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BANGKOK Ashley Sutton, un génie torturé

Journaliste : Appoline Troncin
La source : Gavroche
Date de publication : 20/06/2016
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Si vous ne connaissez pas son nom, vous avez sûrement bu un verre dans l’un des nombreux bars qu’il a créés. Du Iron Fairies au Maggie Choo’s en passant par le Bookshop ou le Hot Rod à Ekamai, Ashley Sutton est sans aucun doute le plus célèbre designer de Bangkok, celui qui transforme tout ce qu’il touche en or. Un créateur un peu fou de lieux originaux et oniriques qui semblent sortir d’un autre siècle.

 

Assis dans un coin du A.R Sutton, le seul bar dont il est encore propriétaire et qui lui sert aussi de bureau, Ashley Sutton est un personnage imposant, sorte de dandy punk qui ne mâche pas ses mots. Sous ses airs de gentlemen, il est plutôt proche du vieux marin, la quarantaine, la voix grave, les bras recouverts de tatouages, le juron facile. « Les tatouages sont un putain de concept immature, dit-il d’emblée, je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça, c’était stupide. »

 

Né à Perth, en Australie, il a grandi sur un bateau, au nord de la ville. Mauvais élève, il arrête les études très tôt. « J’avais 14 ans quand j’ai quitté l’école. J’ai enchaîné des petits boulots, j’ai bossé chez Mac Donald, j’étais jeune et c’était difficile. » Il entre ensuite à la mine où il conduit des grues jusqu’au jour où une grue lui tombe dessus. Il est très sévèrement blessé à la main gauche « et à la tête aussi, c’est sans doute pour ça que je suis un peu taré », dit-il en riant. Heureusement sa main droite, avec laquelle il dessine, est épargnée, sans quoi il n’aurait sans doute pas connu un tel destin. Car depuis on enfance, Ashley Sutton a une passion : le dessin. Il dessine tout le temps, partout et son expérience de mineur lui a même inspiré un best-seller. En 2006, il sort un livre illustré, Iron Fairies, entre journal intime et conte de fée en trois volumes dans l’univers des mineurs, empreint de poésie et de mystère, édités dans de beaux ouvrages en cuir relié qui se sont écoulés à plus de 200 000 exemplaires dans quatre langues.

 

Avant de se poser à Bangkok, Ashley Sutton a travaillé en Chine et aux Etats-Unis où il a ouvert ses premiers bars. Il déménage dans la Cité des Anges en 2006 où il lance à Thong Lo le fameux Iron Fairies qui rencontre très vite un grand succès avec son éclairage à la bougie, ses concerts de jazz, son ambiance feutrée et ses cocktails à l’absinthe. S’ensuivront d’autres bars, d’abord sur l’avenue branchée de Thong Lo comme le Fat gut’z, Mr Jones’Orphanage, le J Boroski ou The Bookshop, puis le Maggie Choo’s, un club caché au sous-sol du Novotel Felix de Silom. Ashley Sutton y a recréé l’atmosphère sulfureuse et mystérieuse d’un speakeasy du Shanghai des années 1920 où l’on se rend pour boire un cocktail sophistiqué sur fond de musique jazz. A l’intérieur, les hôtesses, créatures lascives déambulant dans le bar, se balançant sur les balançoires ou jouant aux cartes, sont à l’image du lieu : sexy, élégant et chic.

 

« Je hais Bangkok, déclare t-il sans ambages. Cette ville est un véritable cauchemar, tout m’insupporte. »

 

S’il a travaillé pour une quinzaine d’endroits dans Bangkok qui lui ont valu sa renommée, il est loin de porter la Cité des Anges dans son cœur. « Je hais Bangkok, déclare t-il sans ambages. Cette ville est un véritable cauchemar, tout m’insupporte : le BTS, la circulation, le temps, les chiens errants, le monde, le bruit… » La plupart de ses bars ont en commun de nous amener loin de la capitale, dans une atmosphère singulière et hors du temps où sont privilégiés les éclairages tamisés et la musique jazz qui font très vite oublier l’agitation de la capitale. Ashley Sutton aime les entrées discrètes, les speakeasy, les bars clandestins comme dans le New York de la prohibition, où l’on passe une petite porte pour se retrouver dans des lieux uniques à la décoration exceptionnelle. Il aime les objets étranges et les collections, les cabinets de curiosités. Il aime aussi les machines, l’industrie, les rouages et les engrenages.

 

Le A.R Sutton Engineers Siam est à cette image, dissimulé derrière l’un des restaurants qu’il a décorés, le Hot Rod. Un tout petit bar, un délire steampunk au décor boisé et confortable avec des éléments de décoration semblant sortir tout droit de la révolution industrielle. « Ne parlez pas trop de cet endroit dans votre article, demande-t-il. Je n’ai pas envie que trop de monde vienne ici, je n’aime pas les clients, ils me fatiguent. » Ce bar, qu’il réserve aux amis et aux habitués, lui fait office de bureau. « C’est le seul bar dont je suis encore propriétaire. »

 

Il a en effet revendu toutes ses affaires il y a quelques mois. « J’avais signé ce contrat stupide qui stipulait que je n’avais pas le droit de travailler pour d’autres personnes. J’étais comme en prison et chose précieuse, c’est important d’être libre dans son travail et dans sa vie. Alors j’ai tout vendu, c’est mieux comme ça. » Propriétaire d’un bateau en Australie, il rêve chaque jour de retourner à Perth et de vivre à bord. « Je pourrai pêcher, l’océan me manque. Je déteste les îles thaïlandaises, je les trouve sales et pleines de touristes. Les seuls endroits que j’aime ici sont l’île de Koh Kood, parce que c’est calme et préservé, et l’aéroport de Suvarnabhumi lorsque je quitte ce pays », ironise t-il.

 

« On me donne un lieu, un concept, et en une demi-heure je suis capable de l’imaginer. »

 

Paradoxalement, malgré ses rêves de grands espaces et de tranquillité, on peine à l’imaginer à la retraite. Ashley Sutton est un travailleur acharné, perfectionniste, qui ne compte pas ses heures. « Je travaille tous les jours de 10h à 3h du matin ». Le design est pour lui une véritable passion. « J’adore dessiner, concevoir des espaces, chaque nouveau projet est un défi pour moi. Le design est quelque chose d’extrêmement stimulant. On me donne un lieu, un concept, et en une demi-heure je suis capable de l’imaginer. »

 

Il a en ce moment plusieurs projets en cours, dont un gigantesque club sur Sukhumvit et un hôtel 5 étoiles pour lequel il réalise le rooftop et la boîte de nuit. «vous savez, c’est très difficile car les propriétaires attendent beaucoup de moi, confie-t-il soudain, l’air las. ils ne veulent pas que je construise un lieu qui marche, ils veulent que je crée de la magie… Cela me donne énormément de pression, j’y pense tout le temps. »

 

Ashley Sutton relève plus du génie torturé que du magicien et si ses bars sont si réputés dans Bangkok, ce n’est pas tant la magie qui les habite, mais une âme. Ashley Sutton crée du rêve, c’est un artiste concevant des espaces comme des œuvres et son talent est de donner à ces endroits une identité particulière où chaque détail est étudié, chaque objet a sa place. Si de nombreux designers tentent d’imiter son travail, aucun n’est encore arrivé à l’égaler.

 

Apolline Troncin

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