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BIRMANIE: Le génocide des Rohingyas disséqué dans un essai

Journaliste : François Guilbert
La source : Gavroche
Date de publication : 13/05/2019
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Les vendeurs de rues de Rangoun, les bouquinistes ou les libraires proposent le plus souvent à leurs clients des ouvrages étrangers photocopiés. Leur achalandage anglophone à la vue de tous présente de nombreux essais et des recherches académiques publiés aux quatre coins du monde. Au prix de trois à six euros le volume, Birmans et étrangers peuvent acquérir des études sur la Birmanie faisant autorité aux Etats-Unis, en Europe, à Singapour ou en Thaïlande. On trouve sur les étals les ouvrages de référence publiés ces dix dernières années mais également des manuscrits plus contemporains, voire extrêmement récents.

 

Les livres à la vente à Rangoun sont de tous acabits, favorables ou hostiles aux gouvernements de Nay Pyi Taw ou de ses voisins.

 

Sans chercher beaucoup, on peut même se procurer des documents sur les Rohingyas et les violences dont ils sont l’objet de la part de l’appareil d’État depuis des décennies.

 

Alors que nombre d’officiels récusent de manière tonitruante la terminologie Rohingya pour désigner les populations musulmanes vivant dans le nord de l’État Rakhine, les textes journalistiques ou universitaires dont ils sont l’objet se vendent dans l’espace public ; au même prix que tout autre texte et sans que cela ne suscite de polémiques ostentatoires.

 

Imprimer le vocable Rohingya en page de couverture d’un livre ne fait pas de celui-ci un objet commercial distribué sous le manteau et quasi-inaccessible.

 

Aujourd’hui, on peut donc se procurer l’édition 2018 de l’enquête d’Azeem Ibrahim (The Rohingyas inside Myanmar Genocide, Hurst&Company, Londres, 239 p), celle de Francis Wade (Myanmar’s Enemy Within, Buddhist Violence and the Making of a Muslim ’Other’, Zed, 281 p) ou encore les actes du colloque organisé par Ashley South et Marie Lall sur les débats relatifs à l’accès à la citoyenneté en Birmanie (Citizenship in Myanmar. Ways of Beingin and from Burma, Chiang Mai University Press – ISEAS, Singapour, 316 p) dans lesquels se trouve une contribution de Nurul Islam (Rohingya and Nationality Status in Myanmar), l’un des défenseurs les plus vocaux de la cause Rohingya sur la scène internationale et président de l’Arakan Rohingya National Organization (ARNO).

 

Certains des textes en vente sont particulièrement éclairants pour comprendre la montée en puissance et les actions de l’Arakan Army dans les États Rakhine et Chin depuis la mi-2018 mais également les derniers actes terroristes dans l’environnement stratégique de la Birmanie (cf. Benjamin Schonthal : Making the Muslim Other in Myanmar and Sri Lanka in Melissa Crouch : Islam and the State in Myanmar, Oxford University Press, 2015, pp 234 – 257).

 

Littérature de qualité

 

S’il est possible de trouver chez les libraires birmans toute une littérature de qualité sur l’islam national, il n’en demeure pas moins que le sort des Rohingyas en Birmanie et à l’étranger suscite des livres très engagés de la part des auteurs autochtones.

 

Dans ce cadre, les textes du docteur Maung Zarni sont d’une facture très particulière.

 

Désigné il y a peu à la vindicte publique comme « Ennemi de l’État » pour avoir dénoncé le génocide dont sont victimes les Rohingyas, certains s’étonneront peut-être que l’on puisse trouver ses écrits aussi facilement à Rangoun.

 

C’est incontestablement le cas avec sa dernière livraison qui est une compilation de ses articles rédigés de 2012 à 2018, seul ou avec la Britannique Natalie Brinham connue également sous le nom d’Alice Cowley.

 

Conférencier et auteur prolixe, Maung Zarni est un des rares Birmans à avoir pris fait et cause pour les Rohingyas, et depuis longtemps.

 

Ce Bamar de 56 ans sillonne le monde comme il l’a fait à partir des années 90 quand il était l’une des voix des étudiants en exil dénonçant depuis les États-Unis le régime militaire.

 

Ce militant co-fondateur des associations Free Burma Coalition (1995), Free Rohingya Coalition (2018) et de FORSEA (Les Forces du renouveau de l’Asie du Sud-Est (1) est un bouddhiste qui fut un compagnon de route de Daw Aung San Suu Kyi avant d’en être aujourd’hui un adversaire politique farouche.

 

Complicité

 

Les textes compilés dans le livre édité au Bangladesh sont sur ce point particulièrement éclairant.

 

Le Dr. Maung Zarni dénonce depuis près de dix ans les positions du prix Nobel de la paix sur la question Rohingya.

 

Il n’a pas attendu les violences de 2016 – 2017 pour la juger « complice » des horreurs commises par l’armée et ses nervis civils, la dépeignant dorénavant comme « la porte-parole la plus polie de l’armée du Myanmar ».

 

Militant Maung Zarni l’a été et le demeure.

 

Ses prises de position ne sont pas équivoques mais parfois elles s’avèrent inappropriées, dépeintes à gros traits, voire infondées.

 

Sa polémique mettant en cause Amnesty International pour avoir dénoncé les exactions commises contre des populations hindoues de l’État Rakhine dessert la cause qu’il a embrassée.

 

Maung Zarni est un homme de conviction qui ne cherche pas le compromis.

 

Son langage engagé et sa détermination l’ont conduit en 2013 à rompre ses liens de professeur associé avec l’université de Brunei (UBD) comme il l’explique dans l’un des chapitres.

 

Il est vrai que le Dr Maung Zarni ne prend pas de gant pour dire les choses et dénoncer ceux qu’il incrimine.

 

Il n’hésite pas à évoquer les « tendances fascistes » de la société bouddhiste de son pays d’origine, les « néo-Nazis » du mouvement 969 et parfois à construire des raisonnements strictement à charge.

 

Les textes rassemblés à quelques exceptions près sont plus ceux d’un chroniqueur averti que d’un universitaire des plus rigoureux. Certaines de ses contributions ont eu un très large retentissement.

 

Il est donc très utile de les retrouver dans ce volume.

 

C’est notamment le cas de celle intitulée le génocide à « combustion lente » (2014).

 

Elle constitue aujourd’hui un des textes de référence de ceux qui combattent l’approche de la citoyenneté des autorités et veulent les voir poursuivi par la justice internationale.

 

L’auteur et ses relais sont néanmoins sans illusion et dénoncent la mollesse des réactions internationales, à commencer par celles du Royaume Uni et des États-Unis.

 

Raccourcis historiques

 

Si les propos empruntent parfois des raccourcis historiques ou juridiques contestés, ils n’en contiennent pas moins bien des vérités sur l’ampleur des violences de masse, les évolutions langagières dénonçant avant-guerre le « péril indien » pour devenir depuis 40 ans l’expression de l’hostilité aux Rohingyas ou encore son constat que les prisonniers d’opinion de la junte n’étaient pas préparés à étendre leurs idéaux démocratiques et de défense des droits de l’homme aux musulmans Rohingya.

 

Les textes réunis et issus d’un grand nombre de médias différents fourmillent de données.

 

Quelques-unes méritent d’être examinées au regard des développements politico-militaires récents.

 

C’est notamment le cas de la mise en lumière du lobby antimusulman exercé depuis plusieurs années par certains moines bouddhistes sur les communautés Rakhines d’outre-mer, réseaux qui désormais alimentent les caisses de l’Arakan Army pour ses combats.

 

Il en est de même du constat sur le caractère inopérant pour les Rohingyas de recourir aux cartes d’identité pour la vérification nationale (ICNV) afin de requérir la pleine citoyenneté birmane.

 

Pour autant, pas sûr que les cinq mesures préconisées en octobre 2018 par l’auteur pour mettre un terme aux violences soient accessibles et opérantes.

 

La coalition internationale des gouvernements pour mettre un terme au génocide en Birmanie, rassemblant le Canada, l’Irlande, les Pays-Bas, le Royaume Uni, la Suède, le Bangladesh, l’Indonésie, le Koweït, la Malaisie et la Turquie semble hors d’atteinte, tout comme ses velléités de « démilitariser » l’Etat Rakhine ou d’établir un boycott complet des relations avec la Birmanie.

 

Plusieurs des modus operandi suggérés rappellent des projets énoncés par le passé pour affaiblir les généraux, ils furent souvent des impasses et s’avérèrent pas totalement décisifs pour engager la Birmanie sur la voie de l’ouverture et de la démocratie.

 

François Guilbert

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