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FRANCE-THAÏLANDE: « Pourquoi je crois en la Thaïlande ! » par Eric Sayettat, conseiller économique

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 25/05/2019
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Avant de quitter Bangkok, où il a dirigé pendant plusieurs années le service économique de l’Ambassade de France, Eric Sayettat dresse pour Gavroche le bilan de son action et des relations franco-thaïlandaises. Un plaidoyer pour un engagement français plus dynamique dans l’ex royaume de Siam.

 

La Thaïlande semble avoir défié tous les pronostics économiques négatifs. Comment l’expliquez-vous ?

 

Si j’osais un retour historique, je dirais que ce pays a l’habitude des pronostics négatifs faits à l’étranger.

 

Dans les années fin 1960 début 1970 certains le présentait comme le dernier domino…

 

Et ce fut le seul à ne pas tomber.

 

Les pronostics négatifs sont souvent le résultat d’une vision partielle et parfois partiale de la Thaïlande.

 

Les seuls facteurs objectifs qui conduiraient à un certain pessimisme sont, de mon point de vue, ceux de la démographie (le pays vieillit très vite) et de l’éducation supérieure.

 

Pour le reste, l’économie thaïlandaise dispose d’une base industrielle extrêmement solide.

 

Qui sait par exemple que ce sont les filières automobile et électronique qui sont les premières filières exportatrices du pays ?

 

Oui la Thaïlande construit à peu près autant de véhicules automobiles que la France ; ce sont d’ailleurs ces filières d’exportation (+10% en 2017 et +7% en 2018) qui ont le plus contribué à la reprise économique.

 

Le tourisme est le premier pourvoyeur de devises (comme dans de très nombreux pays, dont la France) mais sa part dans le PIB ne dépasse pas 14 à 15% contre près de 30% pour le secteur secondaire.

 

Ce tourisme n’a d’ailleurs pas beaucoup souffert des soubresauts politiques et il a bénéficié de la montée en puissance de la fréquentation chinoise comme de la désaffection pour certaines destinations méditerranéennes.

 

Un autre facteur explicatif est lié aux grands travaux qui ont été lancés, surtout des travaux d’infrastructures de transport comme le doublement de presque 3000 km de voies ferrées, la construction de 464 km de métro à Bangkok, ce qui est assez rare.

 

J’ajouterais que les embouteillages de Bangkok et les millions d’heures perdues qu’ils représentent sont l’un des boulets qui limitent la croissance du pays, le jour où ce boulet sera allégé, le pays gagnera sans doute 0,2 point de croissance.

 

Enfin, je crois que certaines mesures sociales destinées aux plus pauvres, ont aussi contribué à la reprise.

 

Le salaire minimal qui est encore très bas a été relevé, certains subsides et une couverture maladie ont été mis en place ou confirmés pour les familles les plus vulnérables, les minima vieillesse ont aussi été amélioré.

 

Tout cela peut paraître modeste, mais c’est le corollaire d’une société qui est entrée en transition démographique.

 

Pourquoi le royaume est selon vous un poumon économique régional qu’il faut prendre en compte ?

 

C’est à la fois une question géographique et de poids économique.

 

La Thaïlande occupe une place centrale sur la péninsule indochinoise, pendant plusieurs décennies, ce pays fut coupé de tous ses voisins (sauf de la Malaisie) avec lesquels les routes, les voies aériennes et les télécommunications étaient réduites à peu près à néant.

 

Tout changea progressivement à partir de 1991 et des accords de Paris sur la paix au Cambodge, la Thaïlande redécouvrit alors une continuité territoriale dont elle s’était passée pendant toute la première phase de son développement économique.

 

Puis il y eu les projets ASEAN-Connect qui, sur cette partie continentale de l’ASEAN, mettaient la Thaïlande au cœur des réseaux d’infrastructures.

 

De nombreux points de passage frontaliers terrestres ont été ouverts, d’abord avec le Laos et le Cambodge, plus tard avec la Birmanie.

 

Il reste encore pas mal de possibilités dans ce domaine et quand on ouvre un poste-frontière, on permet la circulation des marchandises, c’est souvent une décision qui bénéficie aux deux parties et parfois au-delà.

 

Les postes frontières laotiens ouvrent les routes du Vietnam, désormais très actives et celles de la Chine du Sud d’où viennent de nombreux camions.

 

On pourrait aussi faire la même remarque sur les lignes aériennes qui, de Thaïlande, desservent désormais assez bien le Vietnam, le Laos, le Cambodge et la Birmanie, notamment compte tenu de la fréquentation touristique, qui, en Thaïlande, est très majoritairement asiatique.

 

Quand on prend le critère économique, le PIB de la Thaïlande est légèrement supérieur à celui des quatre autres pays indochinois réunis (Birmanie, Cambodge, Laos, Vietnam).

 

Cela favorise la Thaïlande dans son rôle d’investisseur dans les pays voisins.

 

Ses grands conglomérats industriels, souvent familiaux, sont à la recherche de marchés en croissance (la croissance thaïe est actuellement de 3,5% en rythme annuel, elle est supérieure ailleurs dans la région) ; ils disposent de liquidités importantes et d’une monnaie forte (le baht s’est apprécié ces deux dernières années face au dollar US).

 

La place boursière de Bangkok a désormais pris l’avantage sur celle de Singapour en termes de liquidités et de cotations d’entreprises (depuis 2012, elle est à la première place régionale pour le marché des capitaux), elle s’ouvre aussi aux financements d’opérations régionales.

 

Il y a aussi le rôle des quelques 3,5 millions de travailleurs venus des pays voisins pour travailler en Thaïlande, ils rapatrient en partie leurs salaires dans leurs pays d’origine (la réglementation bancaire s’assouplit d’ailleurs pour favoriser les transferts directs pour eux comme pour les PME) et cela contribue à faire de la Thaïlande un poumon économique régional.

 

Enfin je soulignerais l’exhumation, par la Thaïlande, de l’ACMECS en tant qu’outil d’intégration économique et commerciale.

 

Cela peut avoir un effet bénéfique pour toute la péninsule indochinoise : intégration des infrastructures frontalières, accords sur les biens en transit, visas touristiques uniques, plateformes de dédouanement etc, les pistes d’amélioration de l’existant sont nombreuses et c’est la Thaïlande qui est à leur initiative.

 

Quel bilan tirez-vous de votre mission à Bangkok ?

 

Je crois que j’ai eu de la chance d’arriver ici en août 2016, le jour du vote pour la nouvelle constitution… mais surtout au moment où la stratégie Thailand 4.0 était rendue publique, au moment où les grands schémas d’infrastructures étaient approuvés et au moment où commençait la réflexion sur la loi encadrant l’Eastern Economic Corridor (EEC).

 

Bien sûr, il y a des lenteurs dans la mise en œuvre de cette inflexion de politique économique, mais elle a le mérite d’être lisible et réaliste; le pays veut désormais monter en gamme (se détacher de l’économie low-cost).

 

S’il veut devenir un pays riche tout en entrant en phase de vieillissement, il sait que pour cela, il doit produire davantage de valeur ajoutée, c’est ce qu’affiche sa stratégie nationale à 20 ans.

 

Ma mission a consisté à expliquer et présenter cette inflexion majeure et à combattre les poncifs qui sont immanquablement associés à la Thaïlande, surtout en Europe.

 

Les entreprises françaises ont compris cette évolution, deux missions groupées importantes (MEDEF International) sont venues à Bangkok en 27 mois, ce qui est assez rare.

 

Bien sûr, il y a des lenteurs dans la mise en œuvre de cette inflexion de politique économique, mais elle a le mérite d’être lisible et réaliste.

 

C’est aussi une facette du bilan du service économique, d’avoir aidé de grands groupes thaïlandais à investir en France.

 

Au moment où la France accentuait sa politique d’accueil des investissements étranger, j’ai aussi eu la chance de trouver des grandes entreprises thaïlandaises désireuses d’investir sur les marchés lointains, pour y acquérir des techniques nouvelles (R&D, marketing, etc).

 

Là encore qui sait que la marque de thon «Petit Navire» appartient désormais à Thai Union ou que restaurant «Le Grand Véfour» appartient au groupe Mudman?

 

Qui aurait imaginé que des PME industrielles lorraines ou iséroises seraient rachetées par des groupes thaïlandais désireux de mieux s’intégrer dans les filières du plastique ou de l’automobile ?

 

La France peut-elle être davantage présente dans le pays ? Dans quel secteur peut-elle gagner des parts de marché ?

 

La part de marché de la France dans la région est faible.

 

En Thaïlande, elle est d’environ 1,5%, ce qui est mieux que partout ailleurs sauf à Singapour.

 

Elle doit beaucoup aux exportations d’aéronefs et de satellites qui assurent, ici comme partout dans la région, entre 35 et 50% de nos ventes selon les années.

 

L’aéronautique est donc notre principal moteur économique et notre présence dans ce domaine va, je l’espère, se renforcer.

 

Airbus construit le deuxième satellite d’observation de la Thaïlande (Theos II) dont une partie sera assemblée en Thaïlande – ce qui est une première régionale.

 

Airbus envisage un important investissement dans un centre de maintenance pour les gros-porteurs; il s’agit d’un partenariat avec Thai Airways International, à U Tapao donc dans l’EEC.

 

ATR, franco italien, est très présent dans ce pays et aussi dans la région.

 

Thalès a une place de choix dans la couverture radar du pays.

 

Outre l’aéronautique, les grands investissements français en Thaïlande sont industriels : Schneider Electric, Michelin, Valéo, Saint Gobain, Total, Essilor, etc.

 

Tous modernisent et renforcent leur présence.

 

Enfin, parler de parts de marché, c’est aussi parler des biens de consommation.

 

Dans ce domaine, nous souffrons d’un handicap, la Thaïlande, comme tous les pays en développement, maintient des taxations douanières élevées sur certains produits.

 

me les cosmétiques, les produits alimentaires ou les alcools.

 

Cette taxation ne changera que lorsque nous aurons conclu et mis en œuvre un accord de libre-échange entre l’UE et la Thaïlande.

 

C’est alors que nous pourrons progresser à égalité avec les pays qui disposent déjà de tels accords, par exemple l’Australie ou la Corée.

 

La reprise des négociations UE Thaïlande interrompues en 2014 est prévue pour cette année.

 

Je voudrais aussi souligner une réalité économique qui passe souvent inaperçue, car elle n’est pas prise en compte par les statistiques douanières.

 

Il s’agit de la présence française dans les services (assurance avec AXA ou transport maritime avec la CMA CGM par exemple) avec en tout premier lieu l’ingénierie.

 

Plusieurs grands bureaux français d’ingénierie sont à Bangkok et suivent de nombreux projets ; la présence économique française leur doit beaucoup.

 

J’espère aussi qu’ils seront suivis par des « concessionnaires » français puisque les projets en Partenariats Public-Privé sont amenés à se développer et les entreprises françaises sont reconnues.

 

Thalès-Gemalto a remporté récemment un important contrat de concession, Vinci, Transdev, SNCF International, ADP s’intéressent aussi de près à la Thaïlande.

 

Notre présence future passera en partie par ces entreprises de services.

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