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THAÏLANDE – POLITIQUE: La démocratie Thaïlandaise est-elle dissoute avec le «Future Forward Party» ?

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 01/03/2020
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Non contente d’avoir gardé le pouvoir sous une forme de « démocrature » après les élections controversées de mars 2019, l’oligarchie militaro-monarchiste semble avoir décrété une tolérance zéro à l’égard de toute forme d’opposition frontale. La preuve ? La dissolution par la Cour constitutionnelle, le 21 février, du parti de l’avenir (Future Forward Party), gifle adressée à ses sept millions d’électeurs. Un nouveau coup d’État judiciaire soutenus par les gagnants du système, dans l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde ? Les réponses de notre expert Philippe Bergues.

 

Nous publions ici une chronique de Philippe Bergues

 

Ayant ferraillé avec bravoure en multipliant les propositions au Parlement, les députés du «parti de l’Avenir» ont-ils finalement été victimes des orientations qu’ils défendaient, en particulier la démilitarisation de la vie politique thaïlandaise ? Gavroche, à juste titre, a réaffirmé dans un article précédent que la décision de la Cour Constitutionnelle de dissoudre cette formation doit être acceptée. Les magistrats, saisis d’une plainte sur le financement problématique du parti par son leader, Thanathorn Juangroongruangkit, ont dit le droit. Mais les conséquences et l’arrière plan de cette décision peuvent en revanche être commentés.

 

Une de nos précédentes analyses expliquait que le chef de l’armée royale, le général Apirat ne supportait plus la ligne considérée comme exaspérante du «Future Forward Party», dont il assimilait les visées politiques à celle « des communistes et des gauchistes ». La rapidité avec laquelle Thanathorn, leader de cette formation soutenue par la jeunesse urbaine thaïlandaise, a critiqué l’armée après la tragédie de Korat a sans doute accru cette animosité. La perception négative de son parti auprès du système judiciaire très conservateur s’est retrouvée accrue.

 

Proximité des dates

 

Ajoutons aussi, pour bien comprendre le contexte de la dissolution du parti de l’Avenir, la proximité entre la date de la décision de la Cour constitutionnelle et celle du débat à la Chambre basse sur la motion de censure visant le Premier ministre Prayuth Chan-ocha, son second, Prawit Wongsuwan et trois de ses ministres. Frappé de dissolution le 21 février, et décapité par l’interdiction faite à dix de ses dirigeants d’exercer une activité politique pendant dix ans, le Future Forward Party n’a donc pas eu voix au chapitre lors du débat parlementaire.

 

De nombreuses chancelleries (Union Européenne, États-Unis, Australie…) se sont inquiétées publiquement et officiellement de ce très grave recul démocratique en Thaïlande de même que les ONG défenseurs des droits humains parmi lesquelles Amnesty International, Human Rights Watch ou FORSEA (Forces of Renawal for South East Asia). Mais soyons réalistes: cette « diplomatie des mots » -si justes soient-ils- qui condamne l’évolution politique présente ne ramènera pas le défunt parti et ses membres du bannissement prononcé. Le précédent de 2014 montre que la junte militaire (ou NPCO) installée au pouvoir après le coup d’Etat s’est vite affranchie des remontrances occidentales et des relations commerciales en berne pour conserver l’intégralité de la gouvernance et renforcer ses prérogatives.

 

Quelles conséquences de l’interdiction du parti de l’Avenir ?

 

Une fois le verdict de la Cour constitutionnelle prononcé, Thanathorn Juangroongruangkit a immédiatement déclaré que le combat continuerait sous deux formes, celui d’un nouveau parti politique, « l’Ordre pour un Nouvel Avenir » censé regrouper les 69 députés de ses troupes restant au Parlement et un nouveau mouvement social englobant la société civile qui poursuivrait ses missions en mettant les priorités sur l’éducation et un environnement plus sain.

 

Popularité intacte

 

Thanathorn, Piyabutr Saengkanokkul et Pannika Wannich, les têtes pensantes du FFP ont vite pu mesurer que leur popularité demeurait intacte auprès de la jeunesse et des étudiants comme l’attestent les flashmobs et protestations déclenchées depuis une bonne semaine dans les universités bangkokoises et provinciales. Cette nouvelle génération, parfaitement aguerrie à l’utilisation des réseaux sociaux, n’est pas prête à accepter les modus operandi de l’establishment et souhaite protéger ceux qu’elle a plébiscités dans les urnes. Ces très fortes mobilisations, sans précédent en nombre depuis les manifestations des Chemises rouges en 2010, qui demeurent pacifistes, commencent à faire peur au gouvernement Prayuth et aux cercles proches de la monarchie en ce sens que ces derniers mesurent le fossé qui les sépare des aspirations de cette nouvelle génération.

 

Ce combat générationnel pourrait devenir néfaste pour Prayuth et son gouvernement qui voient les crises se succéder les unes aux autres, de la croissance économique en net ralentissement aux chiffres du tourisme en berne avec le coronavirus et un face à face tendu avec ces Millenials pourrait être contre-productif pour l’avenir. De plus, contrairement aux partisans de Thaksin, sociologiquement issus des classes modestes ouvrières ou paysannes et géographiquement en majorité du Nord-Est (Isaan), cette jeunesse est en majorité urbanisée et socialement plutôt privilégiée avec ce paradoxe que certains de leurs parents ont soutenu le régime militaire de Prayuth et son parti avatar, le Palang Pracharat.

 

Opposition de générations

 

Une telle opposition de générations est inédite en Thaïlande, ce qui rend incertain le dénouement de ce mouvement sociétal d’autant que jusqu’à maintenant, il est resté confiné dans les enceintes universitaires ; aux slogans de dégagisme visant la Cour constitutionnelle, Prayuth, Prawit et leurs acolytes, quelques voix s’enhardissent pour critiquer la monarchie ce qui a provoqué récemment une mise en garde de la police prévenant de l’interdiction de tout commentaire négatif à propos l’institution « révérée ». Néanmoins, le hashtag #SWStandwithdemocracy sur Twitter, les trois doigts levés de la résistance à la dictature à la façon du film Twilight et la chanson « Do you hear the people sing ? » déjà utilisée dans la révolte à Hong Kong sur l’air de la comédie musicale Les misérables s’amplifient ce qui laisse à penser que la contestation étudiante et de la jeunesse ne sera pas qu’un feu de paille.

 

Ira-t-elle jusqu’à agglomérer d’autre composantes sociales comme les syndicats et les classes défavorisées pour créer un plus vaste mouvement social « capable de lutter pour détruire l’ordre établi en Thaïlande » comme le réclame l’un des exilés les plus célèbres et les plus revendicatifs, établi à Londres, Giles Ji Ungpakorn, ancien professeur de sciences politiques à l’université de Chulalongkorn et marxiste assumé ? Le sort de la fragile démocratie thaïlandaise dépend aujourd’hui de ces différentes équations.

 

Philippe Bergues
Diplômé de l’Institut Français de Géopolitique – Paris 8
Professeur de lycée d’histoire-géographie

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