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THAILANDE – TOURISME: Le festival des roquettes prêt à faire pleuvoir le ciel de Yasothon

Journaliste : Stéfan Legros
La source : Gavroche
Date de publication : 20/04/2020
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Depuis la route secondaire menant de Sisaket à Yasothon, on aperçoit déjà par endroits de longues traces blanchâtres dans le ciel, à mesure que l’on se rapproche de cette ville de 20 000 habitants, véritable épicentre du festival annuel de Bun Bang Faï, le festival des fusées, prévu le 4 mai cette année. Si Yasothon s’est appropriée la renommée de ce rendez-vous annuel, de nombreux festivals de fusées se tiennent en d’autres lieux de la région Isan – de Nong Khaï à la frontière avec le Cambodge – chaque année entre mai et juin.

 

La coutume, qui tire vraisemblablement son origine, avant l’arrivée du bouddhisme, de rites de fertilité destinés à encourager la venue de la saison des pluies, est célébrée au Laos voisin depuis plusieurs centaines d’années, et a ensuite essaimé dans le Nord-Est (Isan) de la Thaïlande, au vu des traits culturels et linguistiques communs aux deux régions.

 

De cérémonie traditionnelle d’accumulation des mérites, le festival a acquis – comme d’autres fêtes nationales – une dimension plus spectaculaire, à commencer par les défilés folkloriques de chars déversant leurs lots de musique assourdissante et les concours de beauté honorant les trois sexes reconnus en Thaïlande, pour finir en feu d’artifice le dernier jour avec le lancement de roquettes artisanales pour faire pleuvoir un ciel de plus en plus chargé à l’approche de la saison des pluies, augurant de cette manière le bon déroulement des futures récoltes.

 

Pour cette région rurale réputée comme étant la plus pauvre du pays, ce rendez-vous singulier revêt plus qu’une dimension symbolique et folklorique. Il marque le rythme des saisons au moment où va recommencer le dur labeur des semailles, et structure la société locale, chaque village étant invité à parader en ville sur des chars de leur confection avant qu’ils ne se mesurent finalement lors d’un concours de fusées artisanales pour plaire aux esprits auxquels ils sont culturellement très attachés.

 

Ces préparatifs, longs et parfois onéreux, règlent la vie des villages des alentours de longues semaines avant le début des festivités, et les participants les plus en vue durant ce long week-end seront honorés pour l’année à venir. Les autorités locales et les sponsors en tirent aussi un certain prestige, si bien qu’au-delà d’une organisation bon enfant typiquement thaïlandaise, le festival est rondement mené du jeudi au dimanche, et c’est avec un certain brio que les organisateurs s’emploient à faire monter crescendo la pression jusqu’au spectaculaire dénouement final.

Des concours de beauté en guise d’apéritif

 

Les festivités commencent timidement le jeudi soir avec l’élection de « Mister Boun Bang Faï » sur la place centrale de la ville, où quelques stands s’animent déjà. Le lendemain, c’est au tour des filles. La foule est déjà beaucoup plus conséquente que la veille pour applaudir les participantes qui défilent sur l’estrade surplombant la place où le public s’attable autour de mets épicés qui font la fierté de l’Isan.

 

Le présentateur ne résiste pas à appeler au micro les quelques étrangers déjà présents qui se cachent derrière le jury pour mieux voir les miss, alors que ces dernières en costume traditionnel sont invitées à dire quelques mots au micro – le plus souvent des remerciements – entre deux tubes nationaux repris par un orchestre local. L’après-midi déjà, quelques chars ont fait cracher les décibels sur la rue principale, mais une averse annonciatrice a calmé l’ardeur des premiers arrivés.

 

Le samedi est le jour le plus traditionnel du festival, les différentes équipes qui seront opposées le lendemain pour faire voler leurs fusées se parant de leurs plus beaux costumes en exécutant gracieusement des danses traditionnelles à l’avant du cortège. La chaleur suffocante ne semble pas contrarier les jeunes hommes parfaitement coiffés, ni dégrader le maquillage des filles. Sous un soleil de plomb, les participants, accompagnés de musiciens, défilent tour à tour au départ de la pagode de Yasothon dans l’artère principale de la ville.La parade s’arrête à quelques endroits stratégiques pour présenter des chorégraphies au jury d’officiels qui profitent de l’ombre sous les quelques tentes qui jalonnent le parcours, jusqu’à atteindre la gigantesque grenouille, symbole de la ville, deux kilomètres plus à l’Est. Pour plaire aux juges, certaines troupes jouent sur le ressort traditionnel en mettant en scène des mythes ou des traditions locales, alors que d’autres se donnent une image résolument plus moderne en se démenant frénétiquement sur les chars.

 

Le soir, après une petite accalmie, l’élection du « Ladyboy Boun Bang Faï », plus animée encore que les deux précédents concours, clôt la journée sur une note festive, le festival battant vraiment son plein au soir de cette première journée du week-end.

 

Un spectacle pyrotechnique unique en son genre

 

Dès 10 heures le lendemain, quelques traces blanchâtres déchirent déjà le ciel bleu au-dessus du parc Phaya Thaen, un peu à l’extérieur de la ville. Les premières équipes ont déjà investi les quatre rampes de lancement, deux grands pas de tir accolés à deux pas de tir plus modestes, sur lesquels les hommes pour la plupart hissent leurs roquettes artisanales – un mélange de poudre noire et d’autres matériaux empilés dans un simple tube en pvc –, qui peuvent contenir plus de 100 kilos d’explosifs. A quelques mètres seulement des rampes, les spectateurs les plus audacieux peuvent admirer de près le décollage des fusées dont le bruit fracassant fait trembler les mains de ceux qui tentent de capturer à l’aide de leur portable le vol des roquettes.

 

Les tirs se suivent tous les quarts d’heure, le temps pour les participants de chaque troupe d’arrimer leurs fusées aux structures en bois, puis d’admirer le vol d’une petite minute pour les meilleurs, sous les encouragements nourris – en thaï et en anglais – du commentateur.

 

Lorsque la fusée prend un bon départ, les membres de l’équipe se congratulent dans une liesse collective participative, fanfaronnant devant la foule. Mais lorsque la fusée ne prend pas la trajectoire verticale escomptée, la troupe reste prostrée, la tête dans les mains, la déception étant proportionnelle aux longs préparatifs des semaines qui ont précédé l’événement. Dans les deux cas, l’émotion liée à un tir réussi ou à un lancement moins heureux est partagée collectivement par tous les groupes, qui rejoignent ensuite leurs places pour suivre les autres formations.

 

Des cercles se forment dans la zone de lancement, des parieurs agitent de manière ostentatoire des billets de 1000 bahts, qui passent de main en main, à pleine criée. Un Italien marié à une femme du coin, visiblement dépité par le dénouement malheureux des événements, y abandonne deux billets. Tour à tour, les équipes hissent leurs fusées en entonnant des invocations inintelligibles, levant les yeux au ciel quand la fusée s’arrache tapageusement du pas de tir, les yeux rivés sur leurs projectiles jusqu’à ce que la partie encore visible du tube en PVC ne retombe à des kilomètres de sa zone de lancement.

 

L’ambiance est plus électrique que la veille, et le whisky thaïlandais coule à flot depuis les premiers tirs, sans perturber le bon déroulement du concours. à l’arrière, un peu plus en sécurité sous des tonnelles, certaines équipes rivales se ravitaillent ensemble, d’autres sont installées plus en retrait pour apprécier le spectacle.

 

Ceux qui sont déjà passés sur le pas de tir regardent leurs concurrents lancer à leur tour leur fusée, et certaines équipes agrémentent leur show de trouvailles pyrotechniques complémentaires, dont des fumées multicolores qui rajoutent une touche psychédélique à l’ensemble.

 

Un jury équipé de jumelles et de chronomètres délibère pour donner les points et récompenser les meilleurs lancers, mais comme la veille, les critères d’observation des juges sont assez difficiles à cerner pour les étrangers. La hauteur et le temps de vol semblent être toutefois déterminants : plus la roquette part à la verticale, sans tourbillonner – bien que cet effet soit particulièrement joli –, plus elle s’élève dans le ciel, semblant ne jamais vouloir redescendre. Le bruit de certaines roquettes est réellement impressionnant lors du décollage et les spectateurs sont toujours aussi nombreux quand les dernières équipes s’affairent un peu avant 16 heures.

 


La journée se termine dans un grand bain de boue – certaines troupes ont aspergé les champs à cet effet –, étape cathartique pendant laquelle les différentes équipes échangent leurs impressions de manière communicative. Quelques concerts se poursuivent jusqu’au coucher du soleil sur les podiums où des danseuses en tenue légère se déhanchent au son frénétique du molam, ensorcelant quelques jeunes hommes déjà bien éméchés qui tendent des billets de 100 bahts aux danseuses les plus entreprenantes.

 

 

En ville, les stands sont déjà démontés, sauf pour un dernier concert qui convie un public plus jeune venu écouter un répertoire de reprises de tubes du moment. L’unique boîte de nuit de la ville pompe les dernières forces de ceux qui n’ont pas encore rejoints leurs quartiers, quand le ciel de Yasothon se déchaîne, semblant avoir entendu les appels à la pluie. Les dieux ont été honorés, la mousson peut commencer comme chaque année, et toute une région se remettra bientôt au travail.

 

Le lundi matin, la ville retrouve son calme apparent de petite ville de province. Tout le monde semble déjà avoir repris le chemin des champs ou profiter d’un repos bien mérité. De retour vers Ubon Ratchathani, le son vrombissant des fusées est encore présent dans toutes les têtes et une nouvelle pluie torrentielle de mi-journée semble reverdir les rizières le long des routes.

 

Stéfan Legros (http://www.gavroche-thailande.com)

 

Article paru dans le numéro 282 du Gavroche (Avril 2018). Pour l’acheter ou vous abonner c’est ici.

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