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GAVROCHE – ROMAN : #Hashtag Singapour, épisode 8 : Une poitrine bien avantageuse…

Journaliste : Alain Guilldou Date de publication : 26/02/2022
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Singapour infirmière

 

Nous poursuivons notre exploration de Singapour avec ce nouvel épisode de notre feuilleton tiré de la nouvelle publiée aux Éditions Gope.

 

L’INTRIGUE

 

M. Tong, violoniste mondialement admiré, est très attaché à son Stradivarius et à sa belle demeure de Singapour. Lors de ses tournées dans différents pays, Mme Tong en profite pour retrouver sa passion de jeunesse : chanter les Beatles dans un cabaret démodé. La tension latente dans le couple prend un tournant dramatique lorsque Mme Tong apprend le comportement inadmissible de son mari auprès de certaines femmes. Elle décide de lui donner une leçon d’une façon très personnelle précisément au moment où il est victime d’événements pour le moins inexplicables et qui risquent de lui faire perdre la raison. Mais qu’est-ce que la raison dans cette histoire ?

 

RÉSUMÉ ÉPISODE 7

 

Lorsqu’elle était chanteuse dans un club, Mme Tong côtoyait des gens peu fréquentables, dont M. Feng, mafieux redoutable. Bien que les années aient passé et qu’elle ait changé de vie, Mme Tong sait pouvoir compter sur M. Feng pour donner vie au projet qu’elle mijote.

 

ÉPISODE 8 : Une poitrine bien avantageuse…

 

En arrivant au dixième étage du Khoo Teck Puat Hospital, Yishun Avenue 1, dans le Nord de la ville, Katherine Tong avait toutes les peines du monde à retenir ses larmes. Elle détestait les hôpitaux, où elle n’avait eu à séjourner qu’à l’occasion de la naissance de sa fille. Le service des soins palliatifs était pour elle le plus angoissant.

 

Elle fit un arrêt aux toilettes pour se redonner un visage présentable. Trait de rouge à lèvres. Rectification habile du maquillage de ses yeux effilés. Claquement du fermoir de son petit sac à main Gucci. Elle se redressa, allongea le cou, hocha la tête. Le miroir lui renvoya l’image d’une femme qui avait encore fière allure. Son tailleur gris foncé moulait une poitrine avantageuse et ses chaussures de prix la rehaussaient de sept centimètres.

 

Elle laissa la porte se refermer mollement derrière elle et suivit la longue ligne bleue peinte au sol qui devait la mener au bureau des infirmières. En la croisant, des visiteurs la regardaient avec insistance comme s’ils cherchaient à mettre un nom sur son visage. De l’air hautain auquel l’avait habituée la fréquentation des salles de concert or et pourpre, des hommes en queue-de-pie et des femmes alourdies de bijoux, Katherine Tong arpenta le couloir aussi imperturbable qu’un robot humanoïde.

 

Elle toqua à la porte réservée au personnel derrière laquelle quelques rires discrets pouvaient paraître incongrus à un tel étage. Pourtant, le rire était la vitamine indispensable aux infirmières pour surmonter le malheur d’être cloîtrées de longues heures auprès des cas en fin de vie.

 

— Je souhaiterais voir le professeur Sung-Young, dit Mme Tong à la petite femme replète et sans âge qui entrebâilla la porte et dont le visage disait une bonté de sainte.

 

— Le professeur n’est pas dans ce bâtiment, et je doute que sans rendez-vous il puisse vous recevoir.

 

La visiteuse ne fut guère surprise par l’objection. Elle nota que le sourire de la soignante était de ceux à se faire ouvrir les coffres de la banque centrale de Singapour par son président lui-même sans la menace d’une arme.

 

— C’est bien lui qui suit M. Tong, n’est-ce pas ?

 

L’infirmière consulta le tableau mural pour se donner une contenance, car il n’y avait aucun doute. Le professeur Sung-Young suivait tous les patients de l’étage.

 

— Oui, c’est bien lui, mais comme je vous l’ai dit…

 

Dans le bureau, deux autres soignantes vidaient leur Tupperware avec la célérité qu’elles déployaient d’ordinaire pour s’occuper d’un patient en urgence absolue.

 

— Je comprends, Madame… Peut-être vous-même pouvez-vous me renseigner ?

 

L’émotion qui se lisait sur le visage de Mme Tong et la simplicité dont elle savait faire preuve quand cela l’arrangeait abattirent la résistance en cire fondue de l’infirmière.

 

— Que voulez-vous savoir ?

 

La visiteuse fit claquer le fermoir de son sac à main, sortit un mouchoir de fine dentelle qu’elle chiffonna entre ses doigts.

 

— Je suis inquiète pour M. Tong, vous comprenez.

 

— Vous êtes de la famille ?

 

— Bien sûr, Madame. Je suis Mme Tong.

 

— Oh ! pardon, s’excusa la soignante qui n’imaginait pas que l’épouse du malade pût avoir si fière allure. Que voulez-vous savoir ?

 

Mme Tong prit une longue inspiration puis vida ses poumons par à-coups, comme une toux qu’elle aurait tenté de contenir pour ne pas déranger les spectateurs d’un concert de musique de chambre.

 

— J’aimerais que l’on soit honnête avec moi.

 

— Oui, bien sûr, assura l’infirmière, jetant un regard à la dérobée à ses deux collègues qui tendaient l’oreille.

 

— Combien de temps ?

 

C’était la question rituelle posée par les familles, celle qui liquéfie le personnel hospitalier. Une question qui se complétait parfois, comme pour un jeu télévisé, par « Donnez-moi un chiffre entre 1 et 20 ! ».

 

— Le professeur Sung-Young…

 

— Oui, je comprends, dit la visiteuse. Cela veut dire… quelques jours, n’est-ce pas ?

 

— Je n’ai pas dit cela, se défendit la petite femme.

 

Ses deux collègues se levèrent vivement et l’une d’elles dit d’une voix ferme :

 

— Je suis l’infirmière en chef de l’étage. C’est effectivement au professeur Sung-Young de répondre à cette question mais… je ne pense pas qu’il soit vraiment utile que vous le rencontriez. Je suis désolée.

 

— J’ai compris, fit Katherine en portant son mouchoir chiffonné à ses yeux. C’est bien triste, ajouta-t-elle d’une voix cassée.

 

Les trois soignantes hochèrent la tête en silence.

 

— Je vous remercie, Mesdames. Excusez-moi de vous avoir dérangées.

 

A pas comptés, elle se dirigea vers la chambre 1024 où elle resta une dizaine de minutes.
En ressortant, elle plaqua son dos contre la porte, intoxiquée. Malgré les odeurs d’éther et de détergents qui balayaient le couloir, l’air lui sembla plus pur que celui qu’elle avait respiré à pleins poumons au sommet du Kilimandjaro quand son mari l’avait entraînée dans un safari photos où elle avait perdu plusieurs kilos en une journée d’escalade.

 

Katherine Tong rejoignit les ascenseurs et appuya avec vigueur sur le bouton du rez-de-chaussée. Il lui fallait sortir au plus vite.

 

Quelques minutes plus tard, elle s’enferma dans sa Mini Countryman et éclata en sanglots. L’homme qu’elle avait tant aimé, à sa manière, et qui le lui avait bien rendu, à sa manière, n’en avait plus que pour quelques jours. Quelques heures peut-être.

 

Son cœur était brisé. Comme sur une carte à jouer, elle avait l’impression d’avoir une tête en haut et une tête en bas. Une page de sa vie allait vraiment se tourner, plus vite qu’elle ne l’avait imaginé.

 

Elle enclencha son lecteur de CD et écouta le début de Let It Be.

 

When I find myself in times of trouble, Mother Mary comes to me

 

Speaking words of wisdom, let it be

 

Elle s’était toujours demandé qui pouvait bien être cette gentille « Mother Mary ». Personne ne répondant à ce nom, personne en fait, ne viendrait lui murmurer des « words of wisdom » aujourd’hui. Elle passa la marche arrière, manœuvra pour sortir du parking de l’hôpital, s’engagea dans Yishun Avenue 1, contourna la pointe du Lower Seletar Reservoir, puis fila en direction de son domicile.

 

A suivre…

 

Hashtag Singapour est une nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de C’est arrivé à Singapour, un recueil de nouvelles publiées aux éditions Gope.

 

L’AUTEUR

 

Après une carrière d’enseignant, Alain Guilldou a été responsable de la communication du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA), ce qui l’a amené à tisser des liens avec de nombreux pays du monde, en particulier ceux d’Extrême-Orient. Il continue d’enseigner à Singapour, la ville-Etat qui lui a inspiré plusieurs nouvelles dont celle-ci.

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