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ASIE – GÉOPOLITIQUE : Au delà du fantasme migratoire, en Asie aussi…

Date de publication : 24/09/2024
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Une chronique géopolitique d’Yves Carmona, ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal

 

Comme chacun peut le voir, le phénomène migratoire tient une place croissante dans le débat public. Le fantasme l’emporte bien souvent sur un examen rationnel de la réalité. Or la migration a de multiples causes.

 

La mondialisation est souvent prise pour cible, notamment celle des marchandises ; or c’est aussi elle qui nous permet de manger des aliments cultivés à des milliers de kilomètres ou de conduire des automobiles qui ont traversé les mers. Et parmi ceux et celles qui les fabriquent, une fraction croissante souhaitent ne pas se contenter d’être producteurs mais veulent aussi voir sur place comment on vit en consommant de tels biens exotiques –  des mangues et des voitures BYD ou Toyota.

 

Une autre cause de migration, c’est bien sûr l’écart, et il va croissant, entre riches et pauvres. Comme  on le sait, c’est l’indice de Gini qui sert d’instrument de mesure et il est deux fois plus élevé au Népal qu’au Japon. C’est pourquoi quand l’auteur de ces lignes était à Katmandou, une queue interminable de Népalais attendaient de longues heures devant l’ambassade du Japon pour déposer leur dossier. En général, celui-ci reposait sur le désir de faire des études dans l’archipel, donc un niveau acceptable de langue japonaise, ce qui permettait à des dizaines d’établissements scolaires de leur enseigner la langue et la civilisation japonaise (les centaines d’Alliances françaises de par le monde font de même). En réalité, chacun le savait, il s’agit surtout d’y travailler, c’est pourquoi on entend parler népalais dans les restaurants à prix raisonnable de Tôkyô : les cuistots sont bien souvent originaires d’Asie du Sud.

 

Tout autant observé, le réchauffement du climat en faisant monter le niveau de la mer oblige déjà de plus en plus d’habitants proches des côtes à devenir des réfugiés climatiques, quand ce n’est pas leur île qui disparaît sous les eaux du Pacifique : pour l’instant 8 îles heureusement inhabitées de Micronésie et 5 îles des Salomon. Le pire est devant nous puisqu’on prévoit que 95% des Tuvalu soient submergées d’ici 2100.

 

S’il concerne le plus souvent les pauvres qui cherchent à immigrer dans les pays riches, le phénomène migratoire est de plus en plus un courant Sud-Sud.

 

Certes, il exerce sa pression d’abord sur les États-Unis et l’Union européenne, pour le plus grand bénéfice des populistes dont les plus extrémistes proposent l’expulsion de tous les étrangers et dont la cible par excellence est la candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine à qui son rival reproche d’avoir de multiples origines alors que les États-Unis sont eux-mêmes principalement le fruit d’une migration d’abord d’origine religieuse, les pères pèlerins repoussant les Amérindiens qui y vivaient de longue date dans des réserves et on retrouverait le même type d’origine dans tous les pays que certains voudraient aujourd’hui fermer.

 

C’est le cas aussi de l’Asie, traversée de longue date par de grands mouvements de population. On aurait fort à faire à retracer toutes les migrations, pacifiques ou guerrières, dont elle a fait l’objet.



Pour se limiter à quelques pays, on note qu’au Japon, un mouvement s’est produit depuis des siècles d’Est en Ouest avec la mutation du Kansai vers le Kantô et tout au Nord vers Hokkaidô où à partir du XIXème siècle un peuplement a été organisé en partie pour raison stratégique, au point que ses habitants actuels sont originaires de toutes les régions de l’archipel, les Aïnous, occupants précédents, étant rejetés dans la marginalité.

 

A plusieurs milliers de kilomètres de là, le même phénomène est à l’œuvre actuellement vers l’extrême sud à Okinawa, plus proche de Taïwan et la Chine populaire que de la capitale. En Chine précisément, depuis 5 000 ans, une politique de remplacement par des Hans (ethnie majoritaire) des Tibétains et des Ouighours du Xinjiang s’amplifie et est constamment dénoncée à l’étranger (on exprime rarement son désaccord en République populaire de Chine). Mais la migration concerne aussi  à l’intérieur du pays les nombreux travailleurs de régions sous-développées de l’intérieur, où elles doivent en raison du système de permis de résidence (hukou) laisser leur famille pour aller travailler dans les régions côtières où les salaires sont deux fois plus élevés et où se concentrent la majorité des investissements étrangers.

 

Un peu plus au Sud, en particulier dans la région du détroit de Malacca (Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Singapour) mais aussi dans les autres pays d’Asie du Sud-Est (Vietnam, Birmanie, Philippines, Brunei, Laos, Cambodge, Timor-Leste) les peuplements divers sont présents de longue date, conférant à cette région une très grande diversité linguistique, culturelle, religieuse, etc.

 

Peuplement autochtone : les plus connus sont les « Bumiputra » (fils du sol) en Malaisie, qu’une politique d’affirmation nationale privilégie par rapport à la riche minorité chinoise, mais on retrouve cette dichotomie dans tous les États de la région.

 

De fait, le peuplement d’origine chinoise a commencé à se déployer au XVème siècle dans le détroit de Malacca où il a développé la belle civilisation Peranakan.

 

Cependant, cette région étant devenue prospère, tout particulièrement Singapour dont le PNB par tête est au niveau des pays développés, des pays aujourd’hui en développement font reposer sur le travail des immigrés leur croissance voire leur survie.

 

Deux pays asiatiques se signalent particulièrement : le Népal (au moins ¼ voire 1/3 de son PNB) et les Philippines, officiellement 9%.

 

C’est parmi eux que se recrutent, la plupart du temps à travers des agences dont toutes ne sont pas honnêtes, les travailleurs qui construisent les immeubles et autres investissements (stades, lignes de métro, etc) des pays prospères : Singapour, Malaisie, pays du Golfe. Certains de ces ouvriers ne reviennent pas : arrêts cardiaques dus à une chaleur excessive pour ceux qui étaient venus de pays moins torrides, femmes qui ont accepté des placements domestiques et sont vendues comme travailleuses du sexe.

 

On s’est récemment aperçu que des Thaïlandais et des Népalais (10 officiellement) étaient morts parce qu’ils travaillaient dans un kibboutz massacré par le Hamas le 7 octobre dernier. Pourtant, travailler en Israël comme soignant est actuellement tellement populaire qu’il a fallu une loterie pour sélectionner parmi les candidat(e)s les 2200 postes attribués. Les heureux lauréats commencent à y partir.

 

Aujourd’hui encore, certains, dont des Népalais, meurent en faisant la guerre en Ukraine sans aucune formation militaire mais attirés par des salaires mirobolants – au point qu’ils rapportent plus à leurs familles en se faisant tuer qu’en travaillant dans leur pays jusqu’à l’âge de la retraite…

 

Alors, ne nous voilons pas la face, tous les pays développés subissent peu ou prou le vieillissement démographique et c’est pourquoi le flux d’immigrés pour occuper des emplois salissants ou à risque n’est pas près de se tarir. L’auteur de ces lignes se souvient d’avoir employé à Katmandou comme chauffeur un jeune père de famille qui était allé à Dubaï une première fois, était revenu parce que les conditions d’emploi y étaient dures puis reparti parce qu’au pays, il n’avait toujours pas trouvé de travail.


Comme l’écrit un de nos fidèles lecteurs, Pierre Buhler, ancien ambassadeur et diplomate  « la dégradation rapide du ratio entre inactifs et actifs fait peser sur les épaules de ces derniers une charge qui ne cesse de s’alourdir. Sauf à se résigner à un appauvrissement de la nation, il n’y a pas d’alternative à un allongement de la vie active ni à l’acceptation d’une immigration économique jeune, diversifiée et qualifiée, seul ressort de croissance. »

 

Citant des chiffres incontestables des Nations Unies, il souligne que « le taux de fécondité, qui est le déterminant de cette natalité, place la France, avec 1,64 enfant par femme, en tête d’un continent européen en proie à la dénatalité mais avec une baisse rapide. Compris entre 1,2 et 1,4 dans l’Europe du Sud, entre 1,4 et 1,5 en Europe de l’Est, ce taux demeure très en deçà du seuil de remplacement des générations, qui est de 2,1 et est – partout dans le monde développé, du reste – sur une pente descendante. Il s’ensuit une natalité faible qui, conjuguée à une mortalité élevée, se révèle être la cause d’un déficit démographique que l’immigration ne parvient pas à combler : il était de l’ordre de 2 millions en 2021 pour l’Europe de l’Est et de 600000 pour l’Europe du Sud ».



On voit bien actuellement le premier ministre britannique aller chercher à Rome la recette d’un équilibre entre une politique visant à diminuer le nombre d’immigrants mais accordant les 450 000 permis de travail dont a besoin le patronat transalpin pour faire fonctionner son économie – pourtant, il n’y a pas si longtemps le même pays émigrait en masse vers la terre promise américaine…

 

Un autre analyste soulignait récemment dans un grand quotidien du soir sous le titre «Un monde de vieux » : « Alors que le début de la génération du baby-boom atteint ses 80 ans, les pays développés dans leur ensemble sont touchés par un vieillissement historique, accéléré par la récente chute de la natalité. Le choc budgétaire – retraites, santé… – sera majeur. ».

 

Pour revenir à l’Asie :  « Le Japon est le pays le plus vieux au monde, presque 30 % de sa population a plus de 65 ans. L’Italie – deuxième sur le podium – va atteindre le même niveau au milieu des années 2030, l’Allemagne la décennie suivante, et l’ensemble des pays développés y seront au cours de la décennie 2060, selon les projections des Nations unies. » Le même article indiquait que parmi les 10 pays  qui vieillissent le plus rapidement figurent 6 pays asiatiques (Malaisie, Philippines, Corée du Sud, Indonésie, Singapour).

 

Aucun pays riche ne peut y échapper : la Corée du Sud qui, naguère, faisait beaucoup d’enfants, a désormais un taux de fécondité de 0,7. « A ce rythme, la population coréenne va chuter des deux tiers d’ici à la fin du siècle, souligne un économiste de HSBC. On parle d’un problème démographique dont pas grand monde n’a encore pris la mesure » si ce n’est, selon cet article, « le président coréen, Yoon Suk Yeol, (qui) a annoncé en mai une « urgence nationale ». Semaines de travail trop longues, fortes disparités salariales hommes-femmes qui découragent toute velléité de partir en congé maternité, logements hors de prix, mais aussi mariages en forte baisse… Les explications du phénomène sont nombreuses, mais la soudaine chute des naissances a pris tout le monde par surprise. »

 

Le phénomène gagne de nombreux pays émergents, qui deviennent vieux avant d’être riches. En Thaïlande, la population en âge de travailler (16-64 ans) recule depuis une décennie. En Chine, elle stagne, et la fin de la politique de l’enfant unique en 2016 n’a guère eu d’impact sur la natalité : avec 9 millions de naissances et 11,1 millions de décès, sa population a reculé en 2023 pour la deuxième année d’affilée. Les autorités de Pékin commencent à envisager de repousser l’âge de la retraite, actuellement à 50 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes. Face à la pénurie de main-d’œuvre, même les pays autrefois peu ouverts changent d’approche. « En 1985, quand je suis arrivé au Japon, 300 000 non-Japonais habitaient dans le pays, rappelle M. Koll (étranger habitant depuis lors l’archipel). Aujourd’hui, c’est 3,2 millions. »

 

Pour conclure, la migration est un phénomène global, qui ne concerne pas que l’Asie mais où l’Asie tient une place prépondérante, et auquel il est illusoire de chercher une « solution » facile. On voit bien – et cet article n’a retenu que quelques exemples – que les gouvernements hésitent sur les politiques à mener, certains États inquiets du phénomène migratoire changeant très rapidement de politique.

 

Yves Carmona

 

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2 Commentaires

  1. Ce papier est davantage une tribune qu’une analyse. Plus qu’une tribune une homélie aux bienfaits en tout lieu et en tout temps de la migration. L’auteur, sous prétexte de nous exposer les soi-disant nécessités des migrations en se bornant à la sphère asiatique entend délivrer aux européens et aux Français auxquels il s’adresse une leçon d’humanisme multiculturaliste.
    Les raisons exposées concourraient vers l’inéluctable, le changement climatique étant parmi toutes, les plus inexorables, inéluctables tout comme les raisons économiques. Mais rien n’est dit sur leurs causes si ce n’est, pour les dernières, la nécessité pour les bobos occidentaux de se faire livrer, mais pas seulement, leur “pizza”. L’auteur peut en attester personnellement.
    Pour l’auteur de ce prêche, le réel n’existe pas, c’est un fantasme, un sentiment, un sentiment d’immigration. Ce narratif, décliné a force d’éditoriaux, d’études sociologiques “made in sciences-po” et même de cours au Collège de France a pour objectif de persuader une opinion publique pourtant majoritaire qu’elle déraille, qu’elle est folle. La réalité n’existe pas lui est-il asséné , le fantasme allié de la paranoïa ferait le lit du populisme, antichambre du racisme, expression que l’auteur évite.
    Le narratif emprunte volontiers deux voies. A “gauche” on croit au narratif, on adhère au dogme de la diversité rédemptrice. L’occident (à l’opposé de l'”Orient” supposé vertueux et humaniste semble t-il selon l’auteur) serait à ce point à ce point coupable (crime colonial inexpiable pour les Français) que les vagues migratoires, du reste inévitables (la population n’arrivant plus à se reproduire comme atteinte d’un mal existentiel fruit de son individualisme égotiste) nous délivrera de nous mêmes pour nous permettre d’embrasser l’autre jusqu’à la dissolution de nous mêmes. C’est apothéose, la parousie, la “créoloisation” coûte que coûte, peu importe les conditions. C’est le mélenchonisme lfiste aux finalités électoralistes agrémenté d’un parfum anti-sémite. Se détourner des classes populaires traditionnelles qui puent des pieds comme le parti qu’elles ont rejoint. Classes populaires adhérant à un autre versant du populisme, deux faces d’une même médaille.
    Selon un ressort langagier plus “centriste”, la migration est vue, à défaut d’être analysée, comme une fatalité historique, celle de l’interchangeabilité des peuples et des civilisations (l’auteur commence par l’éloge de l’échange des marchandises auquel les humains semblent assimilés) et au mieux essayons de nous protéger mais pas trop… cosmétiquement…
    L’auteur de cette tribune semble emprunter aux deux narratifs, constitutifs du même dogme, mais sans aucunement s’interroger sur l’hypothèse d’une protection pour lui semble t-il impossible, et peut-être inutile, forcément contraire à l'”état de droit”.
    Comme tous les dogmes peut on être amené à penser que, comme le dogme communiste il y a peu, il s’effondrera ? Les politiques mises en œuvre et même les orientations idéologiques d’une partie de la gauche allemande et de certains pays scandinaves semblent s’orienter vers une remise en cause des dogmes diversitaires. Il est permis de penser qu’il s’effondrera comme tout dogme religieux qui bloque l’accès à la compréhension du réel, qui retourne nos institutions contre les peuples et les met en danger d’insécurité… Il est permis de le penser, le réel étant plus fort que l’idéologie mais non sans avoir causé un mal immense à nos sociétés, à nos peuples et à nos civilisations, Père Hamel, Samuel Paty, Dominique Bernard, Thomas, Lola, Philippine et tous les autres.

  2. analyse approximative, orientée idéologiquement, et qui feint d’ignorer la différence entre immigration choisie et subie d’une part, et la problématique civilisationnelle d’autre part…

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