La cuisine pakistanaise a trouvé sa porte-parole, une chronique culinaire et sociétale de François Guilbert
Il y a quelques années la chroniqueuse Sumayya Usmani faisait le constat que la cuisine pakistanaise manquait de porte-voix à l’étranger, notamment au Royaume Uni. Mais au fond avec elle, elle en a trouvé une très talentueuse. Pour se faire, l’ex-avocate diplômée en droit de l’université de Karachi est devenue commentatrice culinaire, plus encore une conteuse du manger et des émotions que cela procure, pour la presse écrite, la radio et la télévision.
C’est avec un blog de souvenirs culinaires qu’elle a donné ses premiers échos à la culture gastronomique pakistanaise et à ses trésors régionaux. Celui-ci lui a ouvert la voie des maisons d’édition (Summers Under the Tamarind Trees, White Lion Publishing, 2016, 224 p ; Mountain Berries & Desert Spice, Frances Lincoln, 2017, 192 p) et aujourd’hui Andaza, autrement dit « La cuisine intuitive », une cuisine dont on apprendre à concocter les plats sans recette.
Ce chemin l’a conduit géographiquement de Londres jusqu’en Écosse où elle réside depuis une dizaine d’années mais également sur d’autres voies professionnelles à la quarantaine passée : enseignante en ligne de cours de cuisine (Brewed) coach d’écrivains (Nurtured, Nourished), réalisatrice bimensuelle de podcast (A Savoured Life) ou encore enseignante à l’université de Glasgow. Au quotidien, la juriste internationale d’affaires est devenue une entrepreneuse culinaire multiformes. Un parcours réussi, jusqu’à être primé pour ses ouvrages successifs (cf. Gourmand Award, Scottish Book Trust’s Next Chapter Award).
Andaza est un livre culinaire singulier. Les recettes du pays d’origine bénéficient d’une pagination moins volumineuse que celle consacrée aux récits de vie de l’autrice. En conséquence, on se trouve à avoir entre les mains un véritable journal explorant le rapport à l’alimentation quand son quotidien est celui d’une famille vivant pendant des années sur un navire de commerce, la place de la nourriture dans le passage d’une enfance ballotée entre les voyages imposés par un père capitaine au long cours, une scolarité britannique puis au Sindh à un âge adulte partagé entre le Pakistan et le Royaume Uni.
Ce narratif mémoriel est aussi l’occasion d’examiner le monde des femmes pakistanaises des soixante dernières années. En convoquant sa mère et sa grand-mère, Sumayya Usmani nous donne un épitome de la vie familiale et des transmissions des savoirs et des émotions qui se jouent, de génération en génération, dans la pièce la plus névralgique de la maison. L’observatrice attentionnée et non-politique du sous-continent indien veut montrer combien la cuisine dans un pays musulman conservateur n’est pas tant un lieu d’enfermement qu’un espace de partages, d’éducation, de paroles, de créativité et, pour tout dire, de construction des résiliences. Il ne fait aucun doute que la cuisine dans sa pratique et son analyse a donné un sens profond à la vie de l’autrice.
Sumayya Usmani : Andaza. A memoir of food, flavour and fredom in the Pakistani kitchen, Murdoch Books, Londres, 2023, 312 p, 42,35 €
François Guilbert
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