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Birmanie : les farces criminelles

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 17/12/2012
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Il est un pays où le rire peut mener loin…: au fin fond du Nord du pays, dans des cellules froides et insalubres, les pieds reliés par des barres de fer, le quotidien rythmé par les pierres brisées… Sortis de prison il y a 5 ans, les frères Moustache, malgré les risques qui les guettent, font de la résistance depuis leur petite maison théâtrale de Mandalay.

 

Tous les soirs, une dizaine de touristes se rend dans le quartier des spectacles de Mandalay et s’arrêtent sur la 39ème rue (entre la 80ème et la 8ème rue). Là, dans une petite échoppe de bois résident les frères Moustache. C’est là que joue aussi la troupe qui depuis 1996 ne peut se produire nul part que chez eux. Ils ont pris la junte au mot et accueillent les touristes à huis clos.

 

Des marionnettes sont accrochées au mur, actrices déchues par le régime. Les grandes figures de la tradition birmane sont présentes dans la maison des dissidents: Mintha (le Prince), Minthamee (la princesse), Wun (le ministre), Yathay (l’hermitte), Natkadaw (le voyant) mais aussi Myauk (le singe), Kyar (le tigre) et Zawgyi (l’alchimiste). Tous les soirs se réunit cet ensemble mythique qui a enrichi les grandes tournées troubadour des frères M., témoins nostalgiques d’une époque révolue où les mots et les mimes caressaient un semblant de liberté d ‘expression.

 

Les frères Moustache, ce sont trois frères: Lu Maw, Lu Zaw et Par Par Lay… C’est aussi une légende moderne qui s’est enflammée il y a bientôt 40 ans alors que la troupe parcourait le pays de village en village. Issus de deux générations de comédiens élevés dans la plus pure tradition birmane «A Nyent Pwe», les frères Moustache. ont durant 30 ans diverti la population par des spectacles de marionnettes, de chants, de danses… Sans liberté de la presse et sans accès libre à Internet, la tradition orale satirique des comédiens a aussi toujours été un moyen subtil de commenter la situation sociale et politique du pays.

 

Tout va basculer en 1996. Brillants critiques de la vie quotidienne birmane, les trois frères sont invités à se produire lors du spectacle donné en l’honneur du jour de l’Indépendance, le 4 janvier 1996, à la maison de KSSA, devant deux mille personnes. Par Par Lay et Lu Zaw, les deux grands frères, avaient préparé un spectacle piquant, notamment sur la corruption et la difficulté grandissante de gagner de l’argent pour survivre en Birmanie. Plus de trois mille blagues fusèrent. «Dans le passé, les voleurs étaient appelés des voleurs. Aujourd’hui on les appelle des fonctionnaires», disait Par Par Lay, mimant les membres de la junte…

 

Le soir même, la troupe regagna Mandalay et, durant la nuit, ses membres furent arrêtés par les hommes de la redoutable MI (Military Intelligence, aujourd’hui dissoute). Tous furent relâchés au bout de deux semaines, sauf les comédiens principaux Par Par Lay et Lu Zaw qui ne remirent les pieds chez eux que… six ans plus tard. «Mes frères furent condamnés à sept ans pour avoir diffusé de fausses informations dans leurs sketches sur les militaires. Le 18 mars 1996, ils furent envoyés à la prison de Kyein Kra Ka, près de Mitkyina, dans l’Etat de Kachin. Tous les jours on leur a fait casser des pierres, une barre de fer d’un mètre aux pieds et dans des conditions minimales de survie. Nous n’avions aucun contact avec eux.» La troupe, amputée de deux de ses principaux acteurs, fut interdite de se produire autre part que dans leur maison et sans costumes. Durant les six ans d’emprisonnement de ses frères, Lu Maw n’a eu cesse de relancer le show tous les soirs, invitant tous les voyageurs indépendants à venir dans un esprit de protestation et de soutien au nom de ses frères en danger de mort quotidien.

 

Leur incarcération a été perçue comme une offense directe à la culture traditionnelle birmane, mais elle a engendré aussi la première grande mobilisation d’artistes internationaux pour la liberté d’expression artistique en Birmanie. Dix grands comédiens américains signèrent une pétition qui aurait réussi à réduire d’un an leur peine. Aujourd’hui, les frères Moustache n’en ont pas perdu leur humour et continuent de se produire envers et contre tout.

 

Depuis le 25 juillet 2001, la seule activité légale de la troupe est de vendre des marionnettes et des masques. Malgré tout, ils défient le système en invitant les touristes à se rendre chez eux et à écouter leur cause. Ils mettent en avant l’incompétence économique grandissante de la junte, dénonçant le rationnement de l’eau et de l’électricité. «Notre spectacle est illégal. Il n’y a pas de liberté d’expression, ni d’associations d’artistes au Myanmar. Chaque mot et chaque image produites doivent être approuvés par la censure. Une critique du gouvernement peut signifier au mieux de longues années en prison, au pire la torture et la mort.» Les frères Moustache font partie de ceux qui pensent que le tourisme peut être bénéfique à la communauté birmane. Pas n’importe quel tourisme cependant: le tourisme conscient. «La junte veut attirer les touristes internationaux. Mais pas tous. Les bons touristes, encadrés de trois guides et pleins de billets en poche. Nous au contraire, nous encourageons le touriste indépendant à venir au Myanmar. Celui qui veut comprendre le pays au travers de ses gens. Beaucoup de Birmans n’ont jamais entendu parler du boycott international de la Birmanie, comme beaucoup de touristes n’ont pas entendu parler des horreurs pratiquées en Birmanie contre la population», explique Lu Maw avant d’ajouter: «Diffusez l’histoire de mes frères. Les touristes et les médias sont notre protection, c’est pourquoi nous continuons de prendre le risque de jouer à huis clos.»

 

Dunialah

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