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INDONÉSIE – ANALYSE : Après l’élection de Prabowo Subianto, quel avenir pour l’archipel ?

Date de publication : 22/02/2024
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Jokowi Prabowo Indonésie économie

 

Nous rediffusons ici une analyse du Crédit Agricole

 

Appelés aux urnes le 14 février, les 204 millions d’électeurs indonésiens ont massivement fait le choix de la continuité en élisant dès le premier tour Prabowo Subianto, jusqu’ici ministre de la Défense. Ce dernier s’était en effet fait adouber par Joko Widodo, l’ultra populaire président sortant qui ne pouvait pas se représenter après ses deux mandats de cinq ans. Bénéficiant d’un taux d’approbation de près de 70% de la population, il avait brièvement songé à modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat avant de renoncer mais de placer son fils comme colistier de Prabowo Subianto. Encore jeune (36 ans), ce poste le positionne sur une rampe de lancement pour l’élection de 2029. Pour conclure cette alliance, Jokowi n’avait pas hésité à lâcher son propre parti à l’Assemblée, le PDI-P, qui présentait un autre candidat.

 

À 72 ans, l’ancien général Subianto traîne pourtant une réputation douteuse : ancien commandant des forces spéciales sous la dictature de Suharto (qui dura de 1967 à 1998), il aurait activement participé aux répressions contre les résistants du Timor oriental dans les années 1980 et ordonné l’enlèvement et la torture de militants prodémocratie à la fin de la dictature.

 

Jamais jugé, il fut toutefois exclu de l’armée pour « conduite déshonorante » avant de partir en exil en Jordanie pendant plusieurs années. Candidat malheureux face à Jokowi en 2014 puis en 2019, ce dernier l’avait fait entrer au gouvernement lors de son deuxième mandat comme ministre de la Défense, tout un symbole.

 

En concluant un accord avec le président sortant, la victoire de Subianto était presque assurée. Il n’empêche que le score obtenu (environ 55% des voix selon les résultats encore provisoires) est largement au-dessus de certaines estimations, qui anticipaient un deuxième tour. Son plus proche concurrent, l’ancien gouverneur de Jakarta, Anies Baswedan aurait obtenu environ 25% des suffrages.

 

Au-delà des 5%

 

C’est sans doute ce chiffre qui caractérise le mieux l’économie indonésienne qui, hors Covid, affiche une stabilité déconcertante avec une croissance à 5% depuis environ dix ans. Si cette performance rendrait jalouse n’importe quelle économie de la zone euro, elle reste insuffisante pour un pays comme l’Indonésie, encore au stade d’économie à revenu intermédiaire bas, n’ayant de surcroît pas achevé sa transition démographique.

 

Si Jokowi peut se targuer d’avoir fait bondir le PIB indonésien de plus de 40% en dix ans, ce taux de 5% demeure insuffisant pour absorber tous les nouveaux entrants sur le marché du travail, dans un pays où l’âge médian reste inférieur à 30 ans et où 25% de la population a moins de 14 ans.

 

Un long chemin a déjà été parcouru depuis les crises asiatiques de la fin des années 1990, qui avaient laissé une réputation d’économie « fragile » à l’Indonésie, surtout sur le plan monétaire.

 

Depuis, le pays a grandement renforcé ses politiques macroprudentielles pour limiter et éviter les chocs liés aux déséquilibres externes. Et avec succès : en 2022 et 2023, la banque centrale a mené une politique monétaire orthodoxe, mais graduelle, afin de ne pas trop étouffer l’activité.

 

L’inflation est demeurée relativement contenue grâce à l’effet combiné de la politique monétaire et de mesures de contrôle des prix (subventions sur les carburants et certains produits alimentaires, restrictions aux exportations sur l’huile de palme notamment). La roupie indonésienne a tenu le cap face au dollar, bien mieux que la plupart des autres devises émergentes, en ne se dépréciant que de 9% environ par rapport à début 2022, avant le choc inflationniste de la guerre en Ukraine et le mouvement d’appréciation du dollar.

 

Sur le plan budgétaire, l’Indonésie a renoué avec la rigueur et rempli son objectif d’un déficit public inférieur à 3% du PIB dès 2022 (cette contrainte avait été relâchée en 2020 et 2021 en raison du Covid). Le pays est aussi celui qui présente la dette publique la plus faible des économies de l’Asean et du G20 (environ 38% du PIB). De quoi laisser encore de la marge pour prolonger l’effort en investissements entrepris par Jokowi.

 

Subianto dans la continuité

 

C’est d’ailleurs sur cette promesse que Subianto a été soutenu par le président sortant : celle de continuer les dépenses d’investissements en infrastructures, à commencer par le projet de transfert de la capitale sur l’île de Bornéo, chiffré autour de 35 milliards de dollars et qui devrait s’échelonner sur vingt ans. Incarné et porté par Jokowi, la nouvelle équipe sera garante de son exécution, la première partie du chantier devant être livrée dès août 2024. À cela s’ajoutent de nouveaux projets dans le domaine des transports et de l’énergie. Si le pays avait profité de capitaux chinois entre 2013 et 2018, le ralentissement des financements liés aux Nouvelles routes de la soie va le contraindre à chercher de nouveaux investisseurs étrangers.

 

L’autre enjeu est de réussir à valoriser les ressources naturelles du pays, notamment le nickel.

 

Pour ce faire, l’Indonésie a imposé des taxes sur les exportations de produits non raffinés ou transformés, afin d’encourager les multinationales à remonter les chaînes de valeur sur place, et donc d’exporter des produits à plus forte valeur ajoutée. Pour l’instant, cette stratégie n’a pas vraiment eu l’effet escompté : les capitaux chinois ont afflué, alimentant les craintes européennes et américaines sur cette nouvelle filière. Résultat, la production reste pour l’instant réservée au marché chinois plutôt bas de gamme, et une grande partie de la transformation s’effectue toujours en dehors du pays.

 

Très protectionniste, ce qui tranche par rapport à ses voisins asiatiques (Malaisie, Philippines, Thaïlande) mieux intégrés, l’Indonésie est encore comme bloquée entre deux stratégies de développement : celle consistant à compter sur son marché intérieur pour assurer sa croissance, et celle consistant à s’ouvrir un peu plus pour que d’autres puissent en profiter.

 

Cette ambivalence se retrouve aussi au niveau des relations internationales : Jokowi a veillé à conserver une position neutre entre la Chine et les États-Unis, en profitant du meilleur des deux mondes. Gros client des investissements et capitaux chinois, le pays s’est toutefois rapproché militairement du bloc atlantiste. Une ligne de crête difficile à tracer, qui n’est pas sans rappeler celle que son voisin indien – avec lequel l’Indonésie partage de nombreuses similitudes – essaye aussi de dessiner non sans mal. Un « multi alignement » qui pourrait trouver ses limites si les tensions sino-américaines venaient à s’exacerber encore plus.

 

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