Une chronique de Patrick Chesneau
En Birmanie, la tragédie oubliée
La junte militaire, qui a pris le pouvoir par un coup d’État il y a trois ans à Rangoun, la plus grande ville de Birmanie, n’a de cesse d’assassiner son propre peuple. Min Aung Hlaing, le chef des généraux corrompus, est un criminel patenté.
Son régime sanguinaire s’arme massivement auprès de la Russie et de la Chine.
Tatmadaw, l’armée birmane, mène une guerre féroce contre les forces démocratiques de la résistance. L’aviation bombarde les écoles, les hôpitaux, les temples. Les soldats ont une pratique éprouvée : ils incendient méthodiquement les récoltes pour affamer et rasent des villages entiers. Un carnage à ciel ouvert. Pas de chiffres irréfutables aisément disponibles, mais le décompte des victimes établi par les différentes guérillas fait état d’au moins 30 000 morts depuis le putsch sanglant. Les civils fuient à travers la jungle et tentent de se réfugier en Thaïlande.
Qui se soucie du drame du peuple birman ?
C’est simple : tout le monde s’en fout. En France, en Europe, en Occident, le désintérêt est patent. À peu près personne ne dénonce les atrocités perpétrées par un régime de tueurs galonnés.
Aucun intellectuel ne considère véritablement cette cause. Aucun appel à manifester à Paris ou dans les capitales de l’Ouest pour dénoncer les exactions de la junte de Naypyidaw, la capitale bunkérisée. Pas de banderoles, pas de calicots. Pas non plus d’écrits ou de slogans intimant à Moscou et à Pékin de cesser de se ranger aux côtés des bourreaux en uniforme.
Les universitaires, les écrivains, les militants politiques et syndicaux, les journalistes, les artistes… vaquent à leurs occupations. Prière de ne pas déranger pour une cause si lointaine. L’Asie du Sud-Est, pourtant tellement prisée des voyageurs et des vacanciers. Sans doute, dans les drames qui ensanglantent la planète, y a-t-il les bons et les mauvais suppliciés.
Et à l’index des tortionnaires, Min Aung Hlaing n’a pas, semble-t-il, la même morbide notoriété que les grands potentats familiers de la chronique de l’horreur contemporaine. Au chapitre des catastrophes humaines, il y a l’Ukraine. Il y a Gaza. Sachez qu’il y a aussi la Birmanie.
À la vérité, les pays limitrophes, membres de l’ASEAN, la communauté régionale, détournent eux aussi pudiquement le regard ou condamnent avec l’énergie d’un paraplégique. Un bombardement aérien sur un village karen a fait 32 morts. C’était il y a une semaine. Mais ces faits sanglants sont quasi quotidiens.
Le peuple birman crève dans l’indifférence générale.
Patrick Chesneau
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J’ai passé il y a 5 ans un magnifique voyage dans ce beau pays qui m’a rappelé la Thaïlande des années 80 peuple courageux
Quelle tristesse à qui profite le mal ??? Aux mêmes
Au Cambodge pendant que Pol Pot massacrait son peuple qui a bougé en France ??? Personne.
Personne à l’exception de quelques intellectuels « en vue » et en majorité « germanopratins » qui encensèrent Pol Pot et sa suite comme les dignes combattants contre l’impérialisme américain et les fondateurs d’une humanité nouvelle et d’un « avenir radieux ». En mal d’exotisme politique, ils trouvèrent, quelques années plus tard, une nouvelle cause dans l’adoration de l’ayatollah Khomeini. À l’époque, les soutiens étaient moins nombreux que ceux adressés à ceux qui, à, Gaza, précipitent les homosexuels du haut des toits d’immeubles. Eux seuls sont réputés rassembler la pointe des combats pour une humanité meilleure délivrée des souillures de l’homme blanc et surtout juif. Pas de place pour les Rohingyas et autres Birmans….
Pour répondre à la question posée, quelques observations et une piste de réponse :
En Europe, en France particulièrement, la seule préoccupation qui vaille est “Gaza”. Rien d’autre n’existe dans le monde. Pourquoi ? Parce que l’obsession est Israël : la politique de ses dirigeants, si ce n’est son existence même. Ce qui préoccupe les médias et une opinion publique manipulée, ce ne sont pas les Palestiniens – et j’ai pu m’en rendre compte, il y a plus de trente ans, dans les camps de Yarmouk près de Damas. Ce qui préoccupe les porteurs de drapeaux palestiniens, du Hamas et parfois du Djihad islamique, c’est la “nazification” d’Israël et le sort qui devrait lui être réservé… “Du fleuve à la mer”, est-il vociféré.
Dans une spirale intersectionnelle, Gaza a vampirisé toutes les causes anti-impérialistes, décoloniales, antiracistes, féministes, gays et anti-occidentales de toutes obédiences. Israël est son exact opposé. Les bons et le méchant : le bon d’un côté, la bête et le truand réunis de l’autre. On constate un résultat tangible à tendance exponentielle dans plusieurs pays occidentaux : d’un côté, une aubaine pour une récolte électoraliste aux futures élections de la part d’une gauche surtout radicale (et de certains politiques dits “gaullistes”), dont l’antisémitisme a été repeint en antisionisme ; de l’autre, la hausse des actes et agressions antisémites.
Le peuple birman est ignoré, et de partout, c’est vrai ; et pourtant une de ses composantes, bien que niée par les dirigeants de Naypyidaw, est constituée de musulmans. La cause de ces derniers importe-t-elle aux yeux de ceux qui, de par le monde, brandissent des drapeaux palestiniens et du “Hamas” ?
À la cause rohingya, j’ajouterai celle d’un peuple voisin (celui du Tibet a été “réglé”), situé aux confins occidentaux de la Chine, dont notre chroniqueur déplore l’aide massive aux massacres. Assiste-t-on, en France, sauf rare exception, au moindre soutien à la cause ouïghoure ?
Pour ce qui est de la Russie, quelle est sa politique à l’égard de ses minorités musulmanes ? Grozny I, Grozny II, Daghestan… Par contre, ses relations avec l’Iran, contempteur en chef d’Israël, sont cordiales lorsqu’il s’agit de se procurer des drones “Shahed”…
Notre chroniqueur, faute de viser le pays dans lequel il réside (ce que je suppose), préfère, plus prudemment, “les membres de l’ASEAN”. Il doit être assez informé – et pas seulement sur les boîtes de nuit de Silom – pour savoir dans quelles conditions une opinion, et plus encore son expression, peut être émise… Et de culpabiliser les vacanciers insouciants, fussent-ils universitaires, écrivains, militants politiques et syndicaux, journalistes et artistes (et la liste promet d’être longue), et semble-t-il complices des massacres… Allez-vous préconiser un boycott et leur interdire les boîtes de nuit ?
Bonjour,
Hélas, c’est toujours pareil !
Pendant la guerre d’Algérie, Edgar Faure disait déjà : « L’immobilisme est en marche… rien ne pourra l’arrêter ! »