Home Accueil La Thaïlande dépassée par le trop-plein touristique

La Thaïlande dépassée par le trop-plein touristique

Journaliste : Arnaud Dubus
La source : Gavroche
Date de publication : 07/05/2019
0

Devant l’afflux massif de visiteurs, notamment chinois, les besoins en infrastructures du royaume sont immenses. Et malgré les investissements et les efforts consentis par le gouvernement, personne ne peut encore prédire que le royaume sera prêt à accueillir les 60 millions de touristes annuels attendus d’ici à 2030.

 

Il est 9h face au Grand Palais et, déjà, les longues files de touristes chinois s’alignent sur les trottoirs environnants derrière des guides brandissant des petits drapeaux ou des jouets en peluche attachés au bout d’une perche.

 

Ça et là, des groupes de touristes occidentaux, indiens ou thaïlandais, entrecoupent ces masses compactes.

 

Maintenant que les autocars, autrefois garés en double-file le long de Sanam Luang, sont interdits de stationner dans le quartier, les touristes chinois doivent marcher depuis l’avenue Rajdamnoen.

 

Une fois entrés dans le Grand Palais, ils sont pris en main par des photographes thaïlandais aux manières un peu rudes : ceux-ci les positionnent et, à la chaîne, effectuent des photos de groupes.

 

L’engorgement est patent.

 

Les queues d’attente au guichet pour les entrées ou dans les cafés face au Grand Palais sont décourageantes.

 

A l’hôtel Royal, les toilet-tes sont prises d’assaut ; le lobby donne l’impression d’être un hall de gare.

 

Ces scènes sont symptomatiques des défis que posent l’augmentation très rapide du nombre de touristes en Thaïlande.

 

En 2017, le royaume a enregistré le nombre record de 35 millions de touristes, alors que le chiffre n’était que de 20 millions en 2011.

 

L’afflux des touristes chinois explique en grande partie cette bonne performance : alors qu’ils n’étaient qu’un million et demi en 2011, ils ont été 10 millions en 2017.

 

Il y a encore deux ou trois ans, ces touristes chinois venaient presque exclusivement dans le cadre de « tours », notamment des « zéro dollars tours » durant lesquels des guides d’agences chinoises les amenaient à la chaîne visiter des sites et des magasins aux tarifs prohibitifs et qui profitaient économiquement très peu à la Thaïlande.

 

Après une campagne de répression contre ces agences en 2016, le profil des touristes chinois en Thaïlande a évolué.

 

Environ 60% d’entre eux sont désormais des « voyageurs individuels » – couples, familles ou petits groupes d’amis – qui s’orientent et voyagent grâce aux smartphones et à Google Translate. Et leur nombre croît de manière très rapide.

 

Des infrastructures inadaptées

 

Dans un pays où le tourisme compte pour 17,7% du PIB et fournit des emplois à six millions de Thaïlandais, c’est une excellente nouvelle.

 

Mais c’est aussi un phénomène à double-tranchant : les infrastructures actuelles – aéroports, réseaux ferroviaires, hôpitaux, services publics – sont dépassées, insuffisantes pour absorber ces foules sans cesse croissante de touristes.

 

Et le fait que les autorités thaïlandaises visent à atteindre le nombre de 60 millions de visiteurs en 2030 montre clairement que la question ne fera que devenir plus aigüe à l’avenir.

 

Les aéroports de Don Mueang et Suvarnabhumi reçoivent 40% de voyageurs de plus que ne le permettent en théorie leurs installations.

 

Les queues à l’immigration témoignent de l’étirement à l’extrême des capacités. Les embouteillages déjà légendaires de Bangkok – la ville est la seconde la plus embouteillée du monde après Mexico, selon l’indice de circulation automobile TomTom NV – ne risquent guère de s’alléger avec la montée en flèche des arrivées massives de vacanciers.

 

Le gouvernement thaïlandais est conscient du défi.

 

« Les autorités du pays ont mis en place des plans stratégiques pour développer les infrastructures, par exemple en investissant pour renforcer la capacité des aéroports, y compris en rénovant ceux situés dans les centres régionaux et les destinations touristiques secondaires. Parallèlement, plusieurs projets de lignes à grande vitesse et de double-voies ferroviaires ont été lancés », indique Puttachard Lunkam, une experte du secteur touristique chez Krungsri Research.

 

Le gouvernement prévoit en effet d’investir 5 milliards de dollars d’ici à 2022 pour doubler la capacité des aéroports internationaux du royaume, notamment en ajoutant des terminaux et des pistes d’atterrissage permettant à Don Mueang et à Suvarnabhumi d’avoir une capacité combinée de 130 millions de passagers par an.

 

L’île de Phuket a déjà été dotée d’un nouveau terminal international.

 

Près de Pattaya, l’aéroport militaire d’U-Tapao, d’où partaient dans les années 1960 et au début des années 1970 les B-52 qui bombardaient le Vietnam, doit être rénové pour s’ouvrir plus largement aux vols civils.

 

Une voie ferroviaire à grande vitesse de 150 km doit être construite pour relier Pattaya aux deux aéroports internationaux de Bangkok, sans parler des projets bien connus de ligne TGV entre Nongkhaï et Bangkok via Nakhon Ratchasima, et entre Chiang Maï et Bangkok.

 

Ces grands projets, à peine ébauchés, interviennent toutefois presque trop tard si l’on tient compte des projections relatives au nombre des arrivées.

 

« Toutes ces mesures ne vont que soulager temporairement les infrastructures. Ces projets d’expansion vont atteindre leur pic de capacité très rapidement, car la croissance du nombre de touristes est continue », estime Imtiaz Muqbil, directeur de Travel Impact Newswire, une publication online spécialisée sur le tourisme en Thaïlande.

 

Mettre en avant les « destinations touristiques secondaires »

 

N’y-a-t-il pas dès lors une certaine incohérence des autorités thaïlandaises aspirant à engranger des revenus touristiques toujours croissants sans disposer des infrastructures adéquates pour recevoir les arrivants ?

 

Imtiaz Muqbil, qui suit la politique touristique du royaume depuis plusieurs décennies, pense que la situation n’est pas si simple.

 

« D’un côté vous avez Tourism Authority of Thailand (l’office du tourisme, ndlr), dont la mission est d’augmenter le nombre de touristes, et elle fait très bien ce job. Développer les infrastructures est le travail d’autres agences du gouvernement : les ministères de l’Intérieur, des Transports et Communications, de la Santé, de l’Education… Ce développement prend du temps pour diverses raisons, notamment budgétaires et bureaucratiques », explique cet expert du tourisme.

 

Une partie importante de la stratégie du gouvernement face à cet afflux est de mettre en avant les « destinations touristiques secondaires » afin de désengorger les lieux emblématiques de Thaïlande (Bangkok, Phuket, Chiang Maï, Pattaya, Krabi, entre autres).

 

« L’accent est mis la promotion de la culture thaïlandaise dans certaines provinces rurales », indique Puttachard Lunkam de Krungsri Research.

 

L’Office du tourisme a ainsi lancé une campagne de promotion auprès des tours opérateurs et des touristes étrangers pour les inciter à visiter 55 provinces, comme par exemples Nakhon Sri Thammarat, Suphanburi, Udon Thani, Buriram, Patthalung ou encore Trang.

 

Cette campagne, qui s’appuie notamment sur des déductions fiscales, vise à ce que 10 millions de touristes visitent ces provinces en 2018.

 

La concentration touristique sur certains lieux a, en effet, eu des effets désastreux, comme l’a montrée la fermeture en mai 2016 des îles de Koh Khaï Nok, Koh Khaï Nui et Koh Khaï Naï, près de Phuket, suite aux dégâts extensifs sur l’environnement causés par la soixantaine de hors-bord qui débarquaient chaque jours des flots de touristes sur les plages.

 

« Le gouvernement doit se montrer plus agressif pour persuader les entreprises du secteur touristique de l’importance de préserver les sites naturels », indique Puttachard Lunkam.

 

Mais n’est-ce pas un vœu pieu devant l’augmentation drastique du nombre de touristes ?

 

Dans les années 1980 et 1990, comme le rappelle Imtiaz Muqbil, de nombreux plans avaient été mis en place pour permettre un développement touristique maîtrisé.

 

« Mais ces plans n’ont jamais été appliqués, car ils ne pouvaient pas être appliqués. Si un paysan local veut vendre son terrain en front de mer à un homme d’affaires qui veut bâtir un resort, qui peut l’en empêcher ? Et une fois le resort construit, qui peut empêcher l’investisseur de le remplir de touristes ? C’est le prix à payer dans une économie de marché », dit-il.

 

Arnaud Dubus (www.gavroche-thailande.com)

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Les plus lus