L’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch avait adressé une lettre au président Macron avant sa visite au Vietnam. Ce dernier n’en a guère tenu compte. Nous la publions ici.
Lettre de Human Rights Watch au président Macron
Objet : Visite d’Etat au Vietnam et partenariat franco-vietnamien
Monsieur le Président de la République,
Nous vous écrivons au nom de Human Rights Watch, dans le cadre de votre prochaine visite d’État au Vietnam, afin de vous faire part de nos graves préoccupations concernant le bilan du gouvernement vietnamien en matière de droits humains.
Comme vous le savez, le gouvernement vietnamien a pris plusieurs engagements sur le sujet, notamment dans le cadre de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Vietnam (EVFTA) de 2020 et dans une déclaration commune de la France et du Vietnam portant sur un nouveau partenariat stratégique global entre les deux pays, publiée lors de la visite du président vietnamien To Lam à Paris en octobre 2024. Cette déclaration souligne l’engagement des deux pays envers la Charte des Nations unies et en particulier « l’importance de la promotion et de la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Or, le gouvernement vietnamien a fortement intensifié sa répression ces dernières années. Malgré les engagements susmentionnés, les autorités continuent d’interdire les associations indépendantes de défense des droits humains, les syndicats, les médias, les groupes religieux et d’autres organisations qui tentent d’exercer leurs activités en dehors du contrôle du gouvernement. Les autorités ont également multiplié les arrestations et les poursuites à l’encontre des dissidents et des personnes critiquant le gouvernement.
On compte à ce jour plus de 170 prisonniers politiques au Vietnam, détenus pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression ou pour avoir milité pacifiquement en faveur des droits humains et de la démocratie, et poursuivis en vertu de lois draconiennes. Human Rights Watch a récemment documenté la manière dont les autorités vietnamiennes recourent de plus en plus à une disposition vague, excessive et abusive du code pénal (article 331) interdisant « l’abus des libertés démocratiques », à la fois pour réduire au silence des militants de premier plan et exercer des représailles contre des citoyens ordinaires s’exprimant contre la mauvaise qualité des services, la corruption ou les abus des forces de police. Plusieurs personnes ont également été arrêtées et poursuivies ces dernières années pour avoir défendu la protection des droits du travail dans le cadre de l’EVFTA.
L’annexe ci-dessous fournit une description détaillée de cette situation critique, ainsi qu’une liste des prisonniers politiques que nous souhaiterions que vous évoquiez avec les responsables vietnamiens lors de votre visite.
Nous avons connaissance du fait que l’UE a fait part de ses préoccupations concernant ces violations lors des dialogues annuels UE-Vietnam sur les droits humains. Cependant, ce type d’intervention n’a eu que peu, voire pas d’impact sur les agissements du gouvernement vietnamien et n’a conduit à aucun changement significatif. Les États membres de l’UE ont également régulièrement soulevé des préoccupations en matière de droits humains dans leurs déclarations au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, qui n’ont pas non plus eu d’impact notable.
Il serait plus efficace que vous et votre gouvernement exprimiez publiquement ces inquiétudes concernant l’aggravation de la situation au Vietnam lors de votre déplacement et indiquiez que des conséquences sur les relations bilatérales pourraient en découler si le Vietnam ne met pas fin à cette répression. Plus précisément, nous vous appelons à faire pression sur le gouvernement vietnamien afin qu’il :
Libère sans condition toutes les personnes détenues pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association, de religion et de réunion. Il s’agit notamment des activistes que To Lam semble avoir personnellement pris pour cible lorsqu’il était à la tête du ministère de la Sécurité publique, réputé pour ses pratiques répressives, tels que Pham Doan Trang et Bui Tuan Lam ; les personnes arrêtées en raison de leurs activités liées à l’EVFTA, telles que Pham Chi Dung et Dang Dinh Bach ; et d’autres personnes mentionnées ci-dessous, dont beaucoup ont de graves problèmes de santé.
Prenne des mesures significatives pour mettre en œuvre des réformes du travail permettant la formation de syndicats indépendants, en droit et en pratique, et mette fin à l’intimidation et aux représailles à l’encontre des travailleurs et travailleuses qui tentent de s’organiser pour la protection des droits du travail en dehors des mécanismes contrôlés par le gouvernement.
Ratifie sans délai la Convention n° 87 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la liberté d’association et s’engage pleinement avec l’OIT pour réformer les lois et les politiques nécessaires à l’application effective de la Convention n° 98 de l’OIT sur le droit d’organisation et de négociation collective ratifiée par le Vietnam.
Abroge les dispositions vagues relatives à la « sécurité nationale » et les autres dispositions du code pénal vietnamien utilisées pour poursuivre des personnes pour des actes de dissidence pacifique, notamment : « abus de la liberté démocratique » (article 331) ; « sabotage de la politique d’unité » (article 116) ; et propagande contre l’État (article 117).
Modifie le Code de procédure pénale afin de garantir le droit de tous les accusés à une procédure régulière, y compris l’accès rapide et sans entrave à un avocat pendant l’enquête criminelle, lors de laquelle les accusés sont exposés à un risque accru de torture et d’autres mauvais traitements et qui porte atteinte aux principes de la procédure régulière et du droit à un procès équitable.
Par ailleurs, la France devrait entamer un dialogue avec le Vietnam sur la capacité des États membres de l’UE à mieux contribuer à la coopération fiscale internationale, ainsi que sur l’importance de veiller à ce que les lois nationales soutiennent et facilitent le respect par les entreprises de lois rigoureuses en matière de travail, de santé, de sécurité et d’environnement, conformément aux principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, à la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises, et à la réglementation sur le travail forcé, afin de maintenir la compétitivité des entreprises vietnamiennes vis-à-vis des acheteurs européens et leur accès au marché unique.
Renforcer les relations de la France et de l’UE avec le Vietnam sans se soucier des violations massives et persistantes du gouvernement vietnamien reviendrait à récompenser l’autoritarisme du gouvernement.
Cela remettrait également en question l’engagement de l’UE à respecter ses propres obligations en vertu de l’article 21 du traité sur l’Union européenne, qui consiste à promouvoir les droits humains et les valeurs démocratiques dans le cadre de sa politique étrangère et commerciale.
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