Home Accueil GAVROCHE – ROMAN : #Hashtag Singapour, épisode 7 : Un inquiétant personnage….

GAVROCHE – ROMAN : #Hashtag Singapour, épisode 7 : Un inquiétant personnage….

Date de publication : 20/02/2022
0

Chinatown Singapour

 

Gavroche prend le parti des romanciers et de la création littéraire. A travers nos romans-feuilletons, retrouvez le meilleur de la littérature d’Asie du Sud-Est, en coopération avec les éditions GOPE

 

L’AUTEUR

 

Après une carrière d’enseignant, Alain Guilldou a été responsable de la communication du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA), ce qui l’a amené à tisser des liens avec de nombreux pays du monde, en particulier ceux d’Extrême-Orient. Il continue d’enseigner à Singapour, la ville-État qui lui a inspiré plusieurs nouvelles dont celle-ci.

 

L’INTRIGUE

 

M. Tong, violoniste mondialement admiré, est très attaché à son Stradivarius et à sa belle demeure de Singapour. Lors de ses tournées dans différents pays, Mme Tong en profite pour retrouver sa passion de jeunesse : chanter les Beatles dans un cabaret démodé. La tension latente dans le couple prend un tournant dramatique lorsque Mme Tong apprend le comportement inadmissible de son mari auprès de certaines femmes. Elle décide de lui donner une leçon d’une façon très personnelle précisément au moment où il est victime d’événements pour le moins inexplicables et qui risquent de lui faire perdre la raison. Mais qu’est-ce que la raison dans cette histoire ?

 

RÉSUMÉ ÉPISODE 6

 

M. Tong s’interroge sur son sort et n’y comprend rien. Sa condition physique l’inquiète tout autant que l’endroit où il se trouve. Pour sa part, Mme Tong rencontre un certain M. Feng, qu’elle a connu autrefois, un homme pour le moins inquiétant mais dont elle attend qu’il lui rende un service.

 

ÉPISODE 7 :  Un inquiétant personnage……

 

Les largesses que Katherine eut de temps à autre pour M. Feng ne faisaient pas partie de son contrat avec le club. Cela l’émoustillait simplement de s’encanailler avec un homme qui ne souriait jamais, que tous redoutaient mais dont elle appréciait la remarquable efficacité aux jeux de l’amour et au billard dans des volutes de tabac brun.

 

La chansonnette avait été le premier amour de Mme Tong et les miaulements interminables du stradivarius de son mari finissaient par lui donner de l’urticaire, aussi, quand elle voyait sur leur agenda partagé que le violoniste partait pour une série de concerts aux Etats-Unis ou en Europe, se réjouissait-elle d’avoir le champ libre. Elle profitait alors de ces jours de liberté pour se… rajeunir. A savoir, pour chanter. Elle appelait le LET IT BEatles Club et retrouvait la scène. Avec le développement exponentiel du port de commerce devenu le deuxième plus grand au monde après Shanghai, la mer disparaissait derrière des montagnes de containers, et le quartier était méconnaissable. Les marins, en majorité pakistanais et philippins, désargentés et peu enclins à s’enivrer, descendaient rarement à terre alors que les matelots chinois arpentaient volontiers les quais, rassurés par les enseignes en sinogrammes et traditionnellement portés à trinquer à de multiples kampais! Pour rompre avec les rooftop bars touristiques du centre-ville, quelques nouveaux-très-riches se risquaient sur le port les soirs de week-end. En voiture de sport et Nike fluo, au bras d’un mannequin du magazine Her World, ils débarquaient bruyamment, prêts à laisser en consommations et pourboires de quoi racheter l’établissement.

 

Le Groupe T avait pressenti dans cette nouvelle clientèle une raison suffisante pour soutenir financièrement le LET IT BEatles Club, afin qu’il échappe à la visite de pelles hydrauliques bourrées de mauvaises intentions. La décoration et le personnel furent rajeunis et la sono modernisée pour y accueillir des DJ en devenir dont les prestations étaient annoncées à grands renforts de réseaux sociaux.

 

Le répertoire de Mme Tong

 

En revanche, le répertoire de Mme Tong ne s’était guère enrichi depuis les années où elle passait en vedette. Elle n’était plus l’envoûtante entraîneuse qui, d’un savant regard, d’un mouvement de cuisse et d’une note tournée sept fois dans sa bouche avant d’être émise aurait accompagné n’importe quel client rétif au seuil de l’enfer. Cependant, l’âge donnait plus de chaleur à ses prestations. Son charme s’était assagi, sans pour autant avoir dit son dernier mot. Les jours qui précédaient ses comebacks, le trac accompagnait l’artiste occasionnelle tel un vieux copain enfin retrouvé.

 

Miss Hong reconnaissait certains clients, épaissis par le temps et l’alcool. Les moins jeunes « d’avant » traînaient un peu la patte, mais se montraient plus généreux qu’autrefois avec elle, lui glissant à la dérobée quelques gros billets dont elle n’avait pas besoin. Cela faisait partie du jeu, et nul n’était censé savoir qu’elle vivait dans une aisance qui la mettait à l’abri du besoin.

 

Rassurées par la fermeté de leur corps et par l’opium invisible qu’elles soufflaient sur des clients venus entre deux dépressions ou en attente de divorce, les girls permanentes ne jalousaient pas Miss Hong qui ne chantait plus que des slows des Beatles, des Carpenters et de quelques autres chanteurs passés de mode. Révolu le temps où elle osait Holding Out for a Hero de Bonnie Tyler.

 

Une envie inavouable de faire un billard

 

Cette fois, elle avait pris rendez-vous avec M. Feng par l’intermédiaire du patron du bar. Ce dernier n’avait posé aucune question, imaginant que Mme Tong avait une envie inavouable de faire un billard après l’heure de la fermeture. Nullement. Après son mariage, qui marqua un tournant brutal dans sa vie, Katherine Tong revit M. Feng à deux reprises, par hasard, alors qu’elle se rendait au club en cachette en l’absence de son mari ; une page avait définitivement été tournée.

 

Elle constata à quel point M. Feng avait vieilli, mais il n’en paraissait pas moins redoutable. Il se contentait à présent de sa fonction officielle d’expert-comptable. Le volet maître-des-basses-œuvres, qui faisait jadis partie de son périmètre professionnel, était dorénavant confié à des pyromanes médaillés d’or du lance-flammes ou à des tireurs psychopathes.

 

Quand elle le vit s’approcher d’un pas lent, pour l’amadouer, Mme Tong entonna Yesterday. Elle ne discerna pas dans le regard de M. Feng la concupiscence d’autrefois. Le billard devait être devenu un peu haut pour lui. Ses mains tremblotaient. Son pantalon lui tombait un peu. Une gueule de dragon ridé tentait de s’échapper de la chemise entrouverte. Comme si ses muscles zygomatiques avaient été tranchés en même temps que le cordon ombilical, il ne souriait toujours pas.

 

— Alors, Katherine, qu’est-ce que je peux faire pour toi ? demanda-t-il d’un air fatigué, prêt à refuser d’éventuelles avances.

 

Devant un whisky offert par la maison, Mme Tong exposa ses préoccupations à son interlocuteur, qui hocha la tête avec une écoute et une compréhension dont Dieu est incapable. Elle se surprit de se savoir aussi calculatrice.

 

L’affaire fut conclue en quelques minutes. M. Feng était un homme de peu de mots. C’était avant tout un homme de chiffres. Il n’avait jamais eu besoin de boulier pour compter l’argent ni les cadavres.

 

A suivre…

 

Hashtag Singapour est une nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de «C’est arrivé à Singapour» un recueil de nouvelles publiées aux éditions Gope.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Les plus lus