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ASIE – GÉOPOLITIQUE : Quel est le sentiment du « sud global » ?

Date de publication : 26/02/2024
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Une chronique de Ioan Voicu

 

Du 16 au 18 février 2024, les lecteurs du rapport intitulé Lose-Lose ? Munich Security Report 2024, présenté à la Conférence de Munich sur la sécurité internationale, ont eu l’occasion de lire la citation suivante dans un document de 127 pages : « Quand la réalité s’écarte de la rhétorique, nous devons avoir le courage de le dénoncer. Sans une véritable solidarité, il ne peut jamais y avoir de véritable confiance. C’est tout à fait le sentiment des pays du Sud Global ». (p.17)

 

Ces mots appartiennent à Subrahmanyam Jaishankar, ministre indien des Affaires étrangères.

 

Il s’agit d’une idée d’actualité fondamentale qui mérite d’être commentée pour les lecteurs de la revue Gavroche, alors que la problématique des pays du Sud Global prend aujourd’hui une importance mondiale croissante, tandis que les études académiques sur les questions parfois extraordinaires liées à 80 pour cent de la population de la planète ne sont pas suffisamment reflétés dans les grands médias.

 

Heureusement, un ouvrage collectif récent intitulé The Routledge Handbook on Livelihoods in the Global South, édité par Fiona Nunan, Clare Barnes et Sukanya Krishnamurthy, Londres et New York, 2023, 558 pages, permettra de rappeler quelques considérations doctrinales sur le concept de confiance et de solidarité vu par les auteurs du livre.

 

Mais qui sont les éditeurs et les auteurs de cet ouvrage ? Fiona Nunan est professeur d’environnement et de développement au département de développement international de l’Université de Birmingham. Clare Barnes est chargée de cours interdisciplinaire en moyens de subsistance durables à la School of GeoSciences de l’Université d’Édimbourg, Sukanya Krishnamurthy est Chancellors Fellow/Maître de conférences à la School of GeoSciences de l’Université d’Édimbourg. Il faut y ajouter une longue liste de professeurs qui ont signé 46 études.

 

The Routledge Handbook on Livelihoods in the Global South est recommandé comme un aperçu unique, opportun et complet des moyens de subsistance dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

 

Une brève définition informe les lecteurs qu’« un moyen de subsistance comprend les capacités, les actifs (y compris les ressources matérielles et sociales) et les activités nécessaires pour vivre. Un moyen de subsistance est durable lorsqu’il peut faire face aux stress et aux chocs et s’en remettre, maintenir ou améliorer ses capacités et ses actifs, sans porter atteinte à la base de ressources naturelles » (p. 11).

 

Comprendre et promouvoir la confiance

 

Les auteurs utilisent le mot confiance 52 fois.La première fois, la confiance est utilisée dans une phrase qui se lit comme suit : « Les interactions répétées entre des individus intrinsèquement rationnels contribuent à renforcer la confiance et à améliorer les informations dont ils disposent sur la situation en question ». (p.35)

 

Des précisions supplémentaires sont proposées dans différents chapitres du livre, ajoutant des nuances significatives au concept de confiance. Voici les phrases les plus instructives qui peuvent faciliter une meilleure compréhension de la complexité de la confiance.

 

Les normes et la confiance « permettent aux participants d’agir ensemble plus efficacement pour poursuivre des objectifs communs……. favoriser la cohésion sociale. » (p. 57)…… la confiance et les normes sont des éléments clés du capital social, car les membres d’un réseau doivent agir selon les normes établies par la structure sociale, générant ainsi la confiance pour accéder à ses ressources collectives ». (p. .58)

 

Dans un contexte similaire, il est expliqué que « le capital de liaison fait référence aux liens établis entre des groupes homogènes qui partagent une identité commune ou ont des objectifs similaires…. ce qui indique que le capital social de liaison comprend des réseaux densément interconnectés avec un degré élevé de confiance » (p. 59).

 

Dans une formulation résumée, il est affirmé que les éléments clés du capital social peuvent être identifiés comme suit : « l’appartenance, la confiance, la réciprocité et l’échange, les normes et les sanctions, et la connectivité ». (p. 60)

 

Dans une explication plus élaborée, il est rappelé avec force qu’« il existe deux types de confiance : la confiance dans les individus que l’on connaît et la confiance dans les individus en raison de la structure sociale à laquelle ils appartiennent. Faire confiance à quelqu’un génère une confiance réciproque car la confiance peut être définie comme l’anticipation que chaque membre de la structure sociale fera ce qu’on attend de lui. Par conséquent, la confiance permet de réduire les coûts et les délais, car le contrôle des contributions des membres devient inutile, car le réseau peut compter sur le fait que chacun remplit ses obligations. »(pp. 60-61)

 

Un exemple international intéressant est fourni pour illustrer la fonction de la confiance dans la pratique. Les entreprises chinoises emploient majoritairement des migrants chinois. Cependant, ils emploient également des Cap-Verdiens, qui se voient confier des tâches subalternes, comme assister les clients et agir en tant qu’agents de sécurité pour empêcher les vols à l’étalage. Ils sont exploités en travaillant plus d’heures pour un salaire inférieur à celui de leurs homologues chinois. En raison de problèmes de confiance avec les Cap-Verdiens, les Chinois ont tendance à développer leurs entreprises en employant des membres de leur famille et des personnes ayant des liens familiaux étroits en provenance de Chine, ce qui entraîne la croissance des entreprises chinoises au Cap-Vert et dans toute l’Afrique. Compte tenu de ce qui précède, la migration en chaîne est en cours au Cap-Vert. (p. 363)

 

Pour consolider les affirmations théoriques, les auteurs soulignent que « la confiance, les normes, les réseaux et les institutions (décrits comme diverses formes de capital social) contribueraient à l’action collective de manière « bonne » ou « mauvaise ». … Le capital social a été observé à la fois comme un catalyseur de l’action collective et comme une force active qui peut soutenir ou limiter la coopération entre les groupes. » (p. 452)

 

Un exemple assez original est extrait de la pratique des groupes d’épargne et de crédit, parmi lesquels les associations tournantes d’épargne et de crédit (RoSCA). Dans le nord du Rwanda, il a été rapporté que la participation aux RoSCA renforçait l’estime de soi, le statut et la confiance, promouvait la sociabilité, la confiance mutuelle et le sentiment d’appartenance entre les membres – tout cela contribuait à l’amélioration du bien-être des gens. (p. 453)

 

Dans un cadre plus général, on affirme que les caractéristiques du groupe qui affectent l’action collective comprennent la taille du groupe, l’homogénéité des identités et des intérêts, les inégalités de pouvoir et les normes sociales. Plus précisément, il est indiqué que « la taille du groupe affecterait la confiance et la coopération. Les relations sociales sont généralement considérées comme moins intimes dans les grands groupes et, par conséquent, la capacité de surveillance mutuelle et de sanctions informelles est réduite et le problème du « passager clandestin » est plus probable » (p. 454).

 

D’un autre côté, les lecteurs sont informés que dans les cas de réussite, les contributions individuelles et les responsabilités au sein des groupes varient en fonction des moyens des membres individuels et des conditions de vie. « La confiance, le sentiment d’obligation morale et la surveillance mutuelle entre les membres sont cruciaux pour ce niveau de flexibilité. » (p.456) Cette conclusion doit être retenue comme essentielle à la compréhension de la conception générale de la confiance qui a inspiré l’ouvrage examiné.

 

Pratiquer la solidarité

 

Les références à la valeur de solidarité sont moins fréquentes dans l’ouvrage (seulement 11). Pour une mise à jour, notons qu’en janvier 2024 le Sud s’est exprimé collectivement dans le Document final de Kampala déclarant entre autres que : »

 

« Nous réaffirmons que les principales forces de notre Groupe demeurent son unité et sa solidarité, sa vision de relations multilatérales justes et équitables, l’engagement de ses États membres en faveur du bien-être et de la prospérité des peuples du Sud, ainsi que notre engagement à défendre le multilatéralisme et à renforcer la coopération mutuellement bénéfique ».

 

De nombreux chapitres du volume examiné discutent de l’influence des politiques néolibérales sur les moyens de subsistance dans différents contextes et inégalités au sein des pays, tandis que d’autres discutent des processus de migration subalterne et de solidarité entre groupes situés dans différents pays.

 

Sur le plan factuel, il est rappelé que « travailler avec un média essentiellement occidental dans des communautés isolées pourrait renforcer l’illusion de la « supériorité culturelle » de l’Occident… Par ailleurs, au milieu de critiques pertinentes des techniques participatives…. Il faut mettre en garde contre la présomption d’existence d’une solidarité entre les membres d’une communauté, ou d’une communauté détectable dans un lieu particulier ». (p.136)

 

En ce qui concerne les faits, les auteurs estiment que les interconnexions entre les rationalités individuelles et collectives deviennent visibles au niveau communautaire. En réalité, « les relations familiales et claniques, les pratiques de solidarité religieuses et ethniques (ex. mécanismes de solidarité dans la collecte des déchets, …… le transfert des traditions des milieux ruraux vers les milieux urbains, et le respect des hiérarchies sociales fondées sur la culture jouent un rôle déterminant dans la structuration des rationalités et des logiques d’action dans les processus de négociation ».(p.162)

 

En essayant de relier le concept de solidarité à la vie réelle dans les pays du Sud, les auteurs affirment entre autres ce qui suit : « La politique sociale transformatrice vise à aller au-delà de l’idée d’une protection sociale réduisant la vulnérabilité et la pauvreté. Elle plaide en faveur d’une transformation économique, sociale et politique plus large – le développement comme certains diraient – fondée sur des normes d’égalité et de solidarité sociale. Pour parvenir à cette transformation, un large éventail d’instruments politiques est nécessaire, allant de l’éducation, de la santé, des établissements humains et du logement à la réforme agraire, au marché du travail, à l’action positive en faveur de l’équité, à la garde des familles et des enfants, aux soins aux personnes âgées, à l’assurance sociale et aux finances publiques..” (p.439)

 

Les auteurs estiment également que « les partisans de l’universalisation de la protection sociale affirment que la protection sociale est un droit auquel on peut prétendre et que la réserver à des groupes particuliers risque de la fragmenter et d’en réduire l’accessibilité. Cela finirait par menacer la sécurité et la solidarité humaines et accroître les inégalités et la pauvreté. » (p. 439)

 

Cette idée est développée plus avant et les auteurs concluent comme suit : « La politique sociale est comme un pendule qui oscille entre trois points, chacun représentant une justification distincte de l’action – une notion « welfariste » de bienveillance, un instrument de biens publics « productiviste », ou un instrument de bien public « productiviste », une approche basée sur les « droits/solidarité ». Chaque justification intègre une compréhension différente des causes de la pauvreté et du dénuement, et des implications qui en découlent quant à la responsabilité de résoudre le problème : l’individu, le ménage, le marché ou l’État. » (p. 442)

 

La dernière référence à la solidarité dans le livre examiné a un contenu pédagogique. Il est affirmé que « les femmes ont signalé des compétences financières améliorées, ainsi qu’un engagement et une confiance accrus dans la gestion de l’argent du ménage … fournissant des ressources financières vitales, les groupes d’épargne et de crédit sont censés reproduire et promouvoir la démocratie, la réciprocité et la solidarité. » (p .453)

 

Conclusion

 

Le Routledge Handbook on Livelihoods in the Global South ne contient pas d’autres détails sur la confiance et la solidarité, mais se présente comme un livre riche en idées pertinentes sur de nombreuses questions sociales et internationales. Nous rappelons à titre d’illustration quelques sujets parmi la grande masse de 46 articles signés par divers auteurs, contributeurs à cet ouvrage collectif.

 

Certains sujets pourraient inspirer d’autres études à l’avenir. Nous recommandons : Moyens de subsistance et institutions ; Vulnérabilité et résilience ; Négocier les moyens de subsistance ; Éducation et moyens de subsistance dans les pays du Sud ; Moyens de subsistance des jeunes : négocier l’intergénérationnalité et la responsabilité ; Les organisations collectives : une introduction à leurs contributions aux moyens de subsistance dans les pays du Sud ; Transformations du régime foncier dans les pays du Sud : privatisation, marchandisation et dépossession dans l’Asie rurale contemporaine.

 

Chaque chapitre du livre se termine par des suggestions de lectures complémentaires. Ce travail pourrait constituer une ressource essentielle pour les étudiants, les chercheurs et les praticiens du développement international et des domaines connexes. Les chercheurs et les praticiens peuvent également bénéficier des diverses contributions disciplinaires de l’ouvrage et de la couverture large et contemporaine de questions importantes.

 

Du point de vue diplomatique, les questions traitées dans l’ouvrage doivent être revues et mises à jour sur la base des conclusions et des documents du Sommet des Nations Unies pour l’Avenir prévu en septembre 2024. Il s’agit de l’événement principal de l’année dans le domaine du multilatéralisme et, dans sa préparation et ses résultats, le Sud Global devrait apporter de précieuses contributions.

 

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