
L’ancien magnat des médias hongkongais Jimmy Lai a été reconnu coupable, lundi 15 décembre, de deux chefs d’accusation liés à la sécurité nationale et d’un chef de sédition, au terme d’un procès marathon de près de deux ans. Il encourt désormais la prison à vie.
Âgé de 78 ans, le milliardaire autodidacte figure parmi les critiques les plus emblématiques de Pékin poursuivis en vertu de la loi sur la sécurité nationale imposée à Hong Kong en 2020, à la suite des vastes manifestations pro-démocratie de 2019. Cette législation a profondément transformé le paysage politique et judiciaire de l’ancienne colonie britannique.
Fondateur du tabloïd Apple Daily, connu pour ses attaques frontales contre le Parti communiste chinois, Jimmy Lai a vu son journal contraint de fermer en 2021 après le gel de ses avoirs. Il avait plaidé non coupable de l’ensemble des accusations.
Le « cerveau » de la collusion
Dans leur verdict, les juges ont estimé qu’il ne faisait « aucun doute » que Jimmy Lai nourrissait « rancœur et haine envers la République populaire de Chine depuis une grande partie de sa vie adulte ». Ils ont qualifié l’homme d’affaires de « cerveau » de plusieurs complots visant, selon eux, à saper l’autorité de Pékin à Hong Kong.
La cour a notamment retenu ses démarches répétées auprès de responsables américains, principalement avant l’entrée en vigueur de la loi sécuritaire, comme des preuves de collusion avec des forces étrangères. Les magistrats ont cité ses rencontres avec l’ancien vice-président Mike Pence, l’ex-secrétaire d’État Mike Pompeo, ainsi que ses tentatives d’approche de Donald Trump. Des échanges WhatsApp avec des figures du camp pro-démocratie et un article publié dans le New York Times en mai 2020 ont également été versés au dossier.
Les juges ont comparé ses appels à des sanctions internationales contre la Chine à « un citoyen américain demandant l’aide de la Russie pour renverser son propre gouvernement sous prétexte de sauver la Californie ».
Une audience sous haute tension
La date du prononcé de la peine sera annoncée ultérieurement. En vertu de la loi sur la sécurité nationale, la collusion avec des forces étrangères est passible de la réclusion à perpétuité.
Dans la salle d’audience, placée sous consigne de « silence absolu », Jimmy Lai est resté impassible. Il a brièvement salué son épouse et son fils avant la lecture du verdict. À l’annonce de sa condamnation, il a retiré ses lunettes et essuyé son visage, sans manifester d’émotion apparente.
Arrêté fin 2020, les autorités l’ont maintenu plus de 1 800 jours en détention dans une prison de haute sécurité, dont une longue période à l’isolement. En 2022, la justice l’a par ailleurs condamné à cinq ans et neuf mois de prison pour fraude, dans une affaire distincte.
Une figure emblématique du camp pro-démocratie
Né en Chine continentale, Jimmy Lai est arrivé à Hong Kong à l’âge de 12 ans. Ancien ouvrier d’usine devenu magnat du textile, il s’est tourné vers la presse en fondant Apple Daily en 1995, deux ans avant la rétrocession de la ville à la Chine. Son journal et lui-même se sont rapidement imposés comme des piliers du mouvement pro-démocratie.
Fervent soutien de Donald Trump, il s’était rendu à Washington au plus fort des manifestations de 2019 pour plaider la cause de Hong Kong. « Monsieur le Président, vous êtes le seul à pouvoir nous sauver », déclarait-il à CNN en 2020, peu avant son arrestation.
Lors du procès, Jimmy Lai a toutefois assuré n’avoir jamais parlé directement à Donald Trump. L’ancien président américain a néanmoins affirmé cette semaine avoir évoqué son cas avec Xi Jinping, appelant à envisager sa libération.
Réactions internationales et inquiétudes
Citoyen britannique, Jimmy Lai bénéficie du soutien affiché de Londres, qui réclame sa libération. Pékin et le gouvernement de Hong Kong ont, de leur côté, dénoncé toute « ingérence étrangère » dans une affaire judiciaire relevant, selon eux, exclusivement de la souveraineté chinoise.
Ses partisans, nombreux à avoir fait la queue toute la nuit pour assister à l’audience, ont accueilli le verdict avec consternation mais sans surprise, beaucoup affirmant ne plus avoir confiance dans l’indépendance de la justice hongkongaise.
Les détracteurs de la loi sur la sécurité nationale estiment qu’elle a importé à Hong Kong les pratiques judiciaires autoritaires de la Chine continentale : des magistrats spécialement désignés jugent les affaires de sécurité nationale sans jury, rompant avec la tradition de common law.
Santé fragile
La fin du procès a été marquée par des inquiétudes croissantes concernant l’état de santé de Jimmy Lai. Ses avocats ont évoqué des palpitations et des vertiges, tandis que sa famille alerte sur les effets délétères de l’isolement cellulaire, aggravés par son âge et son diabète.
Dans une tribune publiée dans le Washington Post, sa fille Claire Lai a dénoncé un manque de transparence sur les soins médicaux reçus par son père. Les autorités hongkongaises assurent, pour leur part, qu’il bénéficie d’un suivi médical « adéquat et complet », avec des examens quotidiens.
L’affaire Jimmy Lai s’impose désormais comme l’un des symboles les plus marquants du durcissement politique à Hong Kong et de l’effacement progressif des libertés qui faisaient la singularité de la ville.
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