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GAVROCHE – ROMAN : «La voie du farang», épisode 5: Les jumeaux de l’ambassade

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 20/11/2020
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Nos lecteurs se déchirent à propos du feuilleton de Patrice Montagu-Williams, et c’est bon signe. Certains nous reprochent de faire trop de publicité à cet auteur qui nous a déjà livre deux romans-feuilletons. Nous l’assumons. Gavroche défend ses collaborateurs et veut faire connaitre leur travail, ce qui n’empêche pas bien sûr d’ouvrir nos colonnes aux critiques. D’autres lecteurs en redemandent. Alors, « La voie du farang » saura-t-elle vous conquérir ?

 

«La voie du farang», épisode 5: Les jumeaux de l’ambassade

 

Un roman inédit de Patrice Montagu-Williams.

 

L’intrigue

 

1996 : sur fond de contrat pétrolier sulfureux passé avec la junte militaire birmane, de manipulation des médias et des ONG par différents services secrets, Martin Decoud, agent de la DGSE, la Direction Générale de la Sécurité Extérieure, est envoyé en mission à Bangkok.

 

Persuadé que, comme le dit Ernest Hemingway, « Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu », le farang, l’étranger, retournera en Thaïlande, près de vingt-cinq ans plus tard, pour tenter d’y reconstruire une existence que la vie a brisée et trouver le « Noble Chemin » des bouddhistes qui mène au nirvana.

 

Rappel de l’épisode précédent: Suite à sa nomination comme Honorable correspondant de la DGSE en Thaïlande, Martin Decoud débarque à Bangkok, la Cité des Anges, au moment où la situation politique et économique du pays se tend.

 

Épisode 5 : Les jumeaux de l’Ambassade

 

On l’avait logé dans le quartier français, à Nang Linchi, dans une habitation de bois blanche sur pilotis sous laquelle se promenaient des poules.

 

— Comme ça vous ne serez pas trop dépaysé et, le soir, vous pourrez aller dîner au Lys. Vous verrez, on y mange très bien et Pattie Delmas, la propriétaire, est une femme charmante, lui avait dit GAK, en lui remettant les clefs de la maison. Le chauffeur passera vous prendre demain matin tôt. J’assisterai à la réunion avec les gens de Total. Il paraît qu’un membre de la direction est venu tout exprès de Paris. Le Conseiller économique et son adjoint seront présents eux aussi.

 

Des diplomates formatés

 

Les deux fonctionnaires de l’ambassade paraissent des jumeaux qui auraient, de plus, revêtu le même uniforme : blaser bleu marine, chemise blanche et cravate tricotée bordeaux. Les diplomates de carrière sont tous fabriqués en série et formatés, se dit Martin en pénétrant dans la salle de réunion : en bout de chaîne, on change la calandre et on bricole un peu les finitions, selon la fonction.

 

La délégation de Total comprend trois personnes : l’homme venu du siège qui est logé à l’Oriental, un palace situé sur les bords du Chao Phraya, que Martin est persuadé d’avoir croisé, il ne se souvient plus à quelle occasion, dans les couloirs de la DGSE et qui se présente comme Chargé de mission au sein de la Direction des Affaires Publiques Internationales, le directeur général de Total Thaïlande, dont les bureaux sont à Tung Maha Mek, district qui jouxte celui de Bang Rak, où se trouve l’ambassade, et son adjoint. Tous trois ont compris que les diplomates ne faisaient que de la figuration et que les opérationnels dans cette affaire seraient l’Attaché militaire et, surtout, cet homme qu’on leur a présenté comme un représentant de la cellule de crise du Quai d’Orsay mais dont ils soupçonnent tout de suite qu’il fait partie des services secrets.

 

— Messieurs, le président de notre compagnie en personne m’a demandé de vous remercier en son nom d’avoir bien voulu organiser d’urgence cette réunion et de chercher à défendre le plus grand groupe français injustement mis en cause dans cette affaire, commence l’envoyé du siège, un polytechnicien arrogant, sûr de lui et manifestement habitué à être écouté et obéi sans tolérer la moindre contestation. Afin de gagner du temps, laissez-moi vous résumer la situation : en 1992, nous avons signé avec le régime militaire birman un contrat dit « de partage de production » : le contrat de Yadana. Depuis cette date, nous pilotons, avec Unocal, une filiale du groupe Chevron, un consortium qui gère une plate-forme offshore d’extraction de gaz en mer d’Andaman et un gazoduc qui relie ce site à la frontière birmano-thaïlandaise. La Thaïlande nous achète l’essentiel de la production. Le groupe thaïlandais Ptt participe d’ailleurs à hauteur de vingt-cinq pour-cent au consortium qui comprend aussi, à hauteur de quinze pour cent, la compagnie nationale birmane Moge. Il s’agit de ne rien d’autre que d’un contrat classique pour une compagnie pétrolière comme vous pourrez le constater, messieurs.

 

Un scandale international

 

— Sauf que ce contrat a débouché sur un scandale international qui gêne notre gouvernement, non seulement vis-à-vis de la Birmanie mais aussi de l’ensemble des pays de la région, répond le Conseiller économique.

 

— On nous reproche de cautionner un régime dictatorial qui aurait déplacé des populations, militarisé la région pour garantir la sécurité du chantier et ferait appel au travail forcé pour la construction du gazoduc. Mais nous ne sommes pas maîtres des opérations locales menées par les Birmans !

 

— On vous reproche surtout de financer un régime qui consacre soixante pour cent de son budget à la défense contre deux pour cent à peine à l’éducation, intervient l’adjoint du Conseiller. On dit que ce gazoduc rapporterait de cent cinquante à quatre cents millions de dollars à la Birmanie, ce qui est considérable par rapport à la taille de son économie. Sans compter la caution morale donnée au régime…

 

— La morale n’a pas sa place dans les affaires, Cher Monsieur. Si vous l’aviez compris plus tôt, la France n’en serait pas là dans la région ! Par ailleurs, je me permets de vous rappeler que vous représentez le pays qui a le plus lutté contre le renforcement de sanctions européennes vis-à-vis du régime birman ! Alors, je vous en prie, évitons les doubles discours : nous sommes entre nous…

 

Une guerre économique d’un nouveau type

 

— Êtes-vous sûr de vos partenaires, demande alors Martin ?

 

— Bonne question, répond l’homme de Total. Nous avons à faire face à une guerre économique d’un nouveau type et, dans une guerre, il faut pouvoir compter sur ses alliés. Pas de problème avec les Thaïs : ils ont intérêt à ce que tout de passe bien. Même chose du côté birman : ils arrosent qui il faut et ceux qui sont arrosés ont intérêt à ce que cela continue. Reste les Américains. Là, c’est moins clair : ils peuvent en vouloir plus, voire carrément nous éjecter et prendre notre place. La concurrence entre occidentaux est impitoyable.

 

— Nous disposons effectivement d’informations, non encore totalement vérifiées, mais qui tendraient à prouver l’interférence de certains services étrangers amis dans la mise en œuvre de stratégies anticoncurrentielles vis-à-vis de nos intérêts dans la région, notamment en finançant les ONG et en manipulant les médias, dit GAK. Je dois reconnaître que notre culture du renseignement présente de graves lacunes du côté de l’intelligence économique…

 

— Nous resterons en Birmanie quoiqu’il nous en coûte, Messieurs. C’est un marché incontournable dans la région, conclut l’homme de Total en se levant. À vous de jouer à présent. Bien entendu, en retour et en cas de besoin, vous pourrez compter sans réserve sur notre appui financier, ajoute-t-il en regardant Martin dans les yeux

 

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