Nous publions un article fondé sur une enquête conjointe de The Diplomat et The Examination, réalisée avec le soutien du Pulitzer Center.
Un contrat confidentiel signé en 2001 entre le gouvernement laotien et le géant britannique du tabac Imperial Brands aurait permis à un proche de l’ancien Premier ministre Bounnhang Vorachit d’empocher des millions de dollars, tout en maintenant le prix des cigarettes parmi les plus bas au monde. Révélé par les documents obtenus par The Examination et The Diplomat, cet accord de 25 ans prévoit un gel des taxes et la privatisation de l’ancien monopole d’État à travers la création d’une coentreprise : Lao Tobacco Ltd.
Aux côtés d’Imperial Brands, une société liée à Sithat Xaysoulivong — homme d’affaires influent et beau-frère de l’ex-chef du gouvernement — détient une part minoritaire dans cette structure. Selon les enquêtes, cette participation a déjà généré plus de 28 millions de dollars de dividendes.
L’impact sur la santé publique est considérable : un paquet de cigarettes se vend environ 32 centimes de dollar, dans un pays où 37 % des hommes fument, et où une mort sur sept est liée au tabac. Le contrat empêche toute hausse des taxes sur les cigarettes, malgré plusieurs tentatives du Parlement. Lao Tobacco Ltd. s’y est systématiquement opposée, invoquant les clauses de l’accord. Résultat : selon la Southeast Asia Tobacco Control Alliance, le Laos a perdu plus de 140 millions de dollars de recettes fiscales entre 2001 et 2019, dont une part aurait dû financer la prévention.
L’opacité de l’accord — dont la publication est interdite sans le feu vert d’Imperial Brands — alimente les soupçons. Kush Amin, juriste chez Transparency International, estime que l’arrangement porte « toutes les caractéristiques d’un mécanisme de corruption ». Selon lui, un tel contrat aurait pu faire l’objet d’une enquête judiciaire au Royaume-Uni s’il avait été conclu après l’entrée en vigueur du Bribery Act de 2010.
Sollicitée, Imperial Brands affirme respecter « l’ensemble des normes de conformité en vigueur », tout en refusant de commenter les détails de l’accord.
Alors que le contrat arrive à échéance en 2026, le Premier ministre actuel Sonexay Siphandone a déclaré en novembre 2024 que celui-ci ne serait pas renouvelé. Mais une renégociation reste possible. Des ONG plaident pour une rupture claire avec cette politique. « Le peuple laotien souffre de cet accord depuis 25 ans », alerte Bungon Ritthiphakdee, directrice du Global Center for Good Governance in Tobacco Control. « La vraie question est de savoir si la nouvelle génération devra encore en payer le prix. »
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