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BIRMANIE – FRANCE : Paris s’engage devant la Cour internationale de justice

Date de publication : 18/09/2023
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Sheikh Hasina - Emmanuel Macron

 

Par François Guilbert

 

A l’occasion de la visite du président E. Macron à Dacca (10 – 11 septembre), le communiqué conjoint franco-bangladais a laissé transparaître une large convergence de vues entre deux pays ayant l’océan Indien en partage, en particulier sur la crise birmane née du coup d’état du général Min Aung Hlaing le 1er février 2021. Dans un texte de six pages aux visées larges (coopération au développement, lutte contre les effets du changement climatique, paix et sécurité) et régionales (Indo-Pacifique, golfe du Bengale), plusieurs passages du document contiennent des critiques très explicites du régime militaire birman installé par la force depuis 31 mois.

 

Tout d’abord, le chef de l’État français et la première ministre Sheikh Hasina n’ont pas manqué de souligner l’illégitimité de la junte birmane. Certes, les présentistes liront certains pans de la déclaration à l’aune de l’actualité africaine la plus récente et des putschs ayant récemment renversé les présidents A. Bongo (Gabon) et M. Bazoum (Niger) mais il est clair également que Paris et Dacca ont décidé de viser la Tatmadaw et la junte du Conseil de l’administration de l’État (SAC). Les deux capitales ont ainsi condamné « tout changement anticonstitutionnel de gouvernement et toute prise de pouvoir militaire illégale dans quelque pays que ce soit ». On ne pouvait être guère être plus explicite vis-à-vis de Nay Pyi Taw.

 

Une aide humanitaire urgente et sans entrave

 

Autre critique acérée, le président de la République française et la cheffe du gouvernement bangladais ont appelé « à une aide humanitaire urgente et sans entrave pour les personnes déplacées en raison de conflits, de violences et de crimes d’atrocité ». Non seulement les besoins humanitaires sont immenses et croissants en Birmanie mais on constate ô combien, depuis des mois, que le SAC n’hésite pas à politiser l’accès à l’aide humanitaire et à instrumentaliser les concours des uns et des autres à des fins politiques voire militaires. Une réalité prégnante là où des combats intenses se déroulent entre la Tatmadaw et ses ennemis mais aussi sur des territoires simplement dévastés par les éléments naturels, comme cela a été le cas lors du cyclone Mocha en mai 2023.

 

Aujourd’hui, le langage diplomatique commun est loin d’être anodin voire usuel tant le Bangladesh s’était montré jusqu’ici peu vocal sur la légitimité des autorités ayant renversé le gouvernement civil de Daw Aung San Suu Kyi et peu critiques des nombreuses violations des droits humains par la junte. Il est vrai que le voisin occidental de la Birmanie espère toujours la coopération des dirigeants de Nay Pyi Taw pour entamer, au plus vite, un premier rapatriement groupé de Rohingyas. Dans un contexte où les officiels du SAC répètent que 7 000 personnes venues des camps du Bangladesh pourraient se réinstaller dans le nord de l’État Rakhine d’ici la fin 2023, Paris a eu raison d’insister sur l’impératif que ce mouvement de population transfrontalier se déroule de manière volontaire, digne, sûre et durable pour les premiers concernés.

 

Sur le drame rohingya et les violences de masse dont la communauté a été régulièrement la cible, le premier déplacement à Dacca d’un chef de l’exécutif français depuis février 1990 et la visite de François Mitterrand aura aussi été l’occasion d’un changement de posture de la France.

 

Au-delà du langage usuel saluant la générosité du Bangladesh dans l’accueil et le soutien humanitaire apportés aux centaines de milliers de Rohingyas, d’une nouvelle contribution d’un million d’euros aux activités du Programme alimentaire mondial dans les camps de réfugiés, la France a annoncé sa décision d’intervenir à titre national dans l’affaire opposant la Gambie à la Birmanie devant la Cour internationale de justice (CIJ).

 

La mesure prise peut apparaître technique car il s’agit de s’associer à la procédure de la Cour de La Haye appelée à statuer sur l’application par la Birmanie de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. En vérité, trois ans après La Haye et Ottawa, Paris se joint à une procédure très politique mettant en cause un État pour un crime contre l’humanité.

 

Cette démarche politico-juridique, préparée depuis des mois dans le plus grand secret, vise au premier chef à ce qu’il n’y ait aucune impunité aux violences ayant fait à l’été 2017 plus de 10 000 morts selon les décomptes réalisés par l’association Médecins Sans Frontières. Une décision susceptible de faire jurisprudence dans d’autres crises se traduisant par des violences de masse. C’est pourquoi, elle est saluée avec ostentation à la fois par l’opposition démocratique birmane et nombre d’organisation de défense des droits de l’Homme.

 

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  1. En février 2022, la Cour Pénale Internationale a rejeté à l’unanimité les exceptions préliminaires d’incompétence formulées par la Birmanie au motif que la Gambie n’avait aucune capacité juridique à intervenir, en raison de son absence de liens avec la Birmanie et les Rohingyas… En janvier 2020 la cour avait adopté à l’unanimité toutes les mesures conservatoires de nature à prévenir tout acte de génocide (Art 6 du statut) et à en rechercher et conserver les preuves ainsi que celles, le cas échéant, de “crime contre l’humanité” (Art 7 du statut). La Birmanie est sommée de rendre compte du respect des mesures prises tous les 6 mois. La Birmanie semble s’être “engagé” dans le chemin d’un progressif respect de l’injonction en proposant le rapatriement d’une partie des Rohingyas déplacés au Bangladesh dans l’État d’Arakan (un groupe de 1 140 suivi d’un autre, à une date non précisée de 6 000). La garantie des droits, des libertés et de la sécurité des Rohingyas se pose évidement. La procédure devant la CPI, toujours en cours, devrait encourager d’autres gouvernements à soutenir par une procédure d’ “amicus curiae” (Art 87 du statut) et renforcer l’analyse juridique sur tous les aspects de la violation de la convention sur la répression du génocide. La France suivrait sur ce point le Royaume-Uni, les Pays-Bas , le Canada. En vertu de l’article 41 du statut de la CIJ, l’ordonnance de mesures conservatoires est automatiquement transmise au Conseil de Sécurité de l’ONU. A l’approche de l’assemblée générale des N.U., la question sera-t-elle à l’ordre du jour ? Le Conseil de sécurité, qui devrait être saisi, devrait se prononcer sur l’interdiction de l’approvisionnement en armes et en financements de la junte birmane. Une telle orientation est fort improbable au vu du veto que la Chine et la Fédération de Russie, alliés de la junte. Sur ce chapitre comme sur d’autres le système onusien est paralysé comme il le fut naguère, dans les années 50 au début de la “guerre froide” et malgré la résolution Acheson qui devait avoir pour effet de contourner le veto soviétique en étendant les compétences de l’Assemblée Générale. L’attitude de la Fédération de Russie rejointe par celle de la Chine bien établie depuis le coup d’État de la Junte n’a pas été modifiée par le contexte international issu de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une violation manifeste d’un des principes cardinaux du droit international et des Nations Unies (supportant quelques exceptions en vertu d’un droit – controversé – d'”intervention d’humanité”), l’inviolabilité des frontières, bien au contraire…

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