Une chronique diplomatique d’Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal.
L’auteur de ces lignes avait déjà écrit sur le même sujet le 4 mai 2025, mais la politique Trump change tous les jours voire plusieurs fois par jour, c’est pourquoi ces éléments complémentaires sont à lire sans illusion : tout peut être bouleversé rapidement.
Un webinar organisé conjointement par la Rajaratnam School of International Studies (RSIS) de Singapour et la Foreign Policy Community of Indonesia (FPCI) a eu lieu le 26 septembre 2025. Les intervenants en ont été des professeurs d’Université (Todo Yasuyuki de Waseda, Nguyen Anh Tuan du Vietnam), un ex-haut fonctionnaire (Iman Pambogyo, DG du commerce international d’Indonésie en 2012-2020) et Jayant Menon de l’ISEAS, autre think tank singapourien, ex-chef économiste à la Banque Asiatique de développement. Un auditeur s’y est ajouté en fin de Webinaire.
L’auteur de ces lignes en a retenu les points suivants.
• les droits de douane imposés par le Président Trump ont rudement frappé les pays concernés (pays d’Asie du Sud-Est, Japon et Inde ont été évoqués) qui ont négocié en ordre dispersé. Au bout du compte, chacun allant négocier avec l’administration américaine leur impact est limité, mais Trump étant là pour 4 ans, il faut s’attendre à une nouvelle salve de sa part ;
• leur effet est déjà et sera récessif pour le monde entier, y compris pour les États-Unis, ce qui ne manquera pas de provoquer des réactions imprévisibles;
• l’Asie du Sud-Est doit se montrer plus cohérente et diversifier ses débouchés :
• plus cohérente : il faut que le commerce intra-ASEAN augmente (15 à 20% actuellement au lieu de 78% entre les États-membres de l’Union européenne (UE), avec des variations selon les pays (30% pour Chypre et 81 % pour la République tchèque.). L’ASEAN doit donc adapter à cette situation ses chaines de valeur.
• D’autre part, elle exporte surtout des services, il faut donc que ses travailleurs soient plus mobiles et que leur formation soit améliorée ; M. Todo a mis en exergue les efforts dans ce sens du Japon (JETRO etc)
• Diversification : il y a déjà le Partenariat économique régional global, ou en anglais Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership (CPTPP) qui comprend un accord de libre-échange entre quinze pays autour de l’océan Pacifique : les 10 de l’ASEAN ainsi que l’Australie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande. C’est l’accord commercial le plus important du monde pour la population et le PIB couverts. Les Etats-Unis n’en font pas partie, conséquence du refus du Président Trump en 2017.
Il faut donc que l’ASEAN regarde dans cette direction ainsi que vers l’Union européenne avec laquelle a été conclu en 2021 un accord de libre-échange, articulé sur des accords bilatéraux avec chacun des pays membres de l’ASEAN. Cela vient d’être conclu avec l’Indonésie et reste à négocier avec les autres ; il faut au-delà viser l’Amérique latine, le Canada et même l’Australie, bref, construire un nouvel ordre mondial qui ne dépende plus des Etats-Unis sans pour autant se rendre dépendants de la Chine, ce dont ne veulent ni les membres de l’ASEAN ni les autres partenaires.
• Le rôle de l’Organisation mondiale du commerce a constamment été rappelée par les intervenants, on sait que les pays asiatiques y sont très attachés, ils souhaitent un monde gouverné par des règles encadrant le libre-échange et l’investissement.
Un étudiant indonésien a demandé naïvement pour quoi le Sud qui assure 85% du commerce mondial ne pourrait supplanter le Nord qui ne fait que 15%. Réponse embarrassée : c’est la volonté politique qui le permettra.
On ne saurait conclure car beaucoup dépend des décisions du Président américain qui sont imprévisibles dans leur versatilité, mais on voit s’esquisser un monde qui ne dépendrait plus uniquement des États-Unis, surtout en matière commerciale.
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