Home Accueil GAVROCHE – HISTOIRE : Le 15 août 1945, les leçons de la fin de la guerre du Pacifique

GAVROCHE – HISTOIRE : Le 15 août 1945, les leçons de la fin de la guerre du Pacifique

Date de publication : 15/08/2023
0

Douglas Mac Arthur

 

Notre ami et chroniqueur Yves Carmona est historien de formation. Pas étonnant qu’il nous livre pour Gavroche d’excellentes chroniques historiques comme celles-ci. Que s’est il passé un certain 15 août 1945 ? La réponse est à lire ci dessous….

 

Par Yves Carmona, ancien ambassadeur de France au Laos et au Népal

 

A l’ambassade de France au Japon, on avait coutume de plaisanter : deux catastrophes se sont produites le 15 août 1945, la naissance de l’ambassadeur et la reddition du Japon.

 

Cette mauvaise blague ne doit pas faire oublier combien le 15 août 1945 fut à la fois un traumatisme et une libération.

 

Un traumatisme pour la plupart des Japonais, qui n’avaient jamais entendu la voix de l’empereur Hiro-Hito (devenu Shôwa après sa mort) et l’entendre diffusée par la radio était en soi un choc. Ce seul fait a suscité une tentative de coup d’État pour l’empêcher dont l’échec a provoqué plusieurs suicides, de même que les manœuvres infructueuses pour subtiliser les enregistrements…


On peut entendre un fac-similé aujourd’hui au Shôwakan, à deux pas du Palais où l’empereur a vécu. Cette voix chevrotante, dans des conditions techniques approximatives du fait de l’époque, de la guerre et des événements décrits ci-dessus, celle de l’empereur qui annonçait dans une langue que peu comprenaient en-dehors de la Cour la reddition sans condition du Japon, qui l’a vraiment comprise ? Beaucoup en tout cas ont pleuré en l’entendant déclarer qu’il fallait accepter d’ « endurer ce qui ne saurait être enduré et en supportant l’insupportable», et c’est peut-être cette phrase qui a été le mieux entendue.

 

En effet, en acceptant la déclaration de Potsdam (26 juillet 1945), l’empereur se résout à une reddition sans condition et se réfère pour la justifier aux bombardements nucléaires de Hiroshima (6 août) et Nagasaki (9 août).


Une photo montre ensuite ses envoyés signant le 2 septembre sur le cuirassé « Missouri » la capitulation du Japon, en présence du vainqueur, le général Douglas Mac Arthur.

 

Même si le 15 août symbolise la fin de la guerre, en fait elle en est bien loin, quitte à ne plus être mondiale mais en marquant l’Extrême-Orient pour longtemps.

 

C’est à l’intérieur de l’archipel, exsangue, qu’elle permet les plus grands changements et la libération.

 

Le Commandement militaire (GHQ) les impose à des autorités nippones héritières du militarisme et de la guerre. Relisons ce qu’a écrit à ce propos le professeur Seizelet : « Les deux formations conservatrices qui prennent la suite des partis d’avant-guerre considèrent qu’il suffirait d’une simple révision de la Constitution de Meiji (1889) laissant à l’empereur la souveraineté et un bonne part de l’exercice du pouvoir. Nouveau venu, le parti socialiste veut le réduire à un rôle protocolaire (…) seul le parti communiste réclame une république mais il n’obtient que 3,5% des suffrages aux élections du 10 avril 1946 ». L’empereur et surtout le système impérial sont sauvegardés.

 

Le GHQ impose de son côté une démocratisation qui est cohérente avec les attentes du pouvoir démocrate à Washington.

 

C’est qu’en fait, loin de mettre fin à la guerre, la reddition du 15 août 1945 est seulement une étape et la paix ne sera signée entre les États-Unis et le Japon que le 8 septembre 1951 à San Francisco, doublée d’un traité de sécurité nippo-américain confiant de facto au parapluie nucléaire américain la sécurité du Japon contre des attaques armées de l’extérieur.


De fait, la guerre a changé de théâtre car avant même le 15 août 1945, la guerre froide est devenue l’enjeu prioritaire.

 

En effet, dès le 8 mai 1945 (le 9 mai compte tenu du décalage horaire), l’URSS cherche à étendre sa sphère d’influence, à Berlin comme en Asie, comme la conférence de Yalta en février 1945 l’y a, estime-t-elle, autorisée.

 

A Berlin, elle impose que la capitulation du IIIème Reich soit signée simultanément auprès d’elle et des Occidentaux.

 

En Extrême-Orient, la guerre mondiale n’est pas finie car l’URSS, dont le secrétaire général Joseph Staline a promis à Roosevelt que l’URSS entrerait en guerre contre le Japon 90 jours après la défaite de l’Allemagne, tient ce calendrier. L’invasion soviétique de la Mandchourie commence le 8 août 1945, après le bombardement atomique sur Hiroshima le 6 août et la chaîne des Kouriles ainsi que la moitié sud de Sakhaline (à savoir les « Territoires du Nord » japonais) sont incorporées durablement à l’Union soviétique en 1946.

 

La déclaration commune soviéto-japonaise de 1956 pose bien un cadre préparatoire à la négociation d’un traité de paix définitif et de facto elle en tient lieu, mais un traité de paix en bonne et due forme n’a jamais pu être conclu. Les relations entre l’URSS puis la Russie et le Japon restent mauvaises jusqu’à aujourd’hui.

 

Ces différentes paix et déclarations n’ont donc pas mis fin aux guerres en Asie et certains s’en émeuvent. L’Appel de Stockholm contre l’arme nucléaire du 19 mars 1950, soutenu notamment par les partis communistes, en est le symbole. De retentissement mondial, on trouve parmi ses promoteurs, à part les Américains qui restent très prudents puisqu’ils détiennent l’arme nucléaire, le jeune Jacques Chirac comme des féministes japonaises qui refusent de voir leurs maris et fils tués. Aux Etats-Unis, le début concomitant du maccarthysme vaudra aux soutiens de cet appel des refus de visa et aux époux Rosenberg, accusés à tort d’être des espions soviétiques, la chaise électrique.

 

Il faut dire que la guerre de Corée vient d’éclater et elle restera typique de la guerre « froide » – elle n’est froide que pour les superpuissances nucléaires URSS et États-Unis dont la guerre par procuration fait des millions de victimes coréennes, chinoises et onusiennes, de facto américaines, pour se retrouver le 27 juillet 1953 avec un armistice et une ligne de cessez-le-feu calée sur le 38ème parallèle à Panmunjon qui n’a pas varié depuis. Paradoxalement, en transformant le Japon en arsenal pour ce conflit interminable, elle contribue à la « haute croissance » de l’archipel.


Le Vietnam, dont la guerre américaine est engagée en 1955, peu après la paix française (Genève 20 juillet 1954), suit le même parcours.

 

Aujourd’hui encore, les missiles nord-coréens menacent jusqu’au territoire continental américain et la Chine manifeste régulièrement sa volonté de prendre militairement le contrôle de Taïwan.

 

La Corée du Nord et le Japon restent légalement en état de guerre et la première expédie régulièrement au-dessus de l’archipel des missiles, qui pourraient être nucléaires, et dont aucun n’a jusqu’à présent touché la terre nipponne.

 

Sans oublier que les deux Corée sont également en état de guerre et que celle du Nord menace périodiquement de réduire en cendres Séoul, distante de 45 km à peine de la zone démilitarisée (DMZ) séparant les deux pays.

 

Commentaires

 

On peut se persuader – et il vaut mieux y croire – que le principe de la destruction mutuelle assurée (MAD) nous préserve d’une guerre nucléaire. Mais on voit bien aussi que le nombre de puissances équipées d’une arme qui garantit leur survie augmente petit à petit, d’autant mieux que ceux qui y ont renoncé sont en grand danger, comme Sadam Hussein, capturé puis exécuté en 2006 ; à l’inverse, en avoir sans le dire, comme Israël, le rassure entouré qu’il est de ceux qui ne l’ont jamais accepté…

 

Cependant, le non emploi d’armes nucléaires continue à faire de considérables dégâts.

 

Les armes à fragmentation (cluster bombs) déjà expérimentées par les États-Unis au Vietnam, au Cambodge et au Laos lors de la guerre qu’ils y ont menée de 1955 à 1975 et que le Président Biden vient à nouveau de décider de livrer à l’Ukraine en sont le dernier exemple. L’auteur de ces lignes a vu comment 40 ans après la fin de la guerre, elles continuaient à tuer et estropier des paysans laotiens, souvent parce que les pilotes américains les avaient larguées au passage, de retour de missions au Vietnam.

 

Aujourd’hui, le concept du moment met l’accent sur la « stratégie indo-pacifique » inspirée par Shinzo Abe, comme l’écrit en anglais le Nikkei : “The diplomatic concept of the Indo-Pacific was first mentioned by Japan’s then-Prime Minister Shinzo Abe when he addressed India’s Parliament in 2007. In his speech, titled “Confluence of the Two Seas,” Abe said, “The Pacific and the Indian Oceans are now bringing about a dynamic coupling as seas of freedom and of prosperity. A ‘broader Asia’ that broke away geographical boundaries is now beginning to take on a distinct form.”

 

This eventually led to Japan’s “free and open Indo-Pacific” strategy, though Abe himself resigned a month after his speech, before becoming PM again in 2012.”

 

L’objectif de Abe Shinzo : rétablir la grandeur impériale du Japon de son grand-père Kishi Nobusuke, détenu par les forces d’occupation américaines comme criminel de classe A jusqu’à sa libération sans procès en 1948. Cette stratégie, dirigée contre la Chine et sa puissance militaire croissante, n’aggrave-t-elle pas le risque de guerre ?


On peut se demander si la France, en se ralliant à cette politique, ce que semble faire son Président, alors qu’elle n’a guère les moyens militaires d’agir en Asie-Pacifique comme l’ont reflété l’affaire des sous-marins Scorpène qui devaient permettre de faire de l’Australie un grand partenaire dans l’Océan Pacifique ainsi que le pacte AUKUS, en même temps que le peu de canons dont elle dispose sont consacrés à la guerre en Ukraine, ne risque pas d’y perdre toute crédibilité ?

 

Chaque semaine, recevez Gavroche Hebdo. Inscrivez vous en cliquant ici.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Les plus lus