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THAILANDE: Est-il permis de s’opposer aux militaires (et à Prayuth) ?

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 07/07/2019
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Notre ami Philippe Bergues, enseignant et observateur basé en France, scrute de près l’actualité thaïlandaise. Il nous livre ici une tribune percutante et pertinente sur la situation politique dans le royaume après les élections législatives du 24 mars dernier dont l’objectif était, pour la junte militaire au pouvoir depuis mai 2014, de montrer que la Thaïlande reprenait le chemin de la démocratie pour revenir dans le champ de la respectabilité internationale. Contrat rempli ? Pour le savoir, lisez ce texte bien senti et argumenté.

 

Aux dires du premier ministre Prayut-chan-Ocha, les étrangers, diplomates, journalistes ou chercheurs ne comprendraient pas la spécificité de la « démocratie thaïlandaise », paternaliste et autoritaire, qui répondrait à la nécessité de protéger la nation et la monarchie dans un ordre imposé par l’establishment militaro-royaliste.

 

Voire. Les près de 7 millions de voix attribuées au Future Forward Party prouvent que les jeunes électeurs thaïlandais souhaitent une véritable démocratie sans passe-droits ni justice à deux vitesses.

 

La réalité est que le verrouillage post-électoral favorisant les militaires certifie que la Thaïlande est passée dans l’ère de la « démocrature ».

 

Le journaliste indépendant Max Constant anticipait ce scénario le 18 mars 2019 six jours avant le scrutin sur le site www.diploweb.com par ces propos : « En Thaïlande, l’objectif de la junte est de convertir le régime dictatorial qu’elle exerce actuellement en régime autocratique légitimé par un vernis électoral. Cette stratégie s’exerce notamment vis-à-vis de la communauté internationale, car les autorités sont avides de reprendre les négociations sur les traités économiques et commerciaux, comme par exemple l’accord de libre-échange Union européenne-Thaïlande, suspendu depuis le coup d’État de mai 2014. Les pays occidentaux et le Japon se satisferont-ils d’une « mise en scène électorale », pour relancer à plein leurs relations de coopération avec le royaume. »

 

Supercherie démocratique ?

 

L’organisation de ces élections, en amont, et un long processus d’attribution des sièges, en aval, auront démontré un savoir-faire impressionnant de supercherie démocratique : adoption d’une constitution cooptant les amis de la junte au Sénat militaires ou non avec une dose de népotisme (le fils de Prayuth devenu lui-même sénateur), censure de l’opposition par des lois restreignant la liberté d’expression, modification des règles attribuant les sièges après le jour du scrutin, suspension de siéger à la Chambre basse pour Thanathorn Juangroongruangkit, leader du Future Forward Party, également accusé de sédition.

 

Ce dernier, candidat au poste de Premier ministre face à Prayuth-chan-Ocha, dénonçait un « sabotage politique » et affirmait que ses parts détenues dans la société V-Luck Media avaient été légalement transférées bien avant la campagne.

 

On peut observer que 32 sénateurs désignés par la junte pouvaient également être accusés de conflit d’intérêt avec des entreprises de médias, mais dans ces cas, la cour constitutionnelle n’a pas été aussi pointilleuse pour sanctionner des dossiers assez similaires.

 

N’oublions pas que celle-ci, très politisée, n’avait pas hésité à interdire le parti Thai Raksa Chart en février dernier lors de la candidature avortée de la princesse Ubolratana.

 

Le fonctionnement du Parlement montrera comment l’opposition entend faire entendre sa voix dans un cadre législatif et comment Prayuth réagira à l’épreuve du débat parlementaire pour défendre les orientations de son exécutif, tant il est peu habitué à subir et à accepter des remontrances.

 

Prayuth a récemment menacé du retour à la méthode ancienne c’est-à-dire l’organisation d’un coup d’État si les députés et membres de partis, y compris du sien, contrarieraient sa feuille de route.

 

Est-il encore permis de critiquer et penser librement en Thaïlande ?

 

Les militaires avaient promis que leur prise du pouvoir en mai 2014 et le chemin qu’ils traceraient vers le retour à la démocratie amènerait la réconciliation nationale, la lutte contre la corruption et la joie pour le peuple thaïlandais.

 

Ces effets d’annonce seront restés vains tant la junte et ses soutiens constitutionnels appliquent le deux poids, deux mesures. Dans une véritable démocratie, les règles du débat politique ne sont pas tronquées et les opposants ne sont pas intimidés.

 

Le crime de lèse-majesté a été ressorti contre Pannika Wanich, députée et porte-parole du Future Forward Party, en raison de commentaires datant de 2010 jugés inappropriés sur les réseaux sociaux à l’encontre de feu le roi Bhumibol.

 

En réponse, celle-ci a aussitôt réaffirmé son attachement à la monarchie constitutionnelle.

 

Les agressions contre les militants pro-démocratie se multiplient dont la plus récente contre Sirawith « Ja New » Seritiwath, étudiant connu pour l’organisation de de manifestations anti-junte, et des exilés politiques au Laos comme le groupe de folk Faiyen ont fait l’objet d’une campagne de sensibilisation internationale face à leurs craintes d’être assassinés pour penser différemment et l’exprimer à propos de l’institution monarchique et des hauts gradés de l’armée.

 

Même la satire est considérée comme une insulte, un expatrié français résidant depuis 15 ans à Bangkok, a dû s’excuser en signant une lettre pré-écrite pour avoir posté une vidéo, visionnée plus d’un million de fois sur YouTube, parodiant les discours et chansons « Return to happiness » de Prayuth à la télévision, avec ordre de la retirer sans délais.

 

Nettoyer le pays de la corruption

 

Concernant la corruption, les militaires disaient vouloir nettoyer le pays de celle-ci, or cet engagement ne s’est guère appliqué à leurs rangs comme l’ont montré les hasardeuses explications du vice Premier ministre et ministre de la Défense Prawit Wongsuwan pour justifier de la possession de 16 montres de luxe que ses indemnités officielles ne lui permettent pas d’acquérir.

 

Sous une totale impunité et à l’aide d’une répression cynique contre ceux qui s’opposent à leurs volontés, les militaires serviraient-ils leurs propres intérêts avant ceux de la nation thaïlandaise ?

 

La seule réaction officielle du ministère des Affaires Étrangères et Européennes à Paris à propos de l’évolution politique thaïlandaise date du 26 mars dernier : « La tenue des élections législatives en Thaïlande dimanche 24 mars constitue une étape essentielle au rétablissement d’institutions démocratiques dans ce pays. Nous appelons à un processus transparent pour la publication dès que possible des résultats et pour le traitement des éventuelles contestations en cas d’irrégularités. Nous travaillerons avec le prochain gouvernement thaïlandais issu des urnes, pour renforcer encore notre relation avec ce partenaire important en Asie du Sud-est. »

 

Depuis ce communiqué, il serait intéressant que le quai d’Orsay donne la position officielle de la France sur les conditions de l’installation du nouveau parlement thaïlandais, son ressenti sur la suspension du leader de l’opposition Thanathorn, les droits de libre expression et de libre-pensée bafoués – valeurs occidentales chéries – mais on sait que chancelleries ne s’ingèrent pas publiquement dans les affaires intérieures d’un pays tiers.

 

Lors du dernier G20 à Osaka, Prayuth-chan-Ocha se faisait photographier le pouce levé en compagnie de Donald Trump et de Vladimir Poutine.

 

Pour montrer sa légitimité et sa nouvelle stature de Premier ministre d’un gouvernement « civil » aux yeux du monde et du peuple thaïlandais ? Ce pouce levé mérite en tout cas quelques explications…

 

Philippe Bergues
Diplômé de l’Institut Français de Géopolitique – Paris 8
Professeur de lycée d’histoire-géographie

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