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Thaïlande : de la musique pour adoucir la vie des enfants dans le plus grand bidonville de Bangkok

Journaliste : Juliette Tissot
La source : Gavroche
Date de publication : 02/09/2014
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La Française Géraldine Nemrod, 28 ans, et la Thaïlandaise Aom Amm, 32 ans ont créé il y a deux ans le Khlong Toey Music Program, une école de musique pour les enfants du plus grand bidonville de Bangkok. Grâce à la musique, les enfants de ce quartier défavorisé s’ouvrent à une nouvelle partie d’eux-mêmes et oublient un temps la violence de leur quotidien.

 

13 heures. Comme chaque samedi, une quinzaine d’enfants de 7 à 15 ans investissent peu à peu la maison de cinq étages qui abrite le Khlong Toey Music Program. Les habitués attrapent un ukulélé, une guitare ou des baguettes de batterie, branchent les amplis. Les nouveaux observent ou se décident à tester une paire de maracas. Dans le plus grand bidonville de Bangkok, où les enfants sont souvent livrés à eux-mêmes, cette école de musique est comme un îlot d’insouciance au milieu du chaos. « Cent mille personnes vivent à Khlong Toey. Dans cette communauté, il y a énormément de trafic de drogue, de violence, d’alcoolisme, de prostitution, des gangs, explique Géraldine Nemrod, surnommée Gigi, la co-fondatrice du programme. De nombreux enfants sont abandonnés. Tous ceux qui viennent à l’école ont des histoires familiales difficiles, c’est vraiment quelque chose de très triste. Mais ce sont aussi des enfants comme les autres, ils ont envie d’avoir des moments où ils s’amusent et où ils sont heureux. » C’est pour eux que Géraldine et Amm ont eu l’idée de créer cette école de musique.

 

Tout a commencé par une histoire d’amitié. « Je suis venue en Thaïlande il y a 5 ans, à la fin de mes études de biologie végétale, dans le cadre d’un VIE (volontariat international en entreprise, ndlr). J’ai travaillé pendant deux ans à Bangkok et à la fin de mon contrat, j’ai décidé de changer de vie, de vraiment faire quelque chose qui me motive et ne pas continuer dans la biologie que j’avais choisie par défaut. Je suis pianiste et j’avais toujours eu envie de faire un métier lié à la musique. » Après une année un peu « galère », comme elle la décrit elle-même, Géraldine trouve son rythme en donnant des cours de piano à des expatriés de tout âge et en réfléchissant à un projet de cours de musique pour les enfants dé- favorisés. C’est à cette époque qu’elle rencontre Amm, une Thaïlandaise également passionnée de musique, qui comme elle a changé d’orientation en quittant son métier d’infirmière pour travailler pour une organisation qui aide les enfants immigrés de Thaïlande. « J’ai rencontré Gigi lors des grandes inondations de 2011, se souvient Amm. Nous étions toutes les deux volontaires auprès des gens qui avaient tout perdu. Nous avons découvert que nous avions le même rêve d’une école de musique pour les enfants qui n’ont pas la chance d’apprendre à jouer d’un instrument. Je ne parlais que très peu anglais et Gigi très peu thaï, mais avec des signes, en regardant ensemble des vidéos, on a réussi à se comprendre ! »

 


 

Les deux nouvelles amies ont leur modèle sur Internet : la fondation Playing for change qui a l’ambition de « faire de la musique un instrument de changement social pour un monde meilleur » et qui propose des programmes en Afrique et au Népal. Géraldine et Amm ont mis toute leur énergie à trouver un local, des premiers financements (dont une aide du pôle caritatif de l’association franco- phone Bangkok Accueil), des instruments de musique. Deux ans plus tard, le Khlong Toey Music Program offre des cours de piano, de guitare, de ukulélé, de batterie et de chant. Les élèves participent à de nombreux concerts. Et consécration, depuis un an, le programme a intégré la fondation Playing for change, ce qui apporte à Géraldine et Amm une reconnaissance, une plus grande visibilité, mais aussi une aide financière plus régulière.

 

Le grand concert annuel de Playing for change aura lieu à Bangkok et partout dans le monde le 20 septembre. Les élèves répètent pour le grand jour. Ils sont concentrés et motivés, comme Tar, à la guitare et Liu, qui chante avec sa copine Ya. « Quand je viens ici, dit Liu, je fais quelque chose de mon temps libre. Mes parents travaillent tout le week-end. Si je ne viens pas, je reste toute seule chez moi sans rien faire. Quand je suis ici, je fais quelque chose d’utile, j’apprends, je me développe. Plus tard,j’aimerais être musicienne et chanteuse. » Géraldine se réjouit en écoutant Liu, car l’une de ses premières motivations en développant ce projet était de transmettre son goût de la musique. « J’ai eu la chance d’apprendre la musique et le piano quand j’étais enfant. J’en suis très fière aujourd’hui et j’ai envie de transmettre cette compétence à d’autres. Dans cette communauté, les enfants n’ont pas forcément de rêve et ils n’ont pas forcément l’opportunité de découvrir quelque chose de nouveau. »

 

Géraldine sait désormais très bien parler thaï. Elle donne des conseils à l’un et à l’autre, bat la mesure pour aider Mint, une jeune pianiste. Des professeurs de musique bénévoles et motivés viennent aussi aider Géraldine et Amm. Ainsi, Aum, guitariste de 25 ans, donne chaque semaine des cours aux élèves du Khlong Toey Music Program. « Quand j’étais enfant, se souvient-il, il y avait des problèmes dans ma famille. J’ai eu la chance qu’un ami me donne un instrument et m’apprenne la musique. Pour moi, la musique est devenue un refuge, un endroit où je pouvais exister, être moi- même et oublier mes problèmes du quotidien. En venant ici, je souhaite faire la même chose, transmettre à ces enfants, leur donner une échappatoire, de l’espoir pour qu’ils oublient tous les problèmes auxquels ils doivent faire face chaque jour. »

 

En passant quelques heures dans l’école, on comprend que si le premier objectif est bien d’enseigner la musique aux enfants, il y en a beaucoup d’autres. « Ils apprennent à vivre en communauté, explique Géraldine, ils doivent s’écouter les uns les autres, se respecter. Ils doivent aussi prendre soin de leur école, ils apprennent à ne plus jeter les détritus n’importe où, mais à la poubelle. Nous leur confions un instrument pour qu’ils puissent jouer chez eux, alors ils se sentent fiers qu’on leur fasse confiance, ça les motive. Ils donnent aussi beaucoup de concerts et prennent ainsi confiance en leur talent, en leurs capacités. Au travers de l’apprentissage de la musique, il y a aussi beaucoup de développement individuel. Nous les voyons devenir des personnes, et c’est vraiment très gratifiant. » Deux ans après la création de leur école, les deux amies musiciennes n’en reviennent pas de tout ce qui a été accompli, de toutes ces rencontres, de tous ces projets à venir. Mais cela ne les empêche pas de rester humbles : « Nous n’avons pas la prétention de changer des vies, souligne Géraldine. On ne sait pas où seront ces enfants dans dix ans, s’ils deviendront musiciens. On ne sait pas s’ils seront vraiment sortis de la rue. Mais rien que le fait de leur donner du bonheur, des moments de joie, de les tenir éloigner de la rue, rien que pour ça, cela vaut le coup de faire un projet pareil ! »

 

Juliette Tissot

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