ACTUALISATION JEUDI 17H : la Première ministre a présenté ses excuses au peuple thaïlandais, soulignant que ses propos visaient à protéger la souveraineté nationale et regrettant toute mauvaise interprétation. Lire notre dernier article ici.
Coup de tonnerre ce mercredi 18 juin dans la politique thaïlandaise, le gouvernement dirigé par Paetongtarn Shinawatra, fille de Thaksin, explose suite à la décision du parti Bhumjaithai de quitter la coalition. Tous les ministres « bleus » ont désormais démissionné, avec effet immédiat, à commencer par l’influent ministre de l’Intérieur et vice-Premier ministre, Anutin Charnvirakul, a déclaré le parti dans un communiqué.
Pourquoi cette fin de la coalition gouvernementale aujourd’hui ?
Le Bhumjaithai a déclaré que la conversation divulguée entre la Première ministre Paetongtarn et le président du Sénat cambodgien Hun Sen, a affecté la souveraineté, le territoire, les intérêts nationaux et l’armée thaïlandaise. Le comité exécutif du BJT a décidé de se retirer du gouvernement de coalition. Le parti a appelé Paetongtarn « à assumer la responsabilité de la perte de fierté nationale, de la dignité et de l’honneur du peuple et des forces armées ». Le BJT s’est dit prêt à soutenir tout le personnel de l’armée dans l’exercice de ses fonctions.
Que sait-on de la teneur de la conversation entre Paetongtarn et Hun Sen ?
Il semblerait que cet appel date du 15 juin et que Hun Sen en soit celui qui en a dévoilé la teneur sur la place publique. De façon intentionnelle. Lors de celui-ci, Paetongtarn s’adresse à Hun Sen en l’appelant « oncle ». Elle déclare qu’elle avait parlé au lieutenant-général Boonsin (commandant de la deuxième zone de l’armée royale) pour s’assurer de la compréhension mutuelle selon laquelle les deux gouvernements souhaitent la paix. Elle a exhorté Hun Sen à ne pas se laisser influencer « par les gens du côté opposé à nous, comme le commandant de la deuxième zone de l’armée » et a ajouté « que l’autre partie voulait paraître dure, c’est pourquoi le lieutenant-général Boonsin a fait des remarques qui n’étaient pas utiles au pays ».
La Première ministre a souligné « que l’objectif du gouvernement était la paix, similaire à la situation avant l’incident frontalier de Chong Bok le 28 mai ». Hun Sen a appelé à la levée des restrictions sur les horaires aux frontières et au retour des accords avant les affrontements, Paetongtarn a accepté. Hun Sen a déclaré « que la Thaïlande avait imposé les restrictions en premier et que le Cambodge suivrait son exemple une fois que la Thaïlande les auraient levées, notamment son interdiction des produits agricoles thaïlandais ». Il a ajouté « que tout cela avait commencé à cause des tactiques de pression de l’armée thaïlandaise contre le Cambodge » et a conseillé à Paetongtarn d’en parler à l’armée, ce qu’elle a assuré vouloir faire. Elle conclut en affirmant « qu’aucune nouvelle génération de dirigeants, comme elle-même et le Premier ministre cambodgien Hun Manet (fils de Hun Sen), ne souhaite voir la guerre sous son mandat ».
Quelles sont les réactions des partis politiques autres que le BJT ?
Le parti United Thai Nation de l’actuelle coalition, fondé par le général Prayut Chan-o-cha, auteur du coup d’État en 2014 et qui dirigeait le gouvernement de 2019 à 2023, a déclaré son engagement à défendre et à protéger la souveraineté, la dignité et les intérêts du pays et du peuple avant tout.
Le parti d’opposition Palang Pracharat, dirigé par l’autre putschiste de 2014, le général Prawit Wongsuwon, a appelé Paetongtarn à démissionner de suite. Le Palang Pracharat critique « le fait que la première ministre considère le commandant de la deuxième zone de l’armée comme un adversaire ». Pour ce parti, « Paetongtarn a perdu la légitimité nécessaire pour diriger le pays, avertissant que si elle ne démissionnait pas, elle risquait de suivre le même chemin que des membres de sa famille si elle restait au pouvoir ». Allusion bien sûr aux coups d’État qui ont renversé Thaksin en 2006 et Yingluck en 2014. L’ancien ministre des Finances, Korn Chatikavanij, ex-figure des Démocrates, à quant à lui, comparé l’appel de « trahison » et appelle les partis à quitter la coalition si Paetongtarn refuse de partir.
Le People’s Party (ex-Move Forward) par la voix de son député de liste, Wiroj Lakkhanaadisorn, a déclaré « que les dirigeants peuvent critiquer leurs subordonnées en privé mais que ces critiques ne doivent être partagées avec la partie adverse ». Il a appelé à la démission de Paetongtarn. De son côté, Pannika Wanich, fondatrice du premier parti « orange » Future Forward avec Thanatorn, et aujourd’hui porte-parole du Mouvement Progressiste, a avancé que Paetongtarn devrait dissoudre le Parlement car selon elle, la cadette des Shinawatra a totalement perdu la confiance du peuple. « Dissoudre le Parlement est la seule solution » insiste t-elle.
Et celle du Pheu Thai, le parti des Shinawatra ?
Selon le député du Pheu Thai, Khattiya Sawatdhipol, l’extrait audio divulgué « montre la l’objectif clair de la Première ministre de protéger les meilleurs intérêts du pays et empêcher l’escalade du conflit avec le Cambodge ». Khattiya a déclaré que « Paetongtarn avait parlé honnêtement et sincèrement, sans cacher ni déformer la réalité, faisant de son mieux, tant en public qu’en coulisses, avec une approche différente pour servir la Nation et son peuple ». Entendant les rumeurs, il a ajouté « que ce n’est pas le moment de dissoudre le Parlement, et les appels au coup d’État ne devraient plus avoir leur place dans la société thaïlandaise ».
Quelles conséquences à court terme ?
Déjà, des images soutenant le commandant de la deuxième zone de l’armée sont diffusées sur cinq grands écrans LED utilisés pour donner des informations dans la zone métropolitaine de Bangkok. Hasard ou coïncidence ? Le porte-parole de l’armée, le général de division Winthai Suvaree, étaient des images sans objectif politique, mais qu’elles étaient prévues depuis le 16 juin dans le cadre d’activités de relations publiques. Croira qui voudra. Des manifestations prévues contre la Première ministre, organisées par des factions conservatrices anti-Shinawatra et militaro-royalistes, sont prévues demain jeudi, ce qui a entraîné des fermetures de routes autour de Government House.
L’effondrement du gouvernement actuel marque sans doute la fin du grand deal entre Thaksin et les élites conservatrices, accord trouvé pour éliminer le Move Forward de la gouvernance en août 2023. Démission de Paetongtarn ? Dissolution et convocation de nouvelles élections ? Voire coup d’État à venir ? La politique thaïlandaise nage entre le doute et l’instabilité.
Philippe Bergues
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