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LAOS – TÉMOIGNAGE : Suivez Jean-Michel Gallet sur la route des orpailleurs laotiens

Date de publication : 03/08/2023
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Notre ami Jean Michel Gallet est un habitué des colonnes de Gavroche. C’est avec plaisir que nous le retrouvons pour son nouveau récit, nourri de photos. Passionné de l’Asie du Sud-Est, Jean Michel Gallet est parti sur la route des orpailleurs au Laos. Retrouvez son voyage, son itinéraire, ses clichés et ses commentaires.

 

« Le Laos, ce pays où les rivières roulent des cailloux et des sables aurifères » (1)

 

Au nord-ouest du Laos, si la petite ville de Pakbeng, encastrée dans les montagnes, doit sa renommée au Mékong qui la traverse, elle est aussi le lieu où convergent des vallées au fond desquelles un cours d’eau a creusé son lit. Vallées parsemées de petits villages entre montagnes et rivière. Dont un village du nom de « Kham ». Si vous maitrisez la langue lao, vous avez déjà compris l’objet de cette feuille de route. Dans le cas contraire -ce qui me surprendrait !-, je traduis. « kham », en lao, signifie « or ». Voyage au pays des chercheurs d’or.

 

carte du Laos
Carte du Laos – la ville de Pakbeng, sise sur le Mékong, est située au nord-ouest du pays

 

Le village de Kham
Le village de Kham

 

Le long de la Seng

 

Nous sommes en saison « sèche », entre décembre et mars de notre calendrier. Les gros travaux agricoles attendent les pluies. Celles-ci devraient commencer vers la mi-avril avec la « nouvelle année » bouddhiste.

 

Avant l’arrivée des précipitations, les habitants (2) des villages environnant Pakbeng vaquent à de traditionnelles activités : chasse, pêche, travaux d’artisanat, constitution de réserves de bois, construction ou amélioration de leur habitat, soins à quelques animaux d’élevage et recherche de racines, de fruits ou de plantes dans les avoisinantes forêts.

 

Il est aussi une activité qui attire l’œil de l’attentif visiteur. Celle de la découverte, du petit matin à la tombée de la nuit, de dizaines d’adultes et d’enfants, cheminant sur la piste qui relie les différents villages et munis d’une bâtée.

 

Fillette avec une barre à mine pour creuser le sol et une bâtée
Fillette avec une barre à mine pour creuser le sol et une bâtée

 

Bâtée avec un bambou échancré pour y déposer du sable aurifère
Bâtée avec un bambou échancré pour y déposer du sable aurifère

 

Si ce visiteur a alors la curiosité de plonger son regard vers la vallée, en contrebas, là où serpente la Seng, un petit affluent du Mékong, il découvre que, dans son lit, s’activent hommes, femmes, enfants.

 

Vallée de la Seng en période sèche - orpailleurs
Vallée de la Seng en période sèche – orpailleurs

 

Que font ces villageois ? Ils creusent, sur parfois plusieurs mètres de profondeur, les rives de la rivière que la saison sèche a mises à découvert à la recherche de pierres minérales, mais essentiellement d’un mélange fait de sable, si possible noir, de terre et de petits cailloux pouvant recéler des poussières ou des pépites d’or. Des enfants et des femmes, placent ensuite ce sable dans une bâtée, un réceptacle circulaire fait du bois d’un arbre appelé en lao « koukso ». De l’eau de la rivière y est ajouté. Puis, avec des mouvements circulaires, par centrifugation, l’eau et les éléments « grossiers » vont progressivement être éliminés de la bâtée. Reste, in fine, un dépôt fait de sable et, espoir renouvelé à chaque opération, d’un peu d’or.

 

« Une activité traditionnelle »

 

« C’est une activité traditionnelle et fort ancienne dans cette vallée » précise Deng, cheville ouvrière d’une association médicale (3) qui travaille à Pakbeng. « En réalité, on peut trouver de l’or dans de multiples endroits du Laos, ce pays étant d’ailleurs réputé pour être riche en minéraux notamment aurifères » poursuit-il. « Mais, dans la région, c’est le long de la Seng que l’on trouve les ressources aurifères les plus importantes. D’où le nom du village de « Kham » (or) ».

 

L’exercice de cette activité n’obéit, selon Deng, à aucune autorisation. A chaque habitant des villages longeant la Seng de décider de consacrer le temps qu’il souhaite à l’orpaillage. De même, à chaque habitant, en famille ou en groupe villageois, de tenter sa chance là où il le souhaite.

 

A ma question de savoir si cette activité se pratique toute l’année, la réponse de Deng est nuancée : « en fait, l’orpaillage est surtout une activité importante quand les villageois n’ont pas d’autres priorités, à savoir les travaux agricoles. Travaux qui commenceront vers fin mars avec l’écobuage, puis les semis et enfin les travaux de récolte. C’est donc vers la fin de l’automne, avec la fin de la saison des pluies, que l’orpaillage redevient une activité importante ».

 

Paillette d'or
Paillette d’or

 

Une activité commerciale

 

Que deviennent ces paillettes, voire ces pépites, d’or recueillies dans le lit de la Seng ? A activité traditionnelle, marché traditionnel. Toujours selon Deng, le gramme d’or serait vendu par les orpailleurs -début 2023- environ 400 000 kips à des bijoutiers de Pakbeng. Ceux-ci le revendraient en bijouterie ou à des intermédiaires sur une base de 1 000 000 kips le gramme (4).

 

Même si l’orpailleur n’est pas le principal bénéficiaire du circuit commercial -phénomène universel que connaissent tous les « producteurs » de matières premières-, la recherche et la découverte d’or constitue un revenu important pour les populations locales. Argent qui sert, outre à la satisfaction des besoins traditionnels, à des besoins nouveaux et croissants (outils de communication ou de mobilité, mais aussi l’école, la santé ou l’habitat), voire aussi, toujours selon Deng, dans certains villages à l’achat de drogues.

 

Une « mini-route de la soie »

 

Si j’avais écrit cette feuille de route il y a quelques années, le précédent paragraphe eût vraisemblablement été le paragraphe final. Mais, en 2023, je me dois d’écrire une suite.

 

Commençons par un « flash-back » ou, en bon français, par un bref « retour en arrière ».

 

En avril 2020, j’avais été « rapatrié » du Laos vers la France après avoir été « confiné « quelque temps dans la capitale du pays. Trois ans plus tard, je redécouvre un pays où, certes, entre temps, à Vientiane, ont poussé quelques tours qui, comme dans toutes les grandes villes asiatiques, tentent de « tutoyer » le ciel. Mais aussi et surtout un pays où le covid et le récent contexte international général ont eu des effets négatifs sur la plus grande partie de la population (5).

 

Une des conséquences de la dégradation de la situation économique a été que, bien souvent, le réseau des routes et surtout des pistes, faute d’entretien pendant le temps du covid-19, s’est dégradé. Aussi, de retour à Pakbeng, voulant me rendre dans les villages qui parsèment la vallée de la Seng, je m’attendais donc à retrouver une piste poussiéreuse à souhait en saison sèche, difficilement praticable à la saison des pluies, nécessitant un slalom permanent entre pierres et ravines.

 

La piste qui reliait les villages de la vallée de la Seng
La piste qui reliait les villages de la vallée de la Seng

 

Bitumage de la nouvelle route sous l'autorité d'un chef de chantier chinois

 

Par quel miracle une piste cahotante et défoncée, à la différence de toutes celles environnantes, était-elle en voie de transformation pour devenir une route assez large pour permettre le croisement de deux camions ?

 

La réponse me fut rapidement donnée : je découvrais une « mini-route -chinoise- de la soie » pour exploiter des mines d’or.

 

Certes, depuis plusieurs années, des entreprises chinoises sont déjà présentes dans la région de Pakbeng : pour exploiter des carrières de pierres calcaires et pour retirer du sable du lit du Mékong à la saison sèche (6).

 

Exploitation de carrières
Exploitation de carrières

 

Exploitation de sable sur le Mekong

 

A ces anciennes exploitations s’ajoute donc maintenant l’exploitation de mines d’or (7) avec des méthodes industrielles, notamment par le creusement de tunnels dans la montagne. Les mineurs seraient Chinois et le personnel de gardiennage vietnamien afin d’éviter les vols. Évidemment, l’accès aux mines est interdit à tout étranger.

 

Les mines d'or
Les mines d’or

 

L’arbre ne doit pas cacher la forêt

 

Il est, au spectacle de ces exploitations des ressources du pays, tentant, surtout pour un occidental, de stigmatiser la Chine. Certes, il faut reconnaître que, à la différence des colonisations occidentales, la Chine ne semble guère se sentir chargée d’une « mission civilisatrice ». Mais se contenter de souligner des atteintes à la souveraineté ou à l’environnement de pays-tiers serait, à mon avis, se contenter d’une analyse trop simpliste des réalités géo-économico-politiques.

 

D’abord le Laos, pays enclavé, pluri-ethnique, et surtout aux faibles ressources humaines, ne peut que subir les pressions de ses plus puissants voisins : le Vietnam et la Thaïlande et, surtout, de façon de plus en plus évidente, du plus puissant d’entre eux : la Chine (8). C’est une loi des relations internationales.

 

La vraie question à se poser est donc de rechercher pourquoi la Chine est devenue la deuxième puissance économique du monde (9). Après la symbolique chute du « mur de Berlin », une partie du monde occidental a voulu croire que l’économie libérale était « naturellement vertueuse » et que, créant des liens indissolubles entre économies des différents pays, elle conduirait à un monde définitivement pacifié. Une vision qui oublie que l’économie n’est qu’un élément d’un tout. Faute d’avoir intégré cette réalité, l’occident a laissé à la Chine le rôle d’»usine du monde ». La Chine, pays de haute et ancienne civilisation (10), a su relever le défi. Avec ses valeurs et en fonction de ses intérêts. Comme des pays européens l’avait fait les siècles précédents.

 

Jean-Michel GALLET

 

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(1) propos d’Etienne Aymonier (1844 – 1929), officier et Administrateur colonial français.
Mgr. Pellepoix, quant à lui, écrivait en 1834, dans son récit de voyages : « le pays est riche en mines d’or, d’argent, de cuivre et de fer .. presque tous les torrents roulent un sable aurifère. Et si les habitants savaient l’art d’exploiter les mines, il n’est pas douteux qu’on en tirerait des richesses immenses .. ils disent qu’ils ont des puits au fond desquels on voit briller, la nuit, diverses pierres précieuses »
(2) essentiellement des membres de l’ethnie Kh(a)mu, la principale ethnie minoritaire du Laos. La grande majorité (88%) des 800 000 Kh(a)mu vit dans les provinces septentrionales du pays. Avant l’arrivée vers le VIIIème siècle de populations thaïe en provenance de la Chine, ils étaient le groupe qui occupait un espace correspondant au moins au nord du Laos actuel
(3) association, « les médecins de Chinguetti Pakbeng » qui dispense des soins médicaux gratuits aux populations les plus fragiles – voir le site : www.medecinsdechinguettipakbeng.fr
(4) début 2023, un euro valait 18 500 kips. 400 000 kips représentent donc une valeur de 21,6 euros. Et 1 000 000 kips valent 54 euros
Chiffres à comparer au salaire minimum mensuel officiel au Laos : 1 300 000 kips soit 70 euros
(5) selon un récent rapport de la Banque Mondiale, depuis 2020, 75% des foyers ont dû réduire leur consommation alimentaire et 50% leurs dépenses en matière de santé ou d’éducation. 15% des enfants ont abandonné l’école (voir le « Laotian Times « en date 19 mai 2023)
(6) le sable est devenu un bien de plus en plus recherché par l’économie mondiale.
Actuellement, nous en extrayons 50 milliards de tonnes par an, le sable d’eau douce étant le plus recherché
(7) selon le « Laotian Times » en date du 25/03/2023, l’or a été, en février 2023, le deuxième produit d’exportation du Laos
(8) le Laos a 505 km. de frontière commune avec la Chine. Par an, le PIB (produit intérieur brut) chinois est de l’ordre de 19 000 milliards de dollars. Celui du Laos de l’ordre de 18 milliards de dollars (chiffres du début des années 2020)
(9) lorsque, au début des années 1980, je me suis, pour la première fois, rendu en Chine, la très grande majorité de la population ne portait, en guise chaussures, que de vagues “slippers”, voire des chaussures faites de récupération du caoutchouc de pneus. Pour entrer dans un des -quelques- hôtels réservés aux étrangers, il fallait être chaussé de chaussures “fermées” que la quasi-totalité de la population n’avait pas les moyens d’acheter
(10) ne jamais oublier que du VIIIème au XVIIIème siècle de notre ère, la Chine -ou “Empire du Milieu” a été l’une des, voire la plus grande puissance du monde. Un rôle historique qu’elle ambitionne de retrouver

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