London Escorts sunderland escorts
Home Accueil CAMBODGE – PORTRAIT : Les grands travaux du « Pharaon Ponchaud »

CAMBODGE – PORTRAIT : Les grands travaux du « Pharaon Ponchaud »

Journaliste : Adrien Le Gal
La source : Gavroche
Date de publication : 09/06/2020
0

Nous publions ce portrait du père François Pochaud issu de nos archives. Canaux, bagarres, biogaz… Le prêtre auteur de Cambodge année zéro, à la retraite depuis un an, met son énergie auprès des villageois de la province de Kompong Cham, pour leur prouver que la vie « à de la valeur ».

 

« Lok Ta Ponchaud ! Lok Ta Ponchaud ! »

 

Au volant de sa voiture, « monsieur grand-père Ponchaud » salue les enfants qui l’acclament à son arrivée dans le village de Chamlak, dans la province de Kompong Cham.

 

Aucun des habitants de cette petite commune rurale n’ignore le nom de François Ponchaud. Mais ici, le prêtre catholique, qui a annoncé son départ à la retraite il y a un an, n’est pas connu comme l’auteur de Cambodge année zéro, premier témoignage dénonçant les atrocités du régime khmer rouge, publié en 1977.

 

Pour eux, il est avant tout un travailleur infatigable, qui, depuis une dizaine d’années, a entamé des travaux titanesques de réhabilitation des canaux et barrages agricoles de la région, creusés à grand peine sous Pol Pot et abandonnés après sa chute.

 

« Les Khmers rouges n’avaient pas que de mauvaises idées, lance-t-il en désignant un canal de cinq kilomètres récemment réaménagé. Mais c’est sans compter, bien sûr, les horreurs qu’a dû endurer la population, condamnée aux travaux forcés, où tout se faisait à mains nues, sans l’aide de la moindre machine. »

 

Dans la région, d’autres réalisations des Khmers rouges sont encore debout. Ce pont, par exemple, situé à l’entrée d’un village : François Ponchaud descend de sa voiture, frotte contre la pierre portant l’inscription de l’inauguration : « Achevé le 7 de la lune croissante du mois de Chès, soit le 8 juin 1977 », y lit-il. « Tout ça a été construit dans des conditions abominables. Mais au nom de quoi devrait-on se priver de s’en servir ? » Par autodérision, il s’appelle parfois lui-même le « Kamaphibal », nom donné par les Khmers rouges aux cadres du régime. Et s’amuse du surnom de « Pharaon Ponchaud Ier », que lui a trouvé le journal La Croix.

 

«De moins en moins catholique »

 

L’avenir du pays, pour lui, passe par la prospérité des campagnes. Parmi ses projets, il veut ouvrir une maison d’agriculture sur un terrain d’un hectare acheté récemment. « Il faut leur apprendre à planter des ananas et des cannes à sucre… Le riz, financièrement, ça ne rapporte pas grand-chose. Mais pour ceux qui le cultivent, il faut enseigner le système de riziculture intensive, et le repiquage immédiat des pousses… Les rendements peuvent tripler. »

 

Le projet est modeste, en comparaison de l’institut Saint-Paul, bâtiment ouvert à 120 étudiants en agriculture dans la province de Takéo par Olivier Schmitthaeusler, le nouvel évêque de Phnom Penh. Celui que l’on appelait jusque-là le « père Olivier » a pris la relève de l’évêque Émile Destombes le 15 août dernier. Lorsque l’on demande au père Ponchaud ce qu’il pense de ce prêtre alsacien, âgé de seulement 40 ans, il élude la question : « Il est très catholique, et moi de moins en moins, mais nous nous respectons et nous nous aimons comme nous sommes », lâche-t-il.

 

Depuis plusieurs années, François Ponchaud a pris quelques distances vis-à-vis de l’Église, et se permet souvent un discours critique. Lorsqu’il a pris sa retraite, c’est avec soulagement qu’il dit avoir « rendu les clés » : « Au Cambodge on assiste à la création d’une église de plus en plus cléricale, avec des gens qui ne connaissent pas grand-chose ni au bouddhisme, ni à la mentalité khmère, et qui veulent imposer leur loi aux Khmers ! »

 

Lorsque, à l’occasion d’un retour en France, il célèbre la messe à Sallanches, sa ville natale de Haute-Savoie, les rangs sont clairsemés, et la plupart des fidèles âgés, mais cela le rassure sur le dynamisme de l’église catholique : ce sont des croyants et non des suiveurs. Parmi les jeunes prêtres, pourtant, certains lui donnent beaucoup d’espoirs : Vincent Sénéchal, par exemple, missionnaire à Kompong Thom depuis trois ans : « Il a 35 ans, il est docteur en sciences bibliques, c’est quelqu’un d’humble, de bon et d’intelligent. L’avenir, ce sont des gens comme lui. »

 

L’« hypocrisie » du célibat

 

François Ponchaud tourne le bouton de son autoradio, parvient à capter RFI. Le flash d’information s’ouvre sur un nouveau scandale de pédophilie dans l’Église, en Belgique. « Il y a tellement d’hypocrisie dans le clergé, soupire-t-il. Le célibat des prêtres, par exemple. On est censé enseigner l’amour, mais on nous prive de l’expérience de l’amour conjugal et paternel. Alors, qu’est-ce qu’on y connaît ? Il faudra bien un jour avoir le courage de regarder la vie en face, et d’ordonner des gens mariés prêtres ! De toute façon, ça arrivera un jour, bien plus tôt qu’on ne le pense. »

 

À O’Reang Oeuv, son éloignement de Phnom Penh lui apporte un souffle d’air et de liberté. Il s’y aménage en ce moment une petite pièce climatisée. « Je vieillis, j’ai besoin de confort », assure-t-il. François Ponchaud, pourtant, ne donne pas l’impression d’être physiquement fatigué. Lorsque, par inadvertance, il laisse une roue de sa voiture s’embourber dans le fossé, il bondit à l’extérieur de véhicule, sort sa caisse à outils de son coffre et va planter un pieu, à l’aide d’une masse, de l’autre côté de la rue, pour y attacher son treuil, sous l’orage qui commence. Souriant, sa chemise trempée de boue, il se remet au volant comme après un travail routinier, et reprend sa conversation alors que les trombes d’eau commencent à s’abattre sur son pare-brise. « Je veux continuer mon travail religieux le matin, et mon travail humanitaire l’après-midi. » Pourtant, il se défend de s’être transformé en travailleur social : « Ce n’est pas mon métier. Ce que je veux, c’est montrer aux gens qu’ils méritent d’être aimés, car leur vie a de la valeur. Les grandes choses, je les laisse au gouvernement. »

 

Son association, Espace Cambodge, survit grâce aux dons des particuliers en provenance de la France. Mais pas question de se doter d’une administration semblable à celle des grandes ONG : le bulletin d’activité est rédigé par ses soins, et les appels à la générosité s’opèrent de manière informelle, sans exploiter la veine misérabiliste. Lorsqu’il se rend en France, il organise une série de conférences dans différentes villes, où il parle avant tout du Cambodge, de son histoire et de son avenir. Fort de son expérience et de ses lectures avides de tout ce qui se publie sur le royaume, il peut argumenter ses critiques contre la politique du gouvernement, l’actuel procès des ex-dirigeants khmers rouges ou la présence, de plus en plus importante, des évangélistes anglo-saxons qui s’installent, à la faveur d’une législation conciliante.

 

La croix et le « dieu mort »

 

Ses voyages en France, et ses contacts avec des Français amis du Cambodge, lui permettent de lever des fonds, mais son association ne jouit pas d’une grande latitude financière. « Il y a quelques mois, raconte-t-il, je cherchais 2 000 dollars pour payer l’opération d’une malade du cœur. Le jour où l’argent est arrivé, elle est morte. Là, je me suis dit : c’est absurde de laisser mourir une jeune fille faute d’argent, je vais le mettre sur un fonds de sauvegarde au cas où cette situation se répéterait. »

 

Aujourd’hui, c’est un enfant de 15 ans qui a besoin de soins, pour les valves de son cœur qui ferment mal. « Il est allé à l’hôpital de cardiologie, à Phnom Penh, où il aurait dû recevoir des soins gratuitement parce qu’il est mineur. Mais là, les médecins l’ont orienté vers le service des adultes, parce que ça leur rapportait de l’argent. Une fois qu’il a été enregistré comme majeur, il est impossible de faire marche arrière. »

 

François Ponchaud freine et arrête sa voiture. « Voilà, c’est la plus belle église du Cambodge », sourit-il en montrant le lieu de culte qu’il a fait construire dans la paroisse. Pas de croix ostensible à l’entrée : le prêtre ne tient pas à afficher ce symbole du christianisme, trop « ostentatoire » et « faux » à son goût : « Les Cambodgiens nous accusent d’honorer un dieu mort ! Alors j’ai mis une croix en forme de fleur… »

 

Le bâtiment est tourné vers l’ouest, « comme Angkor Wat » : « C’est la direction de la mort, car je voulais que le chœur soit dans la direction opposée, celle de la vie. » Les murs, décorés par un peintre de pagode, représentent les scènes de la Bible et de la théorie de l’évolution. Le Christ, lui, a les traits asiatiques et un krama, l’écharpe traditionnelle khmère, autour du cou. À côté du bâtiment se trouve un baptistère à l’ancienne, qui sert lorsqu’un villageois demande à entrer dans la communauté catholique. Mais le prêtre refuse de s’engager dans une course aux baptêmes. Seule la sincérité de la conversion compte, et ceux qui franchissent le pas ne doivent s’attendre à aucun avantage matériel en échange. « Lorsque je suis arrivé ici, on m’a dit que beaucoup de villageois voulaient devenir chrétiens. Ma première réaction a été de me méfier. Beaucoup de Cambodgiens sont prêts à changer de religion pour remercier ceux qui les aident, mais ce n’est pas cela que je recherche. »

 

Les lumières du biogaz

 

Reprenant le volant alors que le soleil se couche, « Lok Ta Ponchaud » se dirige vers un des 70 foyers que son association a aidés à s’équiper de biogaz. Le concept est simple : la bouse animale et le produit des latrines sont stockés sous terre, dans une cuve de briques et de ciment, et le gaz qui s’en échappe est recyclé pour alimenter le foyer. « L’intérêt est évident, raconte le prêtre, qui a fait construire les premières latrines grâce à un don du club Rotary de Blois. Les villageois n’ont plus besoin d’aller couper du bois pour faire la cuisine, le méthane produit par la bouse de vache est récupéré au lieu de polluer, et les habitants n’ont pas à payer pour recharger leur batterie d’éclairage. L’installation garantit à 100% le respect de l’environnement et améliore sérieusement l’hygiène publique. » Une action concrète, utile et de proximité : pour le prêtre, la lumière du biogaz n’est pas opposée à celle de la foi.

 

 

 

A.L.G.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Les plus lus