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Cuisine soviétique

Date de publication : 03/01/2025
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cuisine soviétique

 

L’ex URSS était aussi une puissance culinaire, une chronique gustative et sociétale de François Guilbert

 

Après avoir publié en 2021 Les plats chauds de la guerre froide aux Éditions de l’Epure, la journaliste de la rédaction russophone de Radio France Internationale revient à  « LA » source culinaire de l’ère soviétique, celle faite maison de son enfance à l’époque de Nikita Khrouchtchev puis de Léonid Brejnev. Toutefois, l’anthologie qu’elle édite et commente aujourd’hui est bien antérieure à sa naissance. Son contenu a marqué si profondément la culture des familles de l’URSS qu’elle demeure une référence emblématique pour tous les cuisiniers et toutes les cuisinières russes. La dernière édition date pourtant de plus d’un quart de siècle et comme pour ses devancières, il est difficile d’en trouver un volume sur les marchés des ouvrages d’occasion.

 

Dédiée à la ménagère soviétique, la première édition du Livre de la nourriture bonne et saine remonte à 1939

 

Le manuscrit porte les stigmates de l’heure stalinienne et les a gardés au fil du temps ; celles du primat de l’industrie sur toute autre activité, d’un monde soviétique russo-centré où les spécificités baltes, caucasiennes, centrasiatiques sont à peine évoquées et d’un régime du mensonge, bien des produits évoqués étant depuis des lustres inaccessibles au plus grand nombre des familles, y compris celles de la classe moyenne. Dans un contexte politico idéologique si marqué : un livre de recettes de cuisine – tiré à plus de 7 millions d’exemplaires et actualisé pendant six décennies – peut être un livre de propagande et d’édification des masses. Les photos des produits semi-finis de l’industrie alimentaire illustrant cette version finalisée en 1952 en témoignent ; les conseils hygiénistes et productivistes de l’époque plus encore.

 

Pour rendre compte de cette réalité prégnante, Guélia Pevzner a non seulement ajouté une préface de près de trente pages mais elle a veillé en introduction des chapitres et de quelques recettes à recontextualiser un ingrédient, une pratique sociale ou encore un trait du moment.

 

Cet unique livre de cuisine soviétique est un monument du temps passé et de l’Histoire du monde russe

 

L’auteure qui tient une rubrique gastronomique hebdomadaire pour la radio tout en réalisant une colonne mensuelle intitulée Le goût de Guélia sur la plateforme web des cultures du goût Alimentation Générale, entretient par l’entremise de cette réédition la mémoire d’un monde soviétique disparu, notamment celui de l’époque dite de la stagnation (zastoï). Ses commentaires sur cette tranche d’histoire sont aussi l’occasion d’évoquer, de-ci, de-là, les anecdotes humoristiques amères sur la nourriture (anecdoty) qu’elle a alimentées. Sur le plan de la gouvernance, elle rappelle par ailleurs le rôle majeur qu’a joué pendant des décennies par le membre du bureau politique du Parti communiste Anastase Mikoïan (1895 – 1978) sur les repas de l’Homo Sovieticus.

 

Cette photographie prise avec un souci d’avoir une vue avec un grand angle montre le profond décalage existant dans toute dictature entre un monde vanté par des paroles et des écrits et la réalité de l’heure. Au détour de certaines recommandations, on voit combien les fonctionnaires-rédacteurs initiaux étaient conscients de la pauvreté générale, des pénuries alimentaires régnant dans la société et qu’il convenait de les masquer par nombre de recettes simples et faciles. Mais par cohérence doctrinale, il n’en fallait pas moins masquer les héritages « bourgeois » ou « cosmopolites ».

 

Il est ainsi cocasse d’avoir vu élevé au rang de plat national les kotlety (boulettes de viande) alors qu’elles ont eu beaucoup à voir, dès les années 30, avec les hamburgers yankees mais environnement stalinien oblige, encore ne fallait-il pas les savourer plus d’une fois tous les dix jours selon les nutritionnistes de référence. Les Russes ne faisant jamais comme on leur dit de faire : il ne saurait réaliser leurs kotlety sans oignon, l’ingrédient n’apparaît pourtant pas dans la recette du Livre promu par le parti communiste et le gouvernement soviétique.

 

Guélia Pevzner : Cuisine soviétique, Le livre de la nourriture bonne et saine, Les Éditions de l’Épure, 2024, 557 p, 32 €

 

François Guilbert

 

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