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ASIE DU SUD-EST – CHRONIQUE : « En ce temps fœtal »

Journaliste : François Dor Date de publication : 19/08/2022
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légende du cerf volant

 

Une chronique tirée des archives de notre mensuel Gavroche

 

Les mythes décrivent la création du monde, les actes des premiers humains. Mystérieux, ces récits semblent échapper à la raison et rester indéchiffrables. Cela est d’autant plus perturbant qu’ils constituent notre fondement, notre mémoire première. Cependant, basé sur cette science récente qu’est l’embryologie, un nouveau point de vue sur ces récits fondateurs montre qu’ils figurent la mémoire fœtale de l’embryogenèse.

 

« Je me souviens qu’au temps de la création de la terre… de la création du ciel pareil à un chapeau de champignon… en ce temps le ciel était étroit et très bas… Quand on décortiquait le riz, le ciel gênait les pilons, quand on filait de la soie, il gênait le fuseau ; les bœufs en marchant étaient gênés par le ciel qui touchait leur bosse, les porcs en marchant étaient gênés par le ciel qui touchait leur dos. En ce temps, les grains de riz étaient gros comme des courges, les tiges des légumes, il fallait des haches pour les fendre. En ce temps, le riz mûr rentrait tout seul au village, si on était paresseux, il rentrait tout seul à la maison. En ce temps, il y eut une veuve qui n’avait pas de grenier, qui n’avait pas de natte de bambou… alors elle se fâcha… prit un petit couteau, avec le couteau elle coupa le lien du ciel… le lien du ciel coupé, le ciel s’éleva jusqu’au firmament, il devint le ciel qui remplit la vue. » (1)

 

Fort de ce nouveau point de vue, étayé dans les chroniques précédentes (Gavroche n° 247, 248, 249, 251), d’une mythologie mémoire de la vie fœtale, le lecteur aura reconnu dans les « pilons », « fuseau », « grains de riz gros comme des courges » et autres « tiges des légumes », des figurations inconscientes du cordon ombilical perçu par le fœtus ; dans « les bœufs », « les porcs », le fœtus lui-même ; dans le « ciel pareil à un chapeau de champignon », « étroit et très bas », la membrane utérine qui entoure ce fœtus ; dans « le riz mûr rentrait tout seul au village, si on était paresseux, il rentrait tout seul à la maison », l’alimentation fœtale renouvelée en permanence ; dans « le lien du ciel coupé », le cordon ombilical coupé à la naissance ; et dans « le ciel s’éleva jusqu’au firmament» et « remplit la vue », une marque de la vie née.

 

Dès lors, que bien signifier cette « veuve qui n’avait pas de grenier, qui n’avait pas de natte de bambou », « en ce temps » fœtal ? L’accouchement débute par des contractions involontaires du muscle de la paroi de l’utérus. Ces contractions utérines poussent le sac amniotique (soit le fœtus dans sa membrane) du fond de l’utérus vers le col de l’utérus. La membrane se rompt, les eaux jaillissent, le col de l’utérus s’ouvre, l’enfant émerge.

 

« La veuve » pourrait figurer « le sac amniotique poussé du fond de l’utérus » ; l’utérus étant ce « grenier », cette « natte de bambou » désormais perdue par le sac amniotique (fœtus et membrane) dans ce processus de la naissance. « Veuve » (rejetée) de la vie utérine, « fâchée » de cela, « elle coupe le lien du ciel », le cordon ombilical cesse de fonctionner à la naissance.

 

Le fil du cerf-volant, selon les Orientaux, relie les morts aux vivants ; ce « lien du ciel » « reconstitué » permet de rentrer en contact avec les ancêtres. « Cerf-volant » vient de « serpent-volant » : le serpent mythologique étant une réminiscence bien établie du cordon, le « fœtus », cet « ancêtre », prodiguera par le « serpent-volant » à son descendant, l’humain né, les bien-faits de la vie utérine perdus à la rupture du « lien du ciel ». Le fœtus atteint au placenta par le cordon, donc son « descendant» par le cerf-volant, s’adjure-t-on inconsciemment. C’est pourquoi ce jeu est si populaire chez les enfants, si proches de cette vie utérine.

 

FRANÇOIS DOR

 

De formation juridique, François Dor a consacré plus de vingt années à la rédaction d’un livre sur cette découverte fondamentale des mythologies, mémoires de la vie fœtale.

(1) Taïs noirs de Nghia-lô. H. Maspéro, Légendes mythologiques dans le Chou-King, Journal Asiatique, janvier-mars 1924, page 95. Groupe ethnique de langue thaïe, non converti au bouddhisme, les taïs-noirs vivent principalement au nord-ouest du Vietnam. Le sinologue français Henri Maspéro a recueilli sur place leur légendes.

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