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Thaïlande : Thida Thavornseth, la révolutionnaire tranquille

Journaliste : Arnaud Dubus
La source : Gavroche
Date de publication : 07/05/2019
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Une certaine dureté du visage, une allure de commissaire politique, une apparence de sécheresse. De prime abord, Thida Thavornseth, la nouvelle dirigeante des Une ne certaine dureté du visage, une allure de commissaire politique, une apparence de sécheresse. De prime abord, Thida Thavornseth, la nouvelle dirigeante des Chemises rouges – le mouvement anti-establishment – n’attire pas la sympathie. Mais les apparences sont trompeuses.

 

Dès qu’elle prend la parole, la petite dame s’anime, ses traits s’illuminent, ses paroles sont directes, sans détours, respirent la réflexion intelligente.

 

« Je suis une scientifique, experte en microbiologie et en bactéries. Je ne m’attendais pas à me retrouver présidente de l’UDD (1) », concède-t-elle.

 

Elle nous reçoit dans son bureau au cinquième étage du complexe commercial Imperial World, dans le nord de Bangkok.

 

Une agitation fébrile anime les locaux du mouvement.

 

Des militants en tee-shirts rouges entrent et sortent, l’air affairé, des piles de documents sous le bras.

 

Assis à même le sol, une vingtaine de Chemises rouges regardent People TV, la chaîne du mouvement.

 

Un bonze erre sans fin, l’air de vouloir demander quelque chose sans oser le faire.

 

Thida Thavornseth s’est retrouvée propulsée à la tête du mouvement anti-gouvernemental par la force des circonstances.

 

Après la répression des manifestations le 19 mai par les militaires, la plupart des leaders des Chemises rouges, accusés de terrorisme, se sont livrés à la police et ont été emprisonnés.

 

Parmi ceux ci, le docteur Weng Tojirakarn, le mari de Thida.

 

D’autres se sont enfuis et n’ont pas reparu depuis.

 

Pendant des mois, les Chemises rouges se sont terrées pour échapper à l’implacable répression : emprisonnement de centaines de personnes sous l’égide du décret d’état d’urgence, assassinats politiques en province, fermeture des « médias rouges »…

 

C’est cette universitaire, passée dans les années 1970 par les maquis du Parti communiste thaïlandais, qui a pris en charge la réorganisation du mouvement.

 

Avec une certaine poigne et une vision claire de ses objectifs.

 

« Tout ce que vous essayez de faire doit être fait d’après une méthode scientifique », assène la sexagénaire, derrière ses lunettes de professeure.

 

Pour elle, la priorité n’est plus la dissolution du Parlement, mais plutôt d’obtenir la libération sous caution des leaders et des militants « illégalement emprisonnés » et « d’aider les familles des victimes à cicatriser leurs plaies ».

 

Et, surtout, « l’établissement de la vérité ».

 

Face aux lenteurs du Comité Vérité et Réconciliation (2) dirigée par l’ancien procureur général Kanit na Nakhorn et à la mauvaise volonté des militaires pour apporter leur coopération, Thida estime que l’UDD se doit de « faire la lumière sur les faits concernant les tueries d’avril et de mai », sous peine que le gouvernement impose « sa » version de l’histoire.

 

« Nous voulons la justice, dit-elle avec force. Sinon, nous n’abandonnerons pas. Nous manifesterons deux fois par mois ».

 

Mouvement pacifique

 

Sous ses allures de fonctionnaire rébarbative, Thida a su redonner une cohésion au mouvement, longtemps tiraillé par la multiplicité de ses leaders.

 

Cultivée, lectrice de Marx, des philosophes orientaux et du Mahabaratha, elle définit sa lutte comme un bras de fer entre le petit peuple et « l’élite conservatrice, l’aristocratie ».

 

« La Thaïlande n’a pas été colonisée. Nous sommes passés d’une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle, mais la vieille élite conservatrice n’a pas été détruite, contrairement à ce qui s’est passé dans les pays voisins », dit-elle.

 

Cette version de l’histoire n’est certainement pas « politiquement correcte », mais Thida n’en a que faire.

 

Et elle insiste : « Si vous étudiez profondément l’économie, vous verrez que ce sont les mêmes qui détiennent encore les propriétés foncières. Nous voulons transformer le peuple, faire en sorte qu’il ne se batte pas pour Thaksin, pas pour les questions économiques, mais pour la politique, pour que la souveraineté lui appartienne véritablement. C’est un mouvement pacifique et il faudra du temps », explique-t-elle.

 

Sa vision de l’ancien Premier ministre et de ses lieutenants du parti Peua Thai est sans illusion. « Thaksin et les leaders du Peua Thai ne sont pas Chemises rouges par idéologie, mais pour protéger leurs avantages et parce qu’ils ont subi la répression des militaires. Pour nous, nous sommes anti-coup d’État par idéologie. Nous sommes contre toute forme de dictature en Thaïlande », assène la pétillante universitaire.

 

La reprise de manifestations, rassemblant dans le centre de Bangkok entre 30 000 et 40 000 personnes depuis la levée de l’état d’urgence fin décembre, témoigne de ce que le mouvement se remobilise, même si ses réseaux d’influence en province – et ses « écoles politiques », qui ont été l’outil essentiel de la mobilisation en 2010 – ont été annihilés par le gouvernement et les militaires.

 

Contrairement aux Chemises jaunes, lesquelles ont fondé leur propre parti politique, Thida pense que les Chemises rouges doivent « rester un mouvement populaire porteur d’une idéologie libérale ».

 

Si l’on en juge par la piètre performance électorale jusqu’à présent du parti Nouvelle Politique (3) des Chemises jaunes, cette position ne manque pas de bon sens.

 

ARNAUD DUBUS

 

(1) United Front for Democracy Against Dictatorship
(2) Independent Fact-finding Commission for Reconciliation
(3) New Politics Party (NPP)

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