. Toutes les bases culturelles sont différentes », souligne Arlette Vouland, proviseur à la retraite d’origine Corse, installée à Bangkok depuis huit ans. « Il faut vraiment être solide », ajoute cette femme à poigne.

 

Comme éléments perturbateurs souvent cités, la conduite à gauche, le poids de la religion et les nombreux tabous. Mais aussi, et surtout, la façon de vivre des Thaïlandais. Notamment en termes du peu d’anticipation financière dont ils font souvent preuve, chose difficile à admettre pour des Européens à qui l’on a appris à compter avant de parler. Mais aussi le manque d’initiative individuelle, qui revient sur bon nombre de lèvres. « Pour moi, c’est une chose logique quand on sait qu’à l’école les enfants ne sont pas du tout encouragés à penser par eux-mêmes. Priorité est faite au bachotage », constate l’ancienne prof de lettres.

 

Gouffre culturel

 

« Il faut aussi apprendre à ne pas blesser les gens. On peut tout dire, mais il faut un peu l’édulcorer car, ici, la susceptibilité est à fleur de peau », affirme Arlette. Sûrement l’un des paris les plus difficiles à relever, si l’on se fie à l’avis général. « Il faut aussi savoir accepter que les Thaïlandais aient une philosophie différente de la nôtre », ajoute Louis, qui habite Udon Thani depuis déjà quinze ans. Difficile aussi de s’accorder sur ce qui relève de l’humour. « On se rend vite compte que l’on ne rit pas des mêmes choses, mais aussi que les centres d’intérêt ne sont pas les mêmes », explique Annie Fratoni.

 

Selon elle, s’intégrer serait même une mission impossible. Comme Annie, beaucoup de retraités ont conscience que, aussi débrouillards soient-ils, ils seront toujours considérés comme des étrangers. Sans parler, bien sûr, du dialecte local. « Il est simple de s’en sortir pour baragouiner en thaï ce que l’on veut sur un menu ou au marché, mais dès qu’il s’agit de conversation plus poussée, ça devient très compliqué », note l’habitante de Samui. « C’est une langue particulièrement difficile à apprendre, même pour ceux qui vivent en couple avec une Thaïlandaise », ajoute-t-elle. Si le mariage mixte suffisait à faire des retraités francophones des polyglottes, cela se saurait.

 

Pourtant, bien peu nombreux sont ceux qui, comme Arlette, font l’effort de prendre quelques cours pour tenter d’améliorer un peu leur vocabulaire. « Peu de gens parlent l’anglais dans les coins comme ici, alors je me repose beaucoup sur ma femme thaïlandaise pour parvenir à communiquer. Cela demande beaucoup de modestie et de patience », avoue Jean-Pierre, un suisse installé à Udon Thani. Si lui a la chance de maîtriser la langue de Shakespeare, c’est loin d’être le cas de la majorité des seniors français. Beaucoup se réunissent donc régulièrement pour faire un brin de causette. Intégration zéro.

 

Refaire sa vie

 

Sans tomber pour autant dans la caricature, rien ne sert de cacher qu’un grand nombre de messieurs aux tempes grisonnantes arrivent aussi ici avec la ferme intention de refaire leur vie. « Et y arrivent plus que rapidement ! Ce n’est un secret pour personne », souligne Annie. Patrick Desrat, retraité militaire, a quitté l’Alsace pour rejoindre Udon Thani. Des histoires d’amour à vitesse grand V, il en a trop vues. C’est pourquoi il a attendu cinq ans avant de demander Nook en mariage, en janvier dernier. Une fille du « cru », de plusieurs années sa cadette, qui prend soin de lui comme personne.

 

Une perle qui sait, en plus, cuisiner la choucroute, tout en balbutiant quelques mots dans la langue de Molière. « Mais je sais que tout le monde n’a pas cette chance », dit-il. Attablés autour d’un café, lui et ses copains français en sont convaincus : il fait définitivement bon vivre ici. Pas de stress, pas d’hostilité, un pouvoir d’achat sympa, et surtout de magnifiques jeunes femmes auxquelles ils n’auraient sûrement jamais osé adresser la parole en France. Tous « recasés » avec une fille originaire des environs d’Udon Thani, ces messieurs ne pouvaient rêver meilleure fin de vie. Une seconde jeunesse aussi. Alain Philippe, lui, vient d’avoir un bébé avec sa nouvelle compagne.

 

De quoi le maintenir solidement éveillé durant les vingt prochaines années. En se mariant avec Nook, Patrick a lui aussi hérité de deux adolescents, dont il s’occupe comme s’ils étaient les siens. Aide aux devoirs, trajets jusqu’à l’école, week-end découverte en famille : des plaisirs simples qui suffisent à faire son bonheur. Mais les compères se savent chanceux. Trop souvent, le tableau tourne au cauchemar.

 

Eviter les pièges

 

« Beaucoup de retraités se croient au paradis lors de leurs arrivées. Ils se lancent alors dans des mariages ou des investissements prématurés avant de tout perdre », raconte Patrick, l’ancien militaire. Bon nombre d’entre eux se pensent alors en demi-dieux parmi les Anges, alors qu’ils ne représentent guère plus qu’un vulgaire porte-monnaie pour leur dulcinée. « Je suis l’un des premiers à être tombé dans le panneau », avoue Jean-Paul Bareaud, installé près de Chiang Mai à la suite d’un coup de foudre sur l’île de Phuket. Même en cas de situation de couple plus « saine », comme celles vécues par nos amis d’Udon Thani, les choses ne sont pas toujours aussi simples.

 

« C’est culturel ici : le plus riche paie pour les autres. Alors, forcément, on devient un peu comme une sorte de sponsor », avoue Maurice Braunshausen. Chacun d’entre eux verse donc son tribut à la famille de sa compagne – trois mille bahts à belle-maman pour l’un, 4000 pour l’autre – tous conscients de la chance qu’ils ont de subventionner une famille en Isan (Nord-est) et non à Bangkok, où la vie est beaucoup plus coûteuse. Sorties des grandes villes très urbanisées, bien peu sont les femmes de farangs prêtes à travailler pour s’assumer de façon indépendante. « Appelons un chat un chat. Pour moi, c’est un peu comme se taper sa femme de ménage, cela n’a pas grand chose à voir avec l’amour », va jusqu’à dire Annie de Koh Samui. « Tous les hommes ayant fondé un couple mixte versent entre 15 000 et 20 000 bahts d’argent de poche à leur femme tous les mois », estime Cathy, la Française de Chiang Mai. Quant aux couples franco-français arrivés ensemble ici, il n’est pas rare de voir Madame s’en retourner rapidement pour délit d’adultère du conjoint. Difficile aussi pour les femmes arrivées seules de refaire leur vie ici. « Que celles qui n’ont pas réussi à trouver chaussure à leur pied en France ne se leurrent pas : il n’y pas de marché ici », prévient Annie.

 

Rester actif

 

Amour retrouvé ou non, il est important de rester actif, ici plus qu’ailleurs. D’abord pour éviter la solitude. « La communauté française se révèle souvent bien moins solidaire que l’on aurait pu l’espérer, et il ne faut pas compter sur les Thaïlandais pour vous chouchouter comme un vacancier à qui on accorde grande attention », affirme Annie. C’est pourquoi Cathy et Jean-Michel Lafarge ont décidé de s’occuper en confectionnant charcuteries et autres cochonnailles, qui se retrouvent ensuite sur les tables des restaurateurs français de Chiang Mai. « Non seulement cela nous amuse, mais ça nous permet surtout de lutter contre l’ennui, car c’est le vide culturel ici, il n’y a pas grand-chose à faire », dit Jean- Michel. « C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de m’installer à Bangkok », souligne Arlette. « Dans cette ville, c’est sans fin, il y a toujours quelque chose à découvrir. En plus, se déplacer est si facile que j’ai une liberté que je n’aurais jamais pu avoir si j’étais restée à Marseille », dit-elle. Du coup, elle n’arrête pas une minute. Sorties organisées par l’Accueil Francophone, découverte de l’histoire culturelle du pays, musées, balade au bras de sa copine thaïe : Arlette est sur tous les coups. « C’est très important de rester curieux, de rencontrer des gens, et de s’intéresser aux racines de son pays d’adoption.

 

C’est comme cela que l’on arrive à bien vivre l’éloignement », ajoute Arlette. Même chose pour Patrick Desrat, qui sillonne la province d’Udon Thani de long en large, pour récolter les informations nécessaires à la rédaction de son guide sur l’Isan en français. Quant à Christian Mourocq, pâtissier confiturier, il approvisionne les bonnes tables de Chiang Mai grâce la petite entreprise qu’il a créée. « J’adore ça, dit-il, créer des fruits confits, aller dans la campagne pour découvrir une nouvelle plante locale à incorporer, chercher des nouvelles choses. C’est ça le secret, toujours avoir envie de chercher, que ce soit dans n’importe quel domaine ».

 

Avoir des projets semble donc être une donnée essentielle pour bien vivre l’expatriation, et non la subir. S’occuper, c’est aussi s’assurer d’être en meilleure forme physique. « La retraite n’est pas sans conséquences au plan physiologique. L’organisme sort du cadre organisé imposé auparavant par les obligations professionnelles. Cela a pour effet de déconnecter les cellules, et donc de favoriser l’apparition de cancers ou de maladies cardio-vasculaires », note Gérard Lalande, médecin.

C’est pourquoi ce praticien se rend régulièrement au sein des clubs d’expatriés pour des séances d’information à destination des seniors. « J’insiste bien évidemment sur l’importance de conserver une activité. Lire, écrire, rencontrer, et tout ce qui peut contribuer à stimuler son cerveau et maintenir sa forme physique et psychologique », souligne-t-il. Beaucoup de retraités confirment avoir déjà vu nombre d’entre eux sombrer dans l’alcool par laisser-aller ou ennui. Car, si faire face au chamboulement imposé par la retraite est déjà compliqué en France, ça l’est encore plus en contrée lointaine.

 

Anticiper les pépins

 

« Lors des réunions, je fais aussi le point sur les structures sanitaires et la législation en vigueur », précise le médecin. Bénévole pour le Samu social, il a déjà vu trop de retraités oublier de prendre leurs dispositions avant de partir et se retrouver dans l’incapacité de payer les soins, une fois arrivés. Si la France possède la Sécurité sociale, ce n’est pas le cas ici. Les soins de santé ne sont pas couverts et demeurent à la charge du patient. Alors, même si les prix sont sans commune mesure avec les tarifs pratiqués dans l’Hexagone, un accident ou une maladie grave peuvent rapidement mener à la ruine. Conscient de cela, Jean-Paul, l’ancien postier de Chiang Mai, a fait le choix d’un sacrifice financier supplémentaire en souscrivant à une assurance santé. Il y a peu, il a dû se rendre à l’hôpital pour « un abcès mal placé», dont l’ablation lui a coûté 10 000 bahts au sein d’un hôpital public. Il était alors content d’avoir su anticiper ce petit pépin de santé en contractant cette fameuse assurance, sans quoi il aurait complètement explosé son budget. « C’est pour cela qu’il est important de contacter la Caisse des Français de l’Etranger (CFE), mais aussi de prévoir une assurance rapatriement », souligne Annie de Koh Samui.

 

Aux petits soins ?

 

« Impeccable », annonce Jean-Paul en parlant de la qualité des soins qui lui ont été prodigués. Pas d’attente pour se faire opérer ou ausculter, un personnel aux petits soins, et des conditions d’hygiène comparables aux exigences européennes. Le tout à des prix défiant toute concurrence. Voilà les mérites régulièrement vantés par les têtes chenues françaises. Certaines retrouvent même ici le plaisir de se rendre à l’hôpital. Le parcours de santé aurait perdu son visage de « contrainte obligatoire ». Place au luxe, au calme et à la volupté. Oui, mais.

 

Là encore, la langue devient vite problématique. Car, même si la majorité des hôpitaux privés mettent à disposition de leurs patients des traducteurs, « on ne peut pas non plus leur demander de connaître toutes les subtilités de la langue française », constate Arlette. Cette Bangkokoise avoue qu’elle a eu un peu peur le jour où elle a entendu sa traductrice employer le mot « vêler » pour parler d’un accouchement. Elle préfère donc désormais consulter Philippe Balankura, un médecin francophone aguerri, connu comme le loup blanc parmi la communauté d’expatriés de la capitale. Mais, des comme lui, il y en a peu. Et puis, si l’on gratte un peu, la qualité des soins semble tout de suite bien moins évidente. « C’est sûr que, si l’on s’arrête aux dorures, tout est parfait », note Jean-Michel Lafarge, originaire de Sisteron. L’homme souffrait d’une douleur dans le cou, et s’était vu conseiller l’opération par son médecin thaïlandais. Dans le doute, il consulte un second spécialiste lors de son dernier retour en France, qui émet un tout autre diagnostic. « Je l’ai échappé belle », lance-t-il. Jean-Michel évoque aussi le cas d’un de ses amis, cardiaque, à qui trois anesthésies successives « mal dosées » auraient coûté la vie. Même son de cloche du côté de Christian Mourocq, le pâtissier de Chiang Mai. Diabétique, ce retraité prend un traitement assez lourd qui le contraint à un suivi médical régulier à l’hôpital public. « Il y a beaucoup de médecins minute qui n’ont pas envie de se compliquer la vie. Si l’un d’entre eux n’est pas certain de son diagnostic, il ne cherche pas à l’approfondir », dit-il. « Il est vrai qu’ici, les médecins ont moins qu’en France le réflexe de demander un second diagnostic à l’un de leurs collègues, sûrement par peur d’une pseudo perte de face. Mais cette tendance tend à s’estomper », assure Gérard Lalande. « Il n’empêche qu’en cas de gros pépin, et s’il n’y a pas urgence, j’attendrai de retourner en France pour me faire soigner », conclut Jean-Michel Lafarge.

 

Vers une santé business ?

 

Selon Christian Mourocq, nombreux seraient aussi les cas de surmédication et de surfacturation des soins. On est loin de l’image idyllique véhiculée par l’ensemble des établissements de santé du pays. « Je crois que c’est comme partout dans le monde, il y a des bons comme de mauvais médecins, modère Gérard Lalande. Mais il est vrai que certains hôpitaux gérés à l’américaine pratiquent une médecine dite préventive, en se disant que derrière chaque patient se trouve un avocat capable de les attaquer. En cas de simples maux de tête, on peut vous envoyer illico passer un scanner ». Qui dit équipements sanitaires de pointe dit aussi besoin de les rentabiliser. « Mais rien d’aussi outrancier qu’à Singapour et Hong Kong, où la hargne commerciale est clairement affichée », précise le médecin. Pourtant, le pays a bel et bien flairé le potentiel économique que représentent les seniors, et ne compte pas s’en priver.

 

La Tourism Authority of Thailand (TAT) mène d’ailleurs actuellement campagne en ce sens, en mettant en place des forfaits « découverte santé ». Son slogan ? « La santé est la base des droits de l’homme ». Emboîtant le pas à l’Inde qui, en 2005, avait organisé à Londres une exposition dédiée au tourisme médical, la Thaïlande compte elle aussi se tailler une part du gâteau. « De 630 000 en 2002, le nombre de touristes pour raison médicale a dépassé les deux millions en 2009, en grande majorité des retraités », précise Prakit Piriyakiet de la TAT. Selon les estimations, ce tourisme d’un genre nouveau devrait générer de deux à trois milliards de dollars, d’ici à 2012. « L’une de nos premières cibles est le marché des seniors résidents longue durée originaires des pays froids. Nous voulons leur démontrer qu’en plus du soleil, la Thaïlande offre aussi des soins de qualité », fait valoir le porte parole. Une tâche à laquelle s’attelle le pays depuis 2001, grâce à la création de la Thai Long-stay Management Company Limited, puis, en 2005, de la Thailand-Japan Long-stay Promotion Association. Récemment, un site internet a également été lancé (thailandmedtourism.com). Plus de 340 cliniques, spas, hôpitaux et professionnels de santé y sont répertoriés.

 

Mais quand santé commence à rimer avec business, cela ne présage rien de bon. Alors, dans ce contexte, comment éviter les dérives ? « Nous travaillons à la mise au point de normes de qualité et d’une législation spécifique en collaboration avec le ministère, la Thai Airways, l’association des spas et les hôpitaux privés. Le but est de mettre en place un système de contrôle efficace pour assurer la sécurité des patients », assure-t-on à la TAT. Mais il avoue quand même que ce sera aussi aux hôpitaux de faire la police dans leurs propres services pour « conserver leur réputation ».

 

Trop de seniors tue le senior ?

 

« Selon moi, attirer trop de retraités dans le pays pourrait conduire à une crise sanitaire sans précédent », met en garde Gérard Lalande. Sans parler des problèmes que cela pourrait poser, et pose déjà, aux ambassades des seniors étrangers. Car, depuis les années 90 et leur lot de grands projets immobiliers, les Français du troisième âge candidats à l’expatriation se sont multipliés. De seulement 523 en 2004, ils sont passés à 1572 l’an dernier, selon les registres de l’ambassade. Sans parler de tous ceux qui ne s’y sont pas fait identifier, soit « cinq à six fois plus », selon Alain Gavillet, chargé de communication à l’ambassade de France à Bangkok. Avant, seuls les vieux de la vieille osaient tenter l’expérience thaïlandaise, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. « Moi, j’ai connu l’époque où il y avait seulement trois pelés et un tondu, bien souvent des anciens militaires de l’ex-Indochine, dont le nombre était facile à gérer.

 

Aujourd’hui, ils représentent plus de 31% de la population française des provinces de Chiang Mai et Chiang Rai. Leur affluence ne permet malheureusement plus d’assurer une aide aussi personnalisée », raconte Thomas Baude, le consul honoraire de Chiang Mai. Des propos confirmés par Alain Gavillet, qui avoue que l’accroissement du nombre d’arrivées pose des problèmes en matière de gestion des dossiers.

 

S’ajoutent à cela les difficultés spécifiques à cette population qui, par sentiment d’être complètement larguée, s’avère souvent bien plus exigeante que la majorité des ressortissants français. « Ils ont parfois l’impression qu’il est de notre devoir de tout faire pour eux, ce qui, même avec la meilleure volonté du monde, s’avère malheureusement impossible. Nous ne sommes pas des représentant de la Sécu, et encore moins des agents employés par les services sociaux », note Thomas Baude.

 

Fuir les ghettos

 

Que dire alors de la situation des très prisées stations balnéaires proches de Pattaya, où les têtes grisonnantes représentent plus de 45% de la population totale ? La même chose. En pire. « C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de quitter cette ville », dit Bruno, aujourd’hui exilé chez la sœur de sa femme, à 50 km de Bangkok. Il attend de trouver une maison à acheter près de Lampang, pour rejoindre le nord du pays. « Pattaya est devenu un ghetto pour étrangers, ce n’est pas la Thaïlande », explique-t-il. A tel point que plus personne, Thaïlandais ou farang, n’y a un comportement normal.

 

Les conditions de cohabitation y sont aujourd’hui totalement pipées. « Je me sentais en insécurité et ne me retrouvais pas dans cette ville faite de violence et de bars. J’avais envie de stabilité, et surtout de profiter enfin de la tranquillité authentique qui règne ailleurs dans le pays », dit-il. Après quatre ans et demi passés là-bas, il n’en pouvait plus. Cette fuite vers le Nord, il décide aujourd’hui de l’expliquer par la rédaction d’un livre qui mettra en lumière les personnages de la « faune » croisée à Pattaya. Mais cette ville n’est pas la seule à souffrir de l’engouement des retraités étrangers. Samui enregistre environ 16% de retraités parmi sa communauté francophone. Un taux qui grimpe sur l’île de Phuket à plus de 26%.

 

Intérêts immobiliers

 

Un emballement des seniors qui ne laisse personne indifférent, et surtout pas les professionnels de l’immobilier. « Nous venons de lancer un package alternant visites immobilières et découverte du pays », annonce Christophe Rime, de l’agence Koh Samui Info. En partenariat avec des tours opérateurs suisses, belges et français, l’agence immobilière propose aux retraités candidats à l’expatriation de passer de trois à cinq semaines sur l’île, afin « d’organiser leur départ, ou tout simplement d’effectuer un premier test pour voir s’ils se sentent bien dans le pays », dit-il. Christophe a déjà vendu une dizaine de ce genre de formule tout compris et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Son agence fait déjà 60% de son chiffre d’affaires sur cette précieuse clientèle française du troisième âge. Pour l’instant, ils ne sont que deux sur l’île à proposer ce genre de forfait, mais Christophe est convaincu du développement du concept.

 

« Pour vous donner un exemple, j’ai reçu plus de 500 mails à l’issus du reportage diffusé par TF1 : c’est dire si la demande est grande ! », annonce Christophe, avant de convenir, toutefois, que « très peu ont déjà concrétisé leur projet ».

 

Vers un essoufflement ?

 

Entre rêve et réalité, arrivent souvent les questions d’éloignement familial, d’attachement à la mère-patrie, et de perte de repères. Des choses bien plus difficiles à gérer à 60 ans sonnés qu’à 20. « Selon moi, le phénomène retraite va s’essouffler dans les années à venir. D’abord à cause de la chute du taux de change. Ensuite à cause de la concurrence d’autres pays, bien plus proches de l’Europe, et surtout bien plus francophones », analyse Fabrice Lore de l’agence Five Stars, basée à Bangkok et spécialisée depuis six ans sur le marché de la clientèle francophone. D’où le succès des DOM TOM, qui représentent 24% des départs des seniors (étude IPSOS), mais aussi du Maroc. « Quand je me rends sur des salons européens, je vois que beaucoup de retraités sont intéressés par un départ, mais l’instabilité politique, la différence de culture et l’éloignement conduisent souvent au renoncement », note Fabrice. Arlette, quant à elle, confirme que le seul défaut du pays, « c’est que c’est un peu loin ».

 

Qu’on le veuille ou non, l’expatriation a forcément une incidence sur les relations avec les proches restés en France, même si internet limite un peu les dégâts. La majorité des retraités s’y sont d’ailleurs mis de façon intensive. « C’est même devenu une drogue », dit Jean- Pierre Pochon, en plaisantant de sa nouvelle passion pour le Net. Malgré ces petites galères de tous les jours, personne ne troquerait pourtant sa place pour un pavillon sur la Côte d’Azur, si luxueux soit-il. « J’ai l’impression que l’on vieillit moins vite ici », précise Maurice Braunshausen. « Je conseillerais l’expérience à tout le monde, mais il faut bien savoir à quoi s’attendre avant de se précipiter dans l’avion », prévient Arlette. En conclusion, un premier test de plusieurs mois s’impose, de l’avis de tous ceux qui ont tenté le coup, avant de finir par rester. « Les gens que j’ai vu partir sont ceux qui arrivaient avec une attitude de colonisateurs en pays conquis, ce qui est totalement voué à l’échec », conclut Christophe Rime. A bon entendeur…

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