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THAILANDE – SOCIETE: Adolescents à Bangkok : ce que risquent nos jeunes

Journaliste : Laurence Brune
La source : Gavroche
Date de publication : 03/12/2018
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Une ville rêvée pour le «fun» ? Une capitale de tous les dangers ? Une expérience unique de l’Asie et d’une autre culture ? Comment nos ados expatriés vivent-ils au quotidien cette «cité des anges» parfois si vénéneuse ? Gavroche a enquêté.

 

Donnons d’abord les chiffres qui font peur.

 

La drogue pour commencer : aux deux tiers, les prisons thaïlandaises sont occupées par des trafiquants ou consommateurs de drogue et de stupéfiants.

 

Les accidents de la circulation ensuite : la Thaïlande est le deuxième pays au monde où il y a le plus de morts sur les routes.

 

De quoi rendre les parents légitimement inquiets.

 

Et si leurs adolescents, naturellement amateurs de conduites à risques et de nouvelles expériences, couraient un danger particulier à Bangkok ?

 

Pas étonnant, dans un tel contexte, que le Lycée Français International de Bangkok (LFIB) ait pris les devants avec la mise en place, dans les classes de collège et lycée, de séances de prévention aux conduites à risques.

 

Ces échanges sont suivis de séances questions/réponses avec deux spécialistes de l’enfance et l’adolescence : Catherine Barbier, psychothérapeute et Bernard Brugère, (ethno) pédiatre, installé entre la Thaïlande et la Réunion.

 

Tout en continuant de consulter régulièrement à Bangkok.

 

Première nécessité pour appréhender cette réalité des risques bangkokois : s’en tenir aux faits.

 

On sait que l’adolescent fait souvent peur et que l’adolescence est redoutée par la majorité des parents.

 

Attention toutefois à ne pas généraliser, et à ne pas confondre France et Thaïlande.

 

Si l’adolescence se réfère partout dans le monde à un changement hormonal dû à la puberté, sa définition sociologique est propre à chaque pays.

 

Être adolescent en Thaïlande, à dix mille kilomètres de l’hexagone, n’est pas comparable à ce qui peut se passer en Europe.

 

Pour le pédiatre Bernard Brugère, habitué à faire des allers-retours entre la Thaïlande où il vit et la Réunion « la définition de l’adolescence, son contenu et ses limites, varient avec le contexte socio-culturel ».

 

Explication : « En Europe, l’auto-initiation remplace l’absence de rites initiatiques dans nos sociétés.

 

Globalement, on peut dire que c’est un passage entre l’enfance et l’âge adulte, qui s’accompagnent de transformations physiologiques, cérébrales et psychiques.

 

Aujourd’hui, on parle même « d’adulescence » – le fameux syndrome Tanguy – car l’adolescence se prolonge pour beaucoup au-delà de 19 ans ».

 

Attention donc à ne pas plaquer sur un pays les expériences d’un autre.

 

Des nuances s’imposent.

 

Second constat : L’adolescence n’est pas un phénomène abstrait, vécu par tous de la même manière.

 

A chacun son…adolescence et sa manière d’affronter les défis liés à cet âge délicat.

 

Les neurosciences nous éclairent depuis une quinzaine d’années sur les transformations majeures du cerveau chez l’adolescent, deuxième moment de transformation après la « première adolescence », celle du petit enfant entre 2 et 5 ans, qui connait son premier stade de rébellion.

 

L’adolescent et le bébé, pour faire simple, se ressemblent d’un point de vue chimique et neurologique.

 

Le cerveau est un chantier d’échanges perpétuels dont le rythme est accéléré. Il s’adapte aux contraintes de l’environnement et aux bouleversements corporels et psychiques liés à la puberté.

 

Chez 85% des ados, tout se passe bien

 

« Le facteur de risque le plus solide et potentiellement modifiable, qui contribue au développement des problèmes comportementaux et affectifs des enfants, est la qualité de l’éducation des enfants », précise Bernard Brugère.

 

On l’aura compris : la situation familiale, l’environnement immédiat (amis, parents…) joue un rôle bien plus grand que la localisation géographique.

 

A Bangkok comme partout ailleurs.

 

Moralité selon le pédiatre : l’important est de soigner l’éducation de ses ados, tout en étant conscients des modifications cérébrales chimiques.

 

En gardant bien en tête le fait que la prise de risques fait partie du développement normal de ces grands enfants pas encore adultes.

 

« N’oublions pas que chez 85% des adolescents, tout se passe bien » explique Bernard Brugère.

 

L’autre variable à garder en tête est la réalité locale.

 

A Bangkok, les adolescents français côtoient…des ados Thaïlandais.

 

Or dans le Royaume, l’adolescence n’est pas appréhendée de la même façon.

 

Selon nos critères occidentaux, elle est même presque absente, ou ignorée.

 

Bernard Brugère a là-dessus son interprétation : « Le niveau d’acceptation et de tolérance des parents est d’autant plus grand, que la cohésion du groupe familial et son organisation traditionnelle sont faibles.

 

En d’autres termes en Thaïlande, la famille nucléaire ou mono-nucléaire est rare, la hiérarchie au sein de la famille, comme dans la société, est bien définie.

 

Les règles du respect, les limites, sont assez bien claires au sein de la famille élargie.

 

Le processus d’individuation à entendre comme personne devenant un sujet, ne représente pas les mêmes enjeux que celui de nos sociétés.

 

Ici, on existe par inclusion au groupe, et non par exclusion ».

 

Respect des ainés

 

Palm est assistante thaïlandaise au LFIB, en charge des enfants à difficultés motrices ou psychiques.

 

Elle complète : « Les enfants thaïlandais sont toujours plus polis. Cela vient du respect indéfectible des ainés et du professeur. Je pense qu’on laisse trop de libertés trop tôt à l’enfant chez les Français ».

 

Cependant, tout n’est pas si manichéen et dépend beaucoup aussi du milieu social d’où l’on vient.

 

Wisetek, père thaïlandais francophone d’une quarantaine d’années, issu d’un milieu aisé, confesse : « De mon temps, nous allions dans les petits centres commerciaux, ou les uns chez les autres. Or je viens de lire que la crise d’adolescence thaïe se traduit par la consommation d’amphétamines, le « Yaabaa », aussi bien dans les milieux ouvriers que dans les bonnes familles… ».

 

La Thaïlande n’est donc plus ce « sas » de bonnes manières.

 

Le succès commercial du Yaabaa le prouve, tant cette « pilule qui rend fou » est un véritable fléau.

 

Et ce, malgré les mesures drastiques prises il y a quatre ans par le gouvernement.

 

Catherine Barbier est psychothérapeute au centre PSII à Bangkok.

 

Elle reçoit de nombreux adolescents français dans son cabinet et intervient au LFIB.

 

Gavroche : Quelle est votre définition de l’adolescence, période tant redoutée des parents, mais qui semble vous intéresser tout particulièrement ?

 

Catherine Barbier : L’adolescence est une période fascinante, merveilleuse mais aussi délicate.

 

Il s’agit du dernier stade de développement de l’enfant.

 

Qui dit stade de développement dit phase ou moment de transition.

 

Cependant, contrairement aux autres, elle est plus longue et souvent source d’angoisses et d’inquiétude pour les parents.

 

Car en effet, même si elle ressemble par beaucoup d’aspects à la période d’opposition du petit (2,5 à 4/5 ans), elle est plus compliquée à appréhender en tant que parents.

 

Il faut bien comprendre que le jeune adolescent est alors en transition, au niveau physique, hormonale, mais aussi dans sa perception du monde, de ses relations aux autres, à sa famille.

 

Sa personnalité aussi se transforme.

 

Il est hyper sensible, irritable, autocentré.

 

Il oscille entre le monde de l’enfance et celui de l’adulte.

 

C’est une période très intense émotionnellement.

 

Elle entraîne souvent des réactions classiques normales.

 

D’où les accès de mauvaise humeur, les looks bizarres, le surinvestissement des amis par rapport à la famille, la baisse de l’intérêt scolaire et le goût de la prise de risque….

 

Q :Parlons de ces risques justement ? Est-il normal que des adolescents, à Bangkok, se mettent en danger aux yeux de leurs parents ?

 

R : Quelle est la différence entre la prise de risque « normale » et la conduite à risque ?

 

Voilà la question que les parents doivent se poser.

 

Le but de nos interventions à l’école française auprès des collégiens et lycéens mais aussi à l’extérieur auprès des parents est la prévention.

 

Car même si les adolescents éprouvent le besoin de pousser certaines limites, de découvrir et de prendre des risques, ils sont pour la plupart d’entre eux bien moins inconscients qu’on le pense.

 

Quand on leur parle d’eux, de leur ressenti, de leurs besoins, ils deviennent plus réceptifs et davantage prêts à écouter.

 

Ils comprennent mieux les risques et les conséquences de certaines conduites.

 

Je suis souvent étonnée de voir à quel point les ados du lycée français réfléchissent et se posent des questions, notamment sur les risques posés par les réseaux sociaux sur Internet.

 

Avec les adolescents on ne peut plus juste imposer.

 

On doit être dans le dialogue, la négociation parfois. Ils n’ont pas besoin de sermons, qu’ils rejetteront en bloc.

 

Ils ont besoin de cohérence, d’exemples, d’altruisme et de confiance.

 

Être à Bangkok ou à Paris ne change rien à cela.

 

Q : Les parents, en réalité, n’ont donc pas de raisons de s’inquiéter ?

 

R : S’inquiéter est une chose.

 

Se raisonner en est une autre.

 

Il arrive souvent que les comportements des ados en questions soient… des comportements normaux pour leur tranche d’âge.

 

Le problème aujourd’hui est que nous évoluons dans une société qui tend vers le risque zéro.

 

Aussi bien avec les plus jeunes enfants et les adolescents, nous avons tendance à vouloir les protéger de tout pour qu’il ne leur arrive rien.

 

C’est une réaction normale, mais elle a tendance à baisser le niveau de résilience de nos enfants.

 

C’est en tombant qu’un petit apprend à marcher.

 

C’est en se disputant dans la cour d’école que l’enfant découvre la complexité des relations humaines.

 

C’est quand il n’aime pas son enseignant ou que son enseignant lui inflige une réprimande qu’il appréhende la frustration et les difficultés du monde du travail.

 

Q :Bangkok est-elle une mégapole propice aux conduites à risque ?

 

R : Ma réponse : oui et non.

 

Je sais que c’est frustrant de ne pas tracer une ligne claire.

 

Mais tout dépend à quoi on compare Bangkok et la Thaïlande.

 

Par rapport aux grandes capitales européennes ou d’autres, vivre ici est plutôt moins risqué.

 

Les drogues, l’alcool sont accessibles, mais pas plus qu’à Paris ou d’autres grandes villes.

 

Les conséquences juridiques sont par contre beaucoup plus graves.

 

Arrestations immédiates, maison de redressement pour les adolescents, risque de perdre son travail pour les parents et d’être exclus du territoire thaïlandais.

 

Cependant, il ne faut pas oublier que les conduites à risques ne se résument pas qu’à l’alcool et à la drogue.

 

Il y a aussi les prises de risque au niveau de la sexualité, conduites à risques motorisés, tentatives de suicides, troubles corporalisés, auto-sabotage scolaire ou encore dérives des réseaux sociaux.

 

La prise régulière de motos taxis sans casque, très développée à Bangkok est par exemple très dangereuse.

 

Or la plupart des adolescents de Bangkok le font…

 

Si l’on considère tous ces éléments, notre chère « cité des anges » n’offre pas un environnement plus propice aux risques que d’autres métropoles mondialisées.

 

Cela dit, les sollicitations sont présentes.

 

C’est indéniable.

 

Q : Les enfants d’expatriés sont-ils une cible particulière ?

 

C.B. : Les problématiques des adolescents expatriés que je vois dans ma pratique de psychothérapeute à Bangkok sont dans l’ensemble identiques à celles de tous les autres adolescents.

 

La question qui se pose est plutôt sociale.

 

L’expatriation concerne généralement des milieux privilégiés.

 

Les enfants sont pour la plupart bien entourés et soutenus par leurs familles.

 

Les cas de pathologies de l’adolescent sont donc peu fréquents, surement moins qu’ailleurs.

 

Je remarque aussi que la présence de psychologues dans toutes les écoles internationales permet une prévention ainsi qu’une intervention très rapide dès l’apparition des premiers symptômes.

 

Cela facilite beaucoup notre travail de thérapeute.

 

Les adolescents eux-mêmes sont de plus en plus souvent en demande de soins.

 

Notre métier est de moins en moins tabou, surtout pour cette génération.

 

Je veux donner confiance aux parents.

 

C’est souvent difficile d’être parents d’adolescents.

 

C’est un travail d’équilibriste, entre l’éducateur, le guide et le coach.

 

Mon conseil : n’oubliez pas que dans la grande majorité des cas, vos adolescents surmonteront avec succès ce passage obligatoire de la vie !

 

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Laurence Brune

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