Home Accueil CAMBODGE – POLITIQUE : En cette fin 2021, l’opposant cambodgien Sam Rainsy s’inquiète de la succession «dynastique et clanique» à Phnom Penh

CAMBODGE – POLITIQUE : En cette fin 2021, l’opposant cambodgien Sam Rainsy s’inquiète de la succession «dynastique et clanique» à Phnom Penh

Journaliste : Sam Rainsy
La source : Gavroche
Date de publication : 24/12/2021
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Hun Manet

 

Une contribution de Sam Rainsy, leader de l’opposition cambodgienne en exil

 

Le premier ministre cambodgien Hun Sen célébrera le 14 janvier prochain le 37ème anniversaire de son accession au pouvoir. Un record mondial de longévité politique qu’il dispute avec seulement une poignée de vieux potentats africains qui, comme lui, confondent exercice du pouvoir et accaparement de l’État.

 

Accaparement de l’État

 

Quand on s’est accaparé l’État, source de tous les pouvoirs et de toutes les richesses, la tentation pour tout autocrate est grande de le garder à tout jamais entre ses mains. Et quand on a beaucoup de sang sur les mains à force de répressions contre les opposants, le pouvoir garantit aussi l’impunité.

 

Hun Sen, qui a eu officiellement 70 ans le 4 avril 2021 (sa véritable date de naissance reste cependant incertaine comme pour beaucoup d’enfants cambodgiens des milieux ruraux à cette époque), a toujours cherché un prétexte pour rester au pouvoir.

 

Se cramponner au pouvoir

 

Pour se cramponner au pouvoir, la première raison évoquée par Hun Sen est, évidemment, le fait qu’il est indispensable et irremplaçable.

 

Dans un discours du 14 janvier 2018 pour célébrer le 33ème anniversaire de son accession au poste de chef de gouvernement, il a déclaré : « Même si je souhaite prendre la retraite, je ne peux pas, car le pays a besoin de moi ».

 

Quelques mois auparavant il avait annoncé son « intention de rester au pouvoir encore dix ans ».

 

Hun Sen sait qu’il peut déterminer comme bon lui semble la durée de son mandat à la tête du pays car l’état policier qu’il commande et le système électoral de triche institutionnalisée qu’il a mis en place, peuvent lui envoyer à l’Assemblée nationale autant de députés qu’il veut pour se faire nommer et renommer premier ministre.

 

Limitation par l’âge et la santé

 

Le seul problème est l’avancement de son âge, ses ennuis de santé et les limites de ses forces physiques. Malheureusement c’est un problème qui ne peut aller qu’en s’aggravant.

 

C’est certainement la raison pour laquelle, au cours des trois dernières années, Hun Sen a semblé moins catégorique sur la durée « restante » de son mandat à la tête du pays, sachant qu’il y aura une élection législative en 2023 et une autre en 2028 (il aura alors 77 ans).

 

Hun Manet le successeur désigné

 

C’est ainsi qu’il a commencé à évoquer avec de plus en plus d’insistance son plan de se faire remplacer, peut-être plus tôt que ce qu’il avait laissé entendre auparavant, par son fils aîné Hun Manet âgé aujourd’hui de 44 ans.

 

Après des études aux États-Unis et en Angleterre Hun Manet a très vite grimpé les échelons pour devenir en 2018 le commandant en chef par intérim de l’armée tout en entrant dans la même année dans le cercle très restreint du comité permanent (anciennement Politburo) du parti au pouvoir ex-communiste, le Parti du Peuple Cambodgien (PPC). Son principal rôle a été jusqu’à maintenant de prévenir un coup d’état et de déjouer tout complot contre son père qui se méfie de certains de ses collègues du PPC.

 

Mais les choses semblent se précipiter tout dernièrement avec la déclaration de Hun Sen du 2 décembre proclamant son « soutien total à la candidature de Hun Manet au poste de premier ministre ». Cette déclaration surprenante par son timing et qui a été suivie par d’innombrables motions de soutien inconditionnel bien orchestrées, semble répondre à certaines réticences que rencontrerait, à l’intérieur du PPC, le plan de succession familiale conçu par Hun Sen.

 

Réticence de Sar Kheng

 

Se démarquant des innombrables motions de soutien à la décision de Hun Sen, une autre motion venant du ministre de l’intérieur Sar Kheng, perçu comme le principal rival de Hun Sen, apporte son soutien à « toute décision prise collectivement par le PPC » mais pas — comme on peut le lire en filigrane — à une décision prise individuellement par Hun Sen, fût-il le président du parti. Apparemment, il y a des téméraires qui ne prennent pas les désirs de Hun Sen pour des ordres. A côté de Sar Kheng il y a aussi des généraux d’armée comme Pol Saroeun, Meas Sophea, Kun Kim et bien d’autres qui ont été mis à l’écart pour dégager de la place et propulser Hun Manet.

 

L’exemple égyptien

 

Comme je l’ai écrit dans Gavroche du 5 avril 2021, « la chute du président égyptien Hosni Mubarak en 2011 après sa tentative de transférer le pouvoir à son fils doit hanter les pensées du Premier Ministre cambodgien Hun Sen qui s’apprête à faire la même chose pour son propre fils. Le projet de transfert familial avait déplu à “l’establishment” militaire égyptien qui décida de laisser la population manifester contre Mubarak, sans intervenir. Utilisant une pression populaire jusqu’ici jamais vue, les militaires ont finalement forcé Mubarak à transférer le pouvoir au Conseil Suprême des Forces Armées et le jusqu’ici tout-puissant “Rais” — qui avait tenu l’Égypte d’une main de fer pendant trente ans — fut jugé pour ses crimes passés. »

 

C’est probablement pour éviter ce « risque égyptien » que Hun Sen a pris une autre initiative qu’il a annoncée deux jours après la réaction mitigée de Sar Kheng : celle de convoquer le comité central du PPC pour le 24 décembre 2021 pour faire entériner par celui-ci la composition d’un « futur gouvernement de jeunes » (de moins de 60 ans) qui devra prendre la relève — au lendemain de l’élection législative de 2023 — des dirigeants actuels dont la plupart ont plus de 70 ans, voire 80 ans. Mais le point le plus important de cette annonce est que ces plus jeunes dirigeants en attente seront tous des enfants des dirigeants actuels, notamment ceux des membres du comité permanent du parti au pouvoir. Hun Sen a précisé que, en plus des siens, il y aurait des enfants de Sar Kheng (ministre de l’intérieur), Men Sam An (vice-premier ministre), Say Chhum (président du sénat) et Tea Banh (ministre de la défense).

 

Succession clanique

 

Ainsi, la dynastie politique que Hun Sen veut fonder avec son fils Hun Manet comme premier héritier, se doublera d’une succession clanique puisque les autres dirigeants dans l’entourage de Hun Sen seront eux-aussi remplacés par leurs propres enfants.

 

Reste à voir si cette façon inédite de corrompre son entourage permettra à Hun Sen d’assurer la réalisation et la pérennité de sa dynastie car il n’y a rien de plus anachronique que de ramener l’avenir d’un pays, même parmi les plus autoritaires, à une affaire de famille.

 

Sam Rainsy

 

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