Home Accueil BIRMANIE – EXCLUSIF: L’Ambassadeur de France à Rangoun répond aux questions de Gavroche

BIRMANIE – EXCLUSIF: L’Ambassadeur de France à Rangoun répond aux questions de Gavroche

Journaliste : Rédaction
La source : Gavroche
Date de publication : 29/03/2021
0

Un ambassadeur sur le «front», entre résistance et répression: telle est la meilleure manière de décrire le rôle joué ces temps ci par Christian Lechervy, Ambassadeur de France à Rangoun. Joint par Gavroche, ce diplomate de terrain, très actif depuis le putsch militaire du 1er février, nous raconte sa mission.

 

Un entretien exclusif avec l’Ambassadeur Christian Lechervy

 

Vous êtes en poste à Rangoun, racontez nous le quotidien dans cette grande ville Birmane ?

 

L’espace urbain évolue avec les modes de mobilisation. Il n’y a plus de grandes manifestations, la répression contre des protestations pacifiques est si brutale et arbitraire que beaucoup d’habitants ont peur de sortir de chez eux et de leur quartier. Cette crainte amplifie les mouvements de désobéissance civile qui sont massifs dans le secteur public mais également dans le secteur privé.

 

Sortir avec son téléphone portable est devenu dangereux. Les contrôles des contenus par les forces de l’ordre sont inopinés et fréquents. Des images et récits de la contestation peuvent valoir aux détenteurs une arrestation voire un emprisonnement immédiat.

 

Pour masquer l’ampleur de l’opposition, faire obstacle à ses initiatives et limiter les comptes rendus des exactions commises par l’armée et la police, internet est coupé depuis plus de 40 jours de 1h à 9h du matin. Le reste de la journée, les liaisons sont très instables. À partir du 15 mars, ce fût au tour du Wifi public d’être suspendu. Sans VPN, les applications mobiles ne sont plus accessibles.

 

La vie quotidienne se complique. De nombreux magasins sont fermés. Les grandes surfaces sont closes à 15h. Les prix augmentent. Le riz a connu une hausse moyenne de 10 %. Le coût de l’essence a progressé de plus de 23 %. Le kyat se déprécie par rapport au dollar. Plus problématique encore est l’accès à l’argent liquide. De nombreuses banques sont fermées. Pour retirer les numéraires de son compte, il faut faire de longues queues devant les rares distributeurs automatiques approvisionnés.

 

Les effets économiques et sociaux du putsch viennent s’ajouter à ceux induits depuis un an par la COVID-19. L’économie est à l’arrêt. En 2021, le pays pourrait connaître une récession alors que les conjoncturistes lui prévoyait l’un des rares taux de croissance positif de la zone ASEAN. Le pays s’appauvrit et cela est visible. La mendicité de rue est plus forte. Des demandes d’aides sociales dans les communautés expatriées se sont faites jour.

 

Le peuple birman résiste. L’armée peut elle reculer ?

 

Les formes d’expression de la résistance sont très diversifiées. Les concerts de casseroles à 19h30 ou 20h se poursuivent. Les signes de ralliement avec 3 doigts levés sont omniprésents. Les affichages sauvages sont moins visibles et systématiquement recouverts de peintures nuitamment, ce qui paradoxalement souligne leur très grand nombre.

 

Les barrages de rues ont été levées sous la menace ou lors d’actions de vives forces. Pour parvenir à leurs fins, les autorités installées par l’armée n’hésitent pas à recourir à des punitions collectives. Elles cherchent à opposer les personnes les unes aux autres. Elles divisent une société déjà très fragmentée. Cette praxis est désastreuse pour l’avenir.

 

Les dirigeants de la Tatmadaw (l’armée birmane) disposent d’une assise politique très étroite. Ils doivent faire face à l’hostilité d’une grande partie de l’appareil d’État, des milieux d’affaires, des populations urbaines et rurales bamars mais aussi de nombreux autres groupes ethniques (ex. Chin, Kachin, Kayin, Shan). Dans ce contexte, pour s’imposer, il leur faut compter sur une loyauté absolue des forces de sécurité. Si plusieurs centaines de policiers et de militaires ont marqué leur fidélité aux autorités évincées, rares ont été les officiers de haut rang à avoir fait officiellement défection. Il en existe toutefois quelques-uns comme on a pu le voir, notamment dans la police, à Mandalay et Nay Pyi Taw. Si des fractures et des divergences politiques et d’approches existent au sein de l’armée et/ou de la police, elles ne sont guère perceptibles des non-initiés mais on ne peut oublier que lors des dernières élections, dans de nombreuses circonscriptions, des personnels de l’appareil de sécurité ont voté pour la Ligue nationale pour la démocratie et non pour le parti inféodé à la hiérarchie militaire depuis vingt ans.

 

La France et l’Union européenne ont exprimé leur condamnation. Sans effets jusque-là. que faire d’autre ?

 

Je ne suis pas sûr que l’on doive être aussi sévère sur les conséquences de notre action. Je ne suis évidemment pas le mieux placé pour en juger et avec la distance critique nécessaire. Mais je dois dire que chacune de nos positions, qu’elle soit exprimée depuis les capitales ou depuis Rangoun, a eu un grand retentissement dans les débats birmans. Elles ont été contestées publiquement par les autorités installées par le général Min Aung Hlaing. Certains propos employés montrent combien elles ont été peu appréciées en haut lieu.

 

A contrario, les fondements de nos actions (cf. restauration du gouvernement civil, reconnaissance de tous les résultats des élections du 8 novembre et installation des parlements élus, libération de toutes les personnes arbitrairement interpellées depuis le 1er février notamment le président de la République U Win Myint et la Conseillère pour l’Etat Daw Aung San Suu Kyi) sont salués pour leur clarté. Nos efforts diplomatiques au Conseil de sécurité, au G-7, au Conseil des droits de l’homme ou auprès des pays voisins de la Birmanie sont tous aussi appréciés.

 

La suspension de nos coopérations avec l’État birman et les mesures de sanction adoptées avec nos partenaires de l’Union européenne le 22 mars ont été saluées. Nous n’avons pas caché que nous pourrions aller plus loin encore prochainement, en particulier en visant des entités économiques et financières qui sont la propriété des forces armées ou leur apportent un soutien contribuant à des activités qui compromettent la démocratie et l’État de droit.

 

En sanctionnant le président de la Commission électorale de l’Union (UEC) qui a annulé les résultats des dernières élections générales après avoir été nommé par le régime putschiste, nous faisons savoir que son action est entachée d’illégitimité puisqu’il est directement impliqué dans des actions portant atteinte à la démocratie et à l’État de droit et que c’est à lui qu’incombe d’organiser le nouveau scrutin voulu par le général Min Aung Hlaing à l’issue de l’année d’état d’urgence.

 

L’ASEAN a t’elle les moyens de faire stopper cette crise ?

 

Soyons clair la solution politique à la crise relève d’abord des Birmans. Pour qu’il y ait une voie de sortie encore faudrait-il que ceux qui ont pris le pouvoir par la force acceptent de dialoguer avec les responsables politiques que les Birmans se sont donnés le 8 novembre mais aussi la communauté internationale.

 

Jusqu’ici un seul ministre étranger a pu rencontrer le numéro 1 au pouvoir, le vice-ministre russe de la défense venu commémorer le 27 mars le 76ème anniversaire de la fondation de la Tatmadaw. L’Envoyée spéciale du Secrétaire général des Nations unies ainsi que d’autres leaders internationaux n’ont pu échanger qu’avec le numéro 2 du régime militaire, le vice-senor général Soe Win. Aucun n’a pas pu entrer en contact avec le président déposé et la cheffe du gouvernement renversée.

 

Les neuf États de l’ASEAN, partenaires de la Birmanie, n’ont eu de leur côté que des contacts avec le ministre des Affaires étrangères désigné par les putschistes ou des responsables techniques. Tous ont marqué leur désapprobation de l’escalade de la violence engendrée par l’appareil de sécurité. Il n’en existe pas moins des divergences de vues importantes d’une capitale aseanienne à l’autre sur la manière d’aider la Birmanie à retrouver le chemin de la stabilité et de la démocratie. La présidence du sultanat de Brunei s’emploie activement à réduire les divergences, aidée en cela par une diplomatie de navettes conduites par la ministre des Affaires étrangères indonésienne et les messages forts envoyés par les dirigeants de Singapour, de Malaisie ou encore des Philippines.

 

Le Vietnam qui présidera en avril le Conseil de sécurité des Nations unies, aura un rôle de pont important entre les actions conduites par l’ASEAN et celles énoncées au nom de l’ONU. Quant à la Thaïlande, elle sait que la crise birmane est porteuse de nombreux nouveaux défis pour elle. En matière de santé publique tout d’abord car depuis le coup d’État militaire birman, la lutte contre la COVID-19 n’est plus menée localement avec la vigueur nécessaire. Par ailleurs, la politique de répression contre les démocrates birmans conduit non seulement plusieurs centaines d’entre eux à chercher refuge sur le sol du Royaume mais les groupes armés ethniques (ex. Kayin, Shan) apportent les armes à la main assistances et protections à ceux qui sont persécutés. Cette détérioration sécuritaire aux confins thaïlandais remet en cause des années de paix civile qui ont facilité le développement de nombreux projets de connectivité entre les pays de l’ASEAN mais également entre l’Inde et l’Asie du Sud-Est.

 

La manche cruciale se jouera donc à l’ONU ?

 

Tous ces facteurs font que l’ASEAN dont la Birmanie est un membre important de la famille a un rôle de premier plan à jouer, la communauté internationale lui reconnaît explicitement cette fonction. Le Conseil de sécurité des Nations unies l’a encore tout récemment et explicitement rappelé mais l’ASEAN ne doit pas oublier les attendus de la société birmane et prendre en compte tous ses leaders, y compris ceux qui sont aujourd’hui incomunicado. Tous ces messages-ci ont été proclamés haut et fort au cours des dernières semaines devant leurs représentations diplomatiques à Rangoun. Les oublier serait sévèrement jugé par les Birmans, par des acteurs clés de la communauté internationale mais surtout il ferait courir le risque à l’ASEAN de devoir compter avec un État politiquement et économiquement instable voire failli et générant du fait de sa situation intérieure des difficultés répétées avec de nombreux partenaires tiers d’Asie du nord-est, d’Amérique du nord et de l’Union européenne.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Les plus lus