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GAVROCHE – ROMAN : Hashtag Singapour, épisode 14 : Les mélodies de Yo Yo Ma

Journaliste : Alain Guilldou Date de publication : 17/04/2022
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Hashtag Singapour

 

Nous voici au seuil de l’épisode 14 du roman feuilleton Hashtag Singapour. 15 épisodes. Qui d’autre que Gavroche pour publier ainsi des récits inédits d’écrivains engagés en Asie du sud est ? Merci à nos amis des éditions Gope. Gavroche, c’est aussi la culture, l’écriture et la lecture !

 

L’INTRIGUE

M. Tong, violoniste mondialement admiré, est très attaché à son Stradivarius et à sa belle demeure de Singapour. Lors de ses tournées dans différents pays, Mme Tong en profite pour retrouver sa passion de jeunesse : chanter les Beatles dans un cabaret démodé. La tension latente dans le couple prend un tournant dramatique lorsque Mme Tong apprend le comportement inadmissible de son mari auprès de certaines femmes. Elle décide de lui donner une leçon d’une façon très personnelle précisément au moment où il est victime d’événements pour le moins inexplicables et qui risquent de lui faire perdre la raison. Mais qu’est-ce que la raison dans cette histoire ?

 

RÉSUME ÉPISODE 13

 

M. Tong s’apprête à interroger rudement son épouse sur l’ancien éparpillement des hashtags/dièses dans SA pièce. Il reçoit alors d’inquiétants courriels dont il retient : « La punition du ciel par anticipation – La punition des hommes par procuration ». Sa femme l’appelle pour prendre un café, décidée à lui dire qu’en son absence son père, Jiyu Tong, qu’elle appelait « Lao Lee », est décédé et enterré.

 

ÉPISODE 14 : Les mélodies de Yo Yo Ma !

 

Naturellement, Mme Tong n’avait aucune intention de parler de M. Feng qu’elle avait rencontré au club LET IT BEatles et à qui elle avait demandé de lui rendre un service très personnel. L’homme avait apprécié la démarche de l’ancienne chanteuse et s’était dit prêt à lui rendre un autre service, plus expéditif, si besoin était.

 

D’abord, place au petit déjeuner.

 

Après trois tasses de café noir et un petit déjeuner copieux avalé en silence sous le regard amusé de son épouse, M. Tong se sentait d’humeur badine. C’est fou comme on est prêt à aimer tout et tout le monde quand on vient de s’échapper des enfers.

 

Derrière la fenêtre, au-dessus de l’évier, le soleil enflammait le drôle d’arbre planté le jour de leur emménagement. Par-dessus l’épaule de son mari, Katherine apercevait également l’arbre qui rappelait le buisson ardent biblique. Où était la terre promise ? Loin devant, toujours plus loin. La traversée du désert n’était sans doute pas encore terminée.

 

— Ils ont annoncé qu’on aurait peut-être une heure de forte pluie dans l’après-midi, dit Mme Tong avec désinvolture en débarrassant la table.

 

— Vraiment ?

 

— Au fait, tu as du courrier sur ton bureau, tu as vu ?

 

— Du courrier ? Non. Je croyais que tu me l’avais apporté à l’hôpital. Enfin, l’hôpital…

 

— Pas du tout !

 

………………..Blackbird singing in the dead of night………………..

 

Un oiseau pépia très à propos. Il n’en fallut pas davantage pour que Katherine échappe à une question subsidiaire et se mette à fredonner :

 

Blackbird singing in the dead of night
Take these broken wings and learn to fly
All your life
You were only waiting for this moment to arise

 

M. Tong se retourna lentement. Il regarda le poignet dont il avait cru ne plus pouvoir se servir après la fracture qu’on lui avait annoncée, et se racla la gorge. Mieux valait avoir la voix claire pour balancer tout ce qu’il avait sur le cœur.

 

Après une légère hésitation, à son corps défendant, il proposa :

 

— Dis, Katherine…

 

— Oui ?

 

— Non, rien… Enfin si, tu viens de me donner une idée.

 

Katherine Tong n’avait jamais aimé plus de 10 % des idées de son mari.

 

— Ça va peut-être te paraître bizarre, dit-il, mais je pensais enregistrer des versions orchestrales de certains slows des Beatles. En insistant sur les violons, bien entendu. Et des chœurs. Yo-Yo Ma a bien enregistré des musiques de films d’Ennio Morricone. Qu’en dis-tu ?

 

Son épouse hésita sur l’expression à donner à son visage, sur les mots à employer pour répondre. Au-delà du projet inattendu, elle comprit que son mari n’allait pas évoquer les jours cauchemardesques qu’il venait de passer loin de chez lui. Loin d’elle. De nouveau, il ne parlait que de son travail. Elle savait qu’elle n’arrivait qu’en deuxième position sur le podium des préoccupations de son mari et qu’il existait une hauteur infranchissable entre la première et la deuxième marche.

 

……………………….N’y avait-il pas un faible espoir ?…………………

 

Katherine Tong était sur le point de regretter la punition qu’elle avait infligée à son mari avec la complicité de M. Feng. Cette punition, bien qu’amplement méritée à ses yeux pour son égoïsme exacerbé et ses multiples tromperies, n’allait-elle pas précipiter le déclin du musicien ? Car elle avait entendu parler des fausses notes que son mari avait laissé filer. Des articles en avaient parlé. Même si cela peut arriver – la fausse note est humaine –, la question était peut-être de savoir si le violoniste avait encore toutes ses facultés de virtuose. Il avait récemment tenu des propos incohérents à plusieurs reprises. Qu’allait-il se passer si sa maison de disques lui refusait désormais tout enregistrement ? Il deviendrait fou. Il n’y a pas plus combatif qu’un lion blessé. Autant garder un fusil chargé de .577 Tyrannosaur à portée de main. Sans aller jusque-là, elle demanderait bientôt à M. Feng s’il n’avait pas une arme à lui prêter.

 

— Salut tout le monde !

 

La voix de Cheryl, étonnamment tombée du lit à une heure où d’ordinaire il lui restait au moins trois heures de sommeil, résonna dans l’escalier.

 

La jeune fille entra dans la cuisine et alla embrasser ses parents.

 

— Comment se fait-il que tu sois déjà levée ? s’étonna Mme Tong.

 

— Tu ne te rappelles pas que je vais chez Lian ? répondit Cheryl en demandant au passage à son père comment il allait.

 

Avant qu’il n’ait eu le temps de répondre, la jeune fille avait tourné le dos ; elle prit une pomme sur la table de cuisine et s’en alla en sifflotant dans une tenue à affoler un ecclésiastique.

 

Chiam Chok Tong leva les yeux au ciel, mais ne fit aucun commentaire. Il voulait reparler à son épouse de l’idée qu’il avait évoquée quelques instants plus tôt.

 

— Qu’en penses-tu, Katherine, pour le disque ?

 

Mme Tong allait ouvrir la bouche pour répondre quand Cheryl les interpella en imitant à la perfection la voix stupide que l’on entend dans les haut-parleurs des supermarchés pour recommander une vente flash.

 

— Y a plein de hashtags par terre !

 

Chiam Chok Tong ouvrit des yeux démesurés.

 

— Viens vite voir, Papa ! insista l’adolescente. C’est à côté de ton violon.

 

L’AUTEUR

Après une carrière d’enseignant, Alain Guilldou a été responsable de la communication du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA), ce qui l’a amené à tisser des liens avec de nombreux pays du monde, en particulier ceux d’Extrême-Orient. Il continue d’enseigner à Singapour, la ville-Etat qui lui a inspiré plusieurs nouvelles dont celle-ci.

 

Hashtag Singapour est une nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de C’est arrivé à Singapour, un recueil de nouvelles publiées aux éditions Gope.

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