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Thaïlande – Secours d’urgence, une organisation encore défaillante

Journaliste : Yann Fernandez
La source : Gavroche
Date de publication : 19/03/2014
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Malgré le vote il y a plus de cinq ans d’une grande loi qui affichait des objectifs ambitieux dans ce domaine, le fonctionnement des services médicaux d’urgence en Thaïlande reste problématique à bien des égards.

 

Quartier de Dusit, un matin de semaine. Somphop Lerdamrongsak, membre de l’association des Volontaires Urgentistes de Narenthorn (EVA), arrive sur les lieux d’un accident de la route impliquant un étudiant en moto et une automobiliste. Le véhicule médicalisé de l’EVA est arrivé après celui de Poh Teck Tung, la fondation privée historique des secours d’urgence en Thaïlande. Environ cinq minutes plus tard, alors que l’étudiant est embarqué dans l’ambulance estampillée Poh Teck Tung après avoir reçu les premiers soins, des volontaires de la petite fondation privée Luam Chai Puh In garent leur véhicule, viennent aux nouvelles, puis repartent aussitôt. Six secouristes de trois organismes différents ont ainsi été mobilisés pour un accident traumatique de faible gravité, une situation fréquente qui montre le manque de communication et de coopération au sein des secours d’urgence du pays.

 

En 2008, la Thaïlande se dotait d’une loi sur le service médical d’urgence (Emergency Medical Act) censée améliorer de manière conséquente ce système, notamment en matière de prise en charge du patient, de formation du personnel médical d’urgence et de coordination entre les très nombreuses organisations privées, publiques et associatives existantes. Quatre ans après, l’Institut national de la Médecine d’urgence (NIEM), agence gouvernementale créée par la loi de 2008, montrait une belle satisfaction dans son rapport annuel de 2012 : « Ces dernières années, nous sommes parvenus à monter une équipe d’intervenants rapides et capables de répondre à n’importe quel type de situation d’urgence. Nous avons par ailleurs développé un réseau en parvenant à coordonner le travail des organisations publiques et privées », indiquait ainsi le Dr. Chatree Charoencheewakul, alors secrétaire général du NIEM.

 

L’agence affichait également des chiffres témoignant des progrès annoncés : de 2010 à 2012, les effectifs des services médicaux d’urgence avaient été augmentés de 60%, passant de 7 894 personnes à 12 691. Selon ces chiffres officiels, cette hausse touchait toutes les catégories du personnel : des personnes les plus qualifiées ayant assisté aux formations de secours avancés (Advanced Life Support – défibrillation, interprétation de l’électrocardiographie, maintien des voies respiratoires, etc.) à celles ayant seulement suivi une formation de base aux premiers secours (First Responder). Le nombre d’ambulances répondant aux normes du NIEM était lui passé de 3 913 à 14 189 sur la même période, et les équipes de terrain avaient eu un taux d’intervention en moins de 10 minutes par rapport au nombre total d’interventions de 84,5% en 2012 contre 61,86% en 2010.

 

Si le NIEM n’occulte néanmoins pas que le processus d’amélioration des secours d’urgence est toujours en cours et qu’il reste beaucoup de choses à faire, le constat de la présidente de l’association des Volontaires Urgentistes de Narenthorn (EVA) est beaucoup plus dur : « Ce que l’on observe sur le terrain, c’est que les véhicules d’urgence utilisés sont en grande majorité les mêmes qu’avant et ne sont donc pas aux normes du NIEM. Quant au temps d’intervention standard, qui est de moins de 10 minutes, il est très souvent dépassé », explique Linda Tuaing, dont l’association est toujours officiellement rattachée à un bureau gouvernemental mais se considère comme indépendante car ne recevant plus de soutien financier de la part des autorités publiques. Les volontaires de l’association, au nombre de mille officiellement, mais plus nombreux en réalité, sont des bénévoles formés ne disposant pas d’équipements particuliers et qui interviennent lorsqu’ils se trouvent près de l’endroit où est localisée une personne en besoin de soins. « Nos volontaires sont souvent les premiers sur les lieux d’accidents, mais ils ne peuvent qu’intervenir sur place, ajoute Linda Tuaing. Car si un volontaire décide de mettre un malade dans une voiture qui n’est pas homologuée et que le malade meurt durant le transport vers l’hôpital le plus proche, il ira en prison. »

 

Course aux gains versus course à la vie

 

Un des gros problèmes des secours d’urgence thaïlandais est le très grand nombre d’intervenants possibles sur le terrain pour un même cas. Aujourd’hui, le NIEM est l’organe chargé d’établir la politique du secteur et de la transmettre à des organisations qui contrôlent ce qui se passe sur le terrain. A Bangkok, l’Erawan Emergency Medical Centre a cette fonction, mais il est placé sous l’autorité du département des Services médicaux de l’Administration métropolitaine de Bangkok (BMA). Viennent s’ajouter à cela plusieurs fondations privées dont les plus connues sont Poh Teck Tung, première organisation à fournir des soins d’urgences dans le pays en 1937, et Ruam Katanyu qui l’a aidée à partir de 1970, mais aussi les hôpitaux publics, privés et des volontaires bénévoles. « Là où nous nous sommes améliorés, affirme le Dr Petchpong Kumjornkijjakarn, directeur de l’Erawan Centre, c’est qu’à Bangkok, nous formons désormais un grand réseau qui comprend les hôpitaux publics, certains hôpitaux privés, des fondations, la police, qui nous aide notamment dans la gestion des feux de circulation pour laisser passer nos ambulances, et même certaines stations de radio comme Ruam Duey Chuey Kaan ». Tous les membres de ce réseau sont censés transmettre les demandes de soins immédiats au 1646, le numéro sur Bangkok à contacter en cas d’urgence, géré par les sept employés à temps plein et trente autres à temps partiel du centre d’appel de l’Erawan. « Mais le fait que les gens n’aient pas le réflexe de faire ce numéro directement – il existe aussi, entre autres, un numéro national d’urgence (1669) et le numéro de la police (191), tous les deux très utilisés par le public – fait perdre un temps précieux », admet le Dr Petchpong.

 

Si un réseau s’est formé sur Bangkok, il subsiste tout de même une forte compétition entre les différents volontaires pour arriver les premiers sur la scène des accidents. Et pas seulement pour sauver des vies à tout prix. La rumeur donne à certains de ces volontaires la réputation d’être des voleurs de bijoux et de tout autre objet de valeur trouvables sur les personnes inconscientes ou mortes. Les grandes fondations privées du pays refusent désormais les sollicitations des médias étrangers, car elles les accusent d’être à l’origine de la mauvaise notoriété de ses volontaires. « Ce n’est pas seulement une rumeur, atteste Somphop Lerdamrongsak, vice-président de l’association des Volontaires Urgentistes de Narenthorn. Il y a des bons et des mauvais volontaires : ceux qui veulent aider bénévolement et ceux qui sont intéressés par l’argent. Certains volent, d’autres touchent des commissions de la part d’hôpitaux privés pour leur amener des patients qui devront ensuite payer plus cher. »

 

Car si les premiers secours dispensés en urgence qui servent à stabiliser la personne sont gratuits, ce que l’on appelle la « suite de soins » est payante. C’est le cas par exemple d’une opération du cœur, tarifée, qui ferait suite à une réanimation cardiaque, gratuite. « Avant d’accepter un patient, certains hôpitaux privés vérifient si le malade appartient à l’un des différents régimes de sécurité sociale, s’il possède une assurance ou s’il est accompagné d’un proche qui peut payer les futurs frais, poursuit Somphop Lerdamrongsak, qui dispose du seul véhicule de l’EVA homologué pour transporter des malades. Si le patient n’a rien de tout cela, nous sommes obligés de négocier son admission, ou même parfois de l’emmener dans un autre hôpital. »

 

En octobre dernier, une femme enceinte vivant seule à Bangkok et sentant son bébé arriver se rend en urgence un matin à l’hôpital privé Rajavithi auquel le Fonds de Sécurité sociale (SSF) l’a rattachée en fonction de son lieu de domicile. L’établissement refuse de l’admettre, lui expliquant que son régime de sécurité sociale ne prend pas en charge l’accouchement et qu’il lui en coûtera entre 15 000 et 18 000 bahts, une somme que la femme ne peut pas régler. Rentrée chez elle dans le quartier de Phaya Thai pour accoucher seule, la victime sera retrouvée l’après-midi par la police, alertée par des voisins inquiets, dans un état de total épuisement, son bébé mort à ses côtés. Une enquête du ministère de la Santé est toujours en cours pour statuer si l’hôpital Rajavithi a été coupable d’un manquement à la déontologie médicale, autrement dit si les médecins ont fait une erreur de diagnostic quant au caractère urgent de la situation.

 

Seulement 200 médecins urgentistes pour tout le pays

 

Du côté des hôpitaux publics, le manque de personnel dans les services d’urgence est criant. L’hôpital Sirindhorn, situé dans le district de Prawet, dispose de 69 médecins et 250 infirmiers pour gérer 1 200 visiteurs par jour. Il n’y a en revanche aucun médecin urgentiste alors que l’établissement admet quotidiennement de 160 à 200 patients pour des soins immédiats. « Nos 69 médecins couvrent toutes les spécialités et chacun d’entre eux peut être appelé pour répondre à une urgence », se défend le directeur de l’hôpital, le Dr. Pipat Kriengwatanasiri. L’établissement, qui dispose de 250 lits, ne possède pas de salle dédiée aux urgences. Les malades sont dirigés vers le centre de soins correspondant à leur problème. La plupart d’entre eux sont amenés par les ambulances du réseau du Centre Erawan, l’hôpital ne disposant que d’un seul véhicule homologué. « Nous avons assez de personnel pour l’hôpital dans son ensemble, mais pour les urgences, je pense que c’est insuffisant », concède difficilement le Dr. Pipat Kriengwatanasiri.

 

Marco Caronni, étudiant en médecine à l’Université de Genève, a fait son stage de quatrième année dans le petit hôpital du Hang Dong District à Chiang Mai l’an passé. De son passage aux Urgences, il garde le souvenir d’un service en sous-effectif et qui semblait ne pas être considéré comme prioritaire. « Les Urgences du Hang Dong District s’étendent environ sur 30 m² et quatre lits avec seulement trois infirmières et aucun médecin urgentiste, se rappelle-t-il. Il y avait même des moments sans aucune présence médicale. Les infirmières prenaient souvent seules des initiatives de traitement plutôt que de suivre des prescriptions. Lorsqu’il y avait besoin d’attention médicale, un médecin était appelé. Les infrastructures aussi étaient insuffisantes. Il n’y avait pas assez de place pour les patients et certains attendaient hors de la salle des urgences. » D’après Paisal Chantarapitak, le directeur du groupe Bangkok Hospital, il n’y aurait que 200 médecins urgentistes dans l’ensemble du pays – contre environ 2600 en France – dont une centaine travaillerait pour son groupe qui comprend 23 établissements, soit le plus grand groupe hospitalier privé du pays. « Le processus d’amélioration de la formation des personnels de santé est encore en cours, reconnaît le Dr Petchpong Kumjornkijjakarn, directeur du centre Erawan. L’Institut national de la Médecine d’Urgence est en train de pousser des formations diplômantes dans les universités du pays et l’Erawan Centre augmente d’année en année le nombre de ses membres qui ont suivi la formation de premiers secours (Emergency Medical Technician-Basic training ou EMT-B, à ne pas confondre avec la formation de base de premiers secours, ou First Responder en anglais, ndlr) ».

 

Aujourd’hui, seulement 200 des 700 personnes intervenantes du réseau du Centre Erawan ont passé l’EMT-B, une formation de 110 heures de théorie qui enseigne les aptitudes d’urgence pour soigner les victimes de blessures soudaines, accompagnée d’une dizaine de cas pratiques. « Le vrai gros problème, c’est que la plupart des personnes qui interviennent sur le terrain n’ont pas ou peu de formation, explique Linda Tuaing, la présidente de l’association des Volontaires Urgentistes de Narenthorn (EVA). Par exemple, les nouveaux cours instaurés par le First Responder, qui durent 24 heures répartis sur trois jours, donnent une place trop importante à la théorie par rapport à la pratique. C’est l’inverse de la formation de même niveau donnée sur deux jours par l’hôpital Rajavithi que suivent nos volontaires. » Ces derniers doivent payer eux-mêmes les 1200 bahts que coûtent les cours, l’association s’autofinançant et étant à la recherche d’un coup de pouce budgétaire du gouvernement ou du privé. En cette période de troubles politiques, la présidente de l’association Narenthorn ne croit pas à une amélioration dans le futur, et ce même si le pays était stable politiquement. « Quelle que soit l’équipe en charge du ministère de la Santé, le service médical d’urgence n’est jamais sa priorité, regrette-t-elle. Le ministère préfère investir dans des hubs hospitaliers et des équipements médicaux coûteux. Depuis la loi de 2008, le nombre de volontaires disponibles a augmenté, mais rien n’a changé au niveau de leurs aptitudes. La Thaïlande mériterait mieux. »

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