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BIRMANIE – ÉCONOMIE : Comment redresser l’économie birmane ?

Date de publication : 11/06/2023
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Deux fois par an, le Fonds monétaire international publie ses perspectives économiques régionales pour l’Asie – Pacifique. Semestre après semestre, l’institution de Bretton Woods met en lumière des données macroéconomiques bien peu flatteuses pour le régime militaire birman. Alors que le gouvernement d’Aung San Suu Kyi avait su tenir la barre dans la tempête provoquée par la COVID-19, la junte se montre incapable de retrouver les rythmes de croissance passés. En 2023, le produit intérieur brut sera toujours inférieur de 13% à celui de 2019.

 

En 2020 alors que l’Asie connaissait une récession (-0,9%), la Birmanie pouvait encore se flatter d’être l’une des seules économies en développement de la région en expansion (+3,2%). Ce résultat était à rebours de l’ASEAN dans son ensemble (-3,2%). Un an plus tard, à l’heure du coup d’État, les tendances se sont totalement inversées. La Birmanie s’est enfoncée dans la crise. Son produit intérieur brut a chuté (-17,9 %) alors que celui de toute l’Asie du Sud-Est se redressait (+3,2%). Non seulement, le Conseil de l’administration de l’État (SAC) est à la peine mais ses performances font de la Birmanie un pays prenant du retard sur ses voisins. Seul le Sri Lanka fait pire encore.

 

Sous l’ère du général Min Aung Hlaing, l’attractivité du marché birman s’est éteinte. Ainsi, la valeur combinée des investissements étrangers au cours des deux dernières années fiscales reste inférieure à celle réalisée au cours de l’année précédant le coup d’État. La situation ne se cesse de se dégrader. Sur les trois premiers mois de l’année civile, l’administration dédiée aux investissements reconnaît que les engagements étrangers ont même chuté de 56,4%. Dans cette phase descendante, au mois d’avril 2023, ils ont plafonné, très officiellement, à… 3,7 millions de dollars. Dans ce marasme, la Chine devient un partenaire plus essentiel que jamais. Depuis le putsch, les investissements chinois ont représenté plus de la moitié des 5,4 milliards de dollars d’investissements directs étrangers. Pour autant, les projets arrêtés lors de la venue du président Xi Jinping (17 – 18 janvier 2020) peinent à se matérialiser. Les entrepreneurs chinois n’en sont pas non plus à se substituer aux acteurs économiques occidentaux et japonais qui se retirent. Néanmoins, la dépendance à un seul partenaire économique est perceptible. Plus problématique à court terme, un seul secteur bénéficie des subsides extérieurs.

 

Plus de 70% des investissements étrangers sont tournés vers la production énergétique. Cette réalité ne doit toutefois pas cachée qu’au deuxième trimestre 2023, la capacité installée de production électrique est inférieure de 2 444 MW à celle qui était projetée antérieurement au pronunciamiento. Pire, tendanciellement les flux dans ce secteur ont fortement baissé en 2022-2023 (de 3,1 Mds USD à 820 M USD). Cela étant, pour soutenir son développement économique, le gouvernement militaire compte sur ses ressources naturelles. Selon la loi de planification nationale qui fixe les objectifs de croissance pour les 12 mois à venir, Nay Pyi Taw espère voir progresser le PIB grâce, prioritairement, aux industries extractives (+17,0%) et forestières (+15,9%). De beaux scandales en perspective sur une exploitation irraisonnée des ressources, leur mise en œuvre par les conglomérats de l’armée et les cronies prédateurs affidés !

 

A la vérité, les généraux ne parviennent manifestement pas à relancer la machine économique. Selon la Banque mondiale, le taux d’emploi a baissé de 5 points depuis 2020. Au cours des deux dernières années, la richesse des Birmans aura même progressé, en moyenne, deux fois moins vite que celle des Asiatiques et des autres Aseaniens. Le gap pourrait s’approfondir encore dans les mois qui viennent et en 2024. Les économistes multilatéraux ont récemment révisé à la baisse leurs prévisions pour 2023 (-0,7%) mais également pour l’année prochaine (-0,8%). Certes, la croissance pourrait se stabiliser aux alentours de +2,6% en 2023 puis 2024 mais le pessimisme demeure de mise. Il est d’ailleurs partagé par les conjoncturistes de la Banque asiatique de développement. Dans leur rapport de prospective du mois d’avril 2023, ils jugeaient que les facteurs pénalisant les politiques de développement persisteront probablement à court terme, parallèlement à une inflation à deux chiffres et à une croissance réelle en deçà de son potentiel.

 

Dans un pays demeuré aussi terrien que la Birmanie, la situation de l’agriculture est particulièrement préoccupante. La croissance de ce secteur s’est encore contractée de 1 à 3,5% du fait de l’augmentation du coût des intrants (+87%), de l’énergie, de la mécanisation (+27%), des difficultés rencontrées pour accéder aux capitaux, sans parler des conflits armés persistants dans de nombreuses zones rurales. La productivité à l’hectare diminue (-7,5% en 2022). Dès lors, la situation n’est pas appelée à s‘améliorer rapidement. Le gouvernement militaire n’y met pas du sien. L’agriculture n’est pas l’une de ses priorités du moment. Signe des temps, la loi de finances pour l’exercice d’avril 2023 à mars 2024 a entériné une nouvelle baisse de l’allocation budgétaire au ministère de l’Agriculture (-7%).

 

Du côté des consommateurs, les prix du riz ne cessent de grimper. L’inflation est dorénavant nourrie bien plus par les produits locaux qu’importés. Une évolution qui inquiète les autorités de Nay Pyi Taw. Elles veulent y voir des manœuvres de spéculateurs ou d’opposants politiques. Un constat simpliste qui exonère le SAC de s’interroger sur ses propres responsabilités. Or, son mode de gestion aggrave le plus souvent les situations critiques. C’est avec consternation que l’on a appris la décision du ministre de la Sécurité et des Affaires frontalières de l’État Rakhine interdisant, à partir du 8 juin, aux associations et organisations internationales tout déplacement et toute fourniture d’aide. Une mesure qui concerne très explicitement le Programme alimentaire mondial, appelé pourtant à venir en aide à plus de 800 000 personnes. Les destructions provoquées le mois dernier par le cyclone Mocha sur l’agriculture et le monde paysan sont pourtant conséquentes. Les récoltes de sésame ont été touchées, tout comme les productions de banane, de noix de bétel et de riz.

 

Force donc est de constater que le SAC ne porte attention ni aux biens, ni aux personnes ! Sur le plan humain, depuis le coup d’État, le travail est devenu plus précaire à mesure que les possibilités d’emploi salarié offrant un revenu stable ont diminué. Dans tous les États et toutes les régions du pays, les salaires réels en 2022 sont inférieurs à ce qu’ils étaient en 2017. La situation est si critique que plus de 70 % des ménages ont dû soit vendre des actifs, ponctionner leur épargne ou emprunter à des proches. Au final, la Birmanie s’enfonce dans la guerre civile et ne se relève pas économiquement.

 

François Guilbert

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