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ASIE – GÉOPOLITIQUE : L’Indonésie parraine une nouvelle organisation régionale dédiée aux états Insulaires

Date de publication : 15/10/2023
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Archipelagic and Island States Forum

 

Par François Guilbert

 

Une nouvelle organisation internationale a pris son envol cette semaine. Celle-ci est dédiée aux États insulaires et archipélagiques. Fruit des efforts diplomatiques indonésiens, elle vient de tenir à Nusa Dua (Bali), du 9 au 11 octobre, sa première réunion à haut niveau (HLM). Pour l’occasion, 32 nations et 4 organisations internationales se sont rassemblées. Le président Joko Widodo en a été le maître de séance. Un nouveau succès de politique étrangère à l’occasion d’une réunion multilatérale pour Jakarta mais en amont duquel tout l’appareil gouvernemental a dû être mobilisé. Afin de faire de ce moment autre chose qu’un talk-show mis en musique par le ministère des Affaires étrangères (Kemlu), ce sont, excusez du peu, les ministres du Tourisme et de l’Économie créative, de l’Énergie et des ressources minérales, de l’Environnement et des Forêts ou encore de la coordination des Affaires maritimes et des investissements qui ont planché et ont été enjoints d’esquisser des projets concrets de coopérations futures.

 

Mais ralentie dans sa mise en œuvre par les contraintes imposées par la lutte contre la propagation de la COVID-19, l’AISF (Archipelagic and Island States Forum) n’est encore qu’un des instruments émergeant du rayonnement international de l’archipel. Dans la pratique, il n’en connaît pas moins aujourd’hui un rebond. Lancée à Manado (Célèbes) le 1er novembre 2018, la plateforme retrouve un véritable rythme de travail, avec son lot de rencontres de hauts fonctionnaires (Fidji, juin 2023 ; Madagascar, août 2023) mais également d’autorités gouvernementales. Si la ministre Retno Marsudi a présidé en marge du HLM la 7ème rencontre ministérielle de la plateforme, soutenue par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), quatre side-events public-privé sont venus s’ajouter aux échanges entre émissaires des capitales. Ces à-côtés ont donné une tournure plus économique voire sociale au temps diplomatique multilatéral. C’est ainsi que se sont tenus un Dialogue de haut niveau sur l’Économie Bleue, une conférence sur les Affaires bleues des start-ups, un séminaire sur la recherche et le développement et un rassemblement de la jeunesse des États archipélagiques et insulaires. Autant de rendez-vous ayant permis d’associer aux côtés des fonctionnaires d’État, des responsables du secteur privé (ex. « bluepreneurs », investisseurs), des personnalités des mondes académiques et de l’expertise, en espérant que ce maillage donne naissance rapidement à des projets concrets. Un vœu pieux ?

 

Un million de dollars

 

C’est le risque car on ne sait guère, à ce stade, comment ils pourront être financés dans ce cadre multilatéral singulier. Certes, l’Indonésie se montre généreuse à son endroit. En 2019, elle a octroyé un million de dollars mais pour installer la douzaine de cadres du Secrétariat de l’AISF dans sa capitale. Reste à savoir si des allocations budgétaires beaucoup plus conséquentes pourront suivre ! On peut en douter si l’on parle de projets de développement d’ampleur ou mobilisant des entreprises. Les regards se tournent donc plus directement vers les agences de développement des Nations unies, les pays riches désormais associés (ex. japon, Nouvelle-Zélande, Royaume Uni, Singapour) et les entreprises privées des pays membres.

 

Mais en cherchant désormais à établir une Feuille de route permettant à ce club transcontinental de 51 États-membres de devenir une authentique organisation internationale, les îliens, à commencer par l’Indonésie, veulent surtout se doter d’un nouvel instrument pérenne d’influence et de coopérations. De facto, il vient s’ajouter au regroupement déjà existant de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS), instituée en 1990, mais il va bien au-delà de pays peu développés. Aux 39 petits États insulaires en développement (SIDS) se sont agrégés à l’AISF un pays du golfe arabo-persique (Bahreïn), une puissance asiatique (Japon), deux membres de l’ASEAN (Indonésie, Philippines), une nation de l’océan Indien (Madagascar), cinq partenaires européens (Chypre, Irlande, Islande, Malte, Royaume Uni) et un acteur important du Pacifique (Nouvelle-Zélande). Cette pluri-cardinalité est à mettre au crédit de la diplomatie indonésienne et démontre l’influence internationale grandissante du pays qui l’année dernière présidait le G20, cette année l’ASEAN et espère devenir en 2045 la 5ème économie mondiale.

 

Curieusement à cette vaste assemblée ne s’est pas encore joint le plus proche des voisins de l’Indonésie : l’Australie. Une absence dimensionnante d’autant plus notable qu’il n’a manqué à l’appel de l’AISF aucun autre des États insulaires de la région Indo-Pacifique, qu’il soit sis dans le bassin de l’océan Indien ou dans celui du Pacifique.

 

Les 4 États insulaires de l’ASEAN (Indonésie, Philippines, Singapour, Timor Oriental) sont aussi au complet. Néanmoins, à l’AISF, c’est la place des Océaniens qui retient, aujourd’hui, l’attention et paraît même particulièrement prégnante.

 

Dans cette assemblée non seulement près de 30 % des membres sont des États-parti au Forum des îles du Pacifique (PIF) mais les chefs d’État et de gouvernement de la sous-région étaient les mieux représentés au côté de leur homologue indonésien (4/5). Avaient ainsi fait le voyage de Bali les présidents du Timor-Oriental et des États Fédérés de Micronésie ainsi que les chefs des gouvernements de Niue et Tuvalu, auquel on ne manquera pas d’ajouter les vice-premiers ministres des Fidji et Tonga. Cette « sur-représentation » Pacifique tient à la fois à la place des Océaniens dans la diplomatie environnementale et des océans à l’échelle mondiale mais aussi aux thèmes de discussions du moment. Elle n’est peut-être pas également étrangère au voyage effectué à Jakarta, en décembre dernier, par le Secrétaire général du PIF, l’ex-premier ministre des Iles Cook, Henry Puna voire à la signature du premier arrangement administratif PIF – ASEAN en août 2023. Au-delà des contacts des hommes et entre institutions, ce sont les connivences narratives qui frappent aussi.

 

Le thème retenu pour l’AISF de Bali était « Favoriser la collaboration, permettre l’innovation, pour notre océan et notre avenir », une phraséologie non sans résonance avec celle choisie pour la 52ème réunion des dirigeants du Forum des îles du Pacifique à venir (Rarotonga, 6 – 10 novembre 2023, « Nos voix, nos choix, notre voie Pacifique : promouvoir, s’associer, prospérer (Te Moana Nui A Kiva, Kia Rangarita)). Au-delà des mimétismes mobilisateurs, l’AISF initie des actions communes avec les institutions océaniennes, à l’image du Forum de développement des îles du Pacifique (ex. programme de formation sur l’île fidjienne de Bau ()). Un bi-multilatéralisme qui, pour l’heure, n’existe pour l’AISF avec une autre région du monde. Il faut certainement y voir l’effet des efforts indonésiens à s’afficher comme un membre à part entière de la famille « Pacifique » et à la mise en place d’une stratégie pleinement consacrée à la sous-région (Elévation Pacifique, 2019). Plus prosaïquement, c’est également la conséquence de la création d’un département Pacifique – Océanie au Kemlu en 2021 ou encore la suite logique du premier Forum de développement Indonésie – Pacifique organisé (IPFD) de décembre 2022, ce dernier ayant donné naissance au Message de Bali pour la coopération au développement dans le Pacifique.

 

En pratique, Jakarta s’évertue à donner du rythme à ses relations avec les Océaniens, bien que les voyage dans la zone de son chef d’État aient été très rares au cours de ses deux mandats présidentiels, à l’exception de l’Australie (novembre 2014, février 2017, mars 2018, janvier 2020, juillet 2023), de la Papouasie Nouvelle Guinée (mai 2015, novembre 2018, juillet 2023) et dans une moindre mesure du Timor Oriental (janvier 2016) et de la Nouvelle-Zélande (mars 2018). Dans ce contexte, il est d’autant plus important d’accueillir sur son sol des conférences consacrées au Pacifique comme celle de la Commission océanographique intergouvernementale pour le Pacifique occidental (WESTPAC-XIV), tenue dans la capitale du 4 au 7 avril 2023, et de rejoindre les fora où l’Indonésie n’est pas encore un État-parti (ex. Réunion des ministres de la Défense du Pacifique sud (SPDMM).

 

Ce regard vers l’Est de l’Indonésie est inhérent à son être d’État Indo-Pacifique mais, peut-être, plus encore dans sa volonté de devenir l’un des principaux ponts entre l’Asie et l’Océanie. Il est vrai que nombre de défis très concrets sont identiques, y compris à titre national puisque l’archipel est confronté aux mêmes exigences de connectivité inter-îles que les autres insulaires ou encore de protection de sa biodiversité. C’est d’ailleurs ce qui avait déjà poussé, en 2009, le président Susilo Bambang Yudhoyono à promouvoir l’Initiative du Triangle de Corail sur les récifs coralliens, la pêche et la sécurité alimentaire (CTI-CFF) avec la Malaisie, la Papouasie Nouvelle Guinée, les Philippines, les Salomon et le Timor-Oriental (CT6). Aujourd’hui, un autre défi écologique se manifeste, celui de la protection des mangroves. 44 % des mangroves de la planète se trouvent en Asie. Sachant qu’elles s’étendent sur 120 millions d’hectares en Indonésie, 36 millions d’hectares en Papouasie-Nouvelle-Guinée et 8 millions d’hectares aux Philippines, le HLM de Bali a été l’occasion d’échanger sur la problématique. Ici, on voit combien l’AISF est l’occasion de se consacrer à des enjeux qui relèvent à la fois de problématiques nationales, régionales et globales. C’est donc en toute logique que la nouvelle organisation intercontinentale ait plongé ses racines dans la conférence onusienne de 2017 sur les océans et qu’elle veuille se consacrer à quatre priorités structurantes : la lutte contre les effets du changement climatique, le développement de l’économie bleue et l’écotourisme, la gestion des pollutions plastiques marines et la bonne gouvernance maritime. Autant de thèmes qui auront des échos dans toutes les organisations (sous-)régionales de l’Indo-Pacifique et aux Nations unies, notamment dans la perspective du sommet des océans qui se tiendra à Nice du 5 au 15 juin 2025. En attendant, vu que les pays l’AISF ont des vastes régions forestières, ils auront l’occasion de porter leurs soucis de préservation et de développement forestiers et marines lors du sommet de la COP 28 qui se tiendra à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023.

 

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