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ASIE – NÉPAL : Un pays « oublié », raconté par un ancien ambassadeur qui ne l’oublie pas

Journaliste : Yves Carmona Date de publication : 14/12/2022
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parlement du nepal

 

Notre ami Yves Carmona fut ambassadeur au Népal. Il nous livre d’ordinaire des chroniques géopolitiques sur l’Asie du Sud-Est. Mais cette fois, il voulait nous parler de ce pays qu’il affectionne. Et à Gavroche, on aime les sujets de prédilection de nos chroniqueurs !

 

Népal : le vent du changement ?

 

Après avoir consacré un article à un pays dont on ne parle jamais, faut-il qu’un autre évoque un autre petit pays auquel on ne s’intéresse habituellement que parce que l’alpinisme y a mis en difficulté ou tué un ou une passionnée, et en ce moment parce que la Coupe du Monde au Qatar met en lumière ceux qui ont construit ce pays, ses stades et ses tours scintillantes ?

 

Il se trouve que l’auteur de ces lignes y a exercé avant d’être mis à la retraite, y a gardé des amis –certains vivent plutôt en France- et connaît ses médias dont l’article suivant s’est en grande partie inspiré, qu’ils en soient remerciés, notamment Binod Khakurel, Kunda Dixit et le Nepali Times, Sujeev Shakya éditorialiste au Kathmandu Post.

 

Le Népal, un petit pays ? Ses 29 millions d’habitants ne paraissent peu nombreux que parce qu’ils sont enserrés entre les deux plus grands pays du monde, la Chine et l’Inde. L’obsession des dirigeants, c’est de préserver une indépendance sans cesse menacée – n’oublions pas que la Chine a envahi le Tibet en 1959 et l’Inde annexé le Sikkim en 1975. Et dans l’ex-Empire colonial français, seul le Vietnam compte plus d’habitants.

 

Or voilà que les Népalais ont voté le 20 novembre dernier pour les élections nationale et régionales puisque la Constitution de 2015 a créé une Fédération de 7 provinces. Les élections municipales en mai dernier les avaient préfigurées en en anticipant les grandes lignes.

 

I. Les élections : un souffle nouveau

 

1/ Un système complexe

 

C’est cela la démocratie, et le Népal est un des pays qui méritent le plus en Asie de s’en prévaloir avec de vraies élections, une presse libre et une armée qui n’a jamais fait le choix du coup d’État. 275 sièges au Parlement, dont 165 en circonscriptions et 110 à la proportionnelle, donc deux bulletins différents – et quand même 61 % de participation, voter est une fête car c’est un droit conquis de haute lutte.

 

C’était la première fois qu’une législature était allée à son terme de 5 ans – mais en fait les péripéties politiciennes ne lui avaient permis que 18 mois de production législative et des alliances qui se faites et défaites au rythme de l’opportunisme des chefs de partis et au prix d’interventions à la limite de la Constitution d’une Présidente dont le rôle ne devrait être qu’honorifique.

 

2/ Un Parlement sans majorité (« Hung House »)

 

Résultat du jeu : ont fait alliance le Congrès et une partie des maoïstes alors qu’ils se sont entretués pendant la guerre civile (1996-2006) qui a fait environ 17 000 morts, avec les mêmes chefs dont certains sont septuagénaires et ont déjà été PM plusieurs fois. L’opposition était principalement constitué d’une autre partie des maoïstes et de la droite royaliste.

 

Mais le renouveau est là. Ainsi le « parti national indépendant » (RSP) créé il y a quelques semaines par Rabi Lamicchane, une star du petit écran, a raflé 21 sièges et mis en échec le déclencheur de la guerre civile, le maoïste Prachanda (le Féroce), qui a dû retourner dans sa région d’origine pour trouver une circonscription plus sûre.

 

Enfin, dans le Madhes, région limitrophe de l’Inde qui la soutient et l’utilise pour exercer son influence sur le Népal, les trop nombreux petits partis locaux ont cédé la place à des partis nationaux.

 

Ce n’est pas l’apanage du Népal ni des dernières élections d’aboutir à une « Hung House ». La presse népalaise rappelle qu’on a déjà vu cela en 1994 et la nécessité de constitue une coalition avec des petits partis est gage d’instabilité. Y prendre des petits partis pour gagner le titre de Premier ministre est risqué ![1]

 

3/ Les électeurs ont envoyé à nouveau, après des municipales qui ont permis aux 6 plus grandes villes du pays de changer de Maire, un message clair : dégageons les pourris ! Ils en ont assez de voir les sempiternels petits arrangements entre amis et à leur place, ils ont élu beaucoup d’indépendants, avec des budgets bien plus modestes et à leur tête un bon communicateur pour mettre fin à la corruption et aux privilèges et surtout agir.

 

4/ les Népalais de l’étranger n’ont pas le droit de vote or ils sont des millions, 25 à 30 % de l’électorat.

 

On trouve parmi eux non seulement les travailleurs de la coupe du Monde au Qatar (environ 2000 y sont morts) mais ceux de tous les pays, surtout musulmans, où on a besoin de travail bon marché. Ils ont confié leur exil à une agence qui fait de cet esclavage moderne un système lucratif, confisquant les passeports

 

jusqu’à ce que la dette contractée pour bénéficier d’un emploi soit éteinte, beaucoup de femmes emplissent les bordels indiens – c’est facile, il n’y a pas de frontière entre les deux pays limitrophes sur 1700 km– ou finissent dans le Golfe en proie au harassement de maîtres amoraux.

En fait, ces exilés constituent 1/3 de la population totale et depuis une vingtaine d’années, le budget népalais vit pour environ 1/4 (une grande partie passent par des circuits non-officiels) de leurs envois d’argent (« remittances »); c’est une drogue dont on sait que le Népal devra se priver un jour mais qui continue bien qu’on annonce régulièrement sa fin.

 

Et puis il y aussi tous ceux, à l’autre bout de l’échelle, qui exercent leur talent hors du Népal parce qu’ils sont mieux payés à la Banque mondiale, reviennent pourtant au pays parce qu’ils l’aiment, ou exercent leur compétence d’environnementaliste au sein du pays. Saura-t-on les garder ? Les caciques qui se partagent le pouvoir politique font tout pour leur interdire le vote car, instruits et informés et communiquant y compris par smartphones durant leurs séjours à l’étranger, ils demandent à leurs familles de voter indépendants et RPP (royalistes).

 

Somme toutes, les résultats de ces élections font espérer un renouveau dont le Népal a bien besoin.

 

II. Le Népal a-t-il connu une histoire de démocratie ?

 

1. Ce qu’on appelle le Népal n’existe en tant que pays que depuis le 18ème siècle. En 1768, Prithvi Narayan a utilisé le talent guerrier des Gurkhas pour unifier le pays autour de Khatmandou. La capitale du Népal, dont chaque crise augmente la densité, a absorbé dans une même conurbation les communes voisines de Patan et Bhaktabur bien connues des touristes puisque on y trouve la majorité des sites classés UNESCO et outre le gouvernement l’essentiel des fonctions urbaines : sièges de société, commerces etc.

 

2. Les Gorkhas sont des soldats si courageux que le Royaume-Uni a renoncé en 1816 à coloniser le Népal tout en étant le seul représenté à Katmandou et en les recrutant, jusqu’à aujourd’hui, pour sa propre armée, comme dans certains États issus de son Empire colonial.

 

3. Aussi en 1945, le Roi du Népal, sous protection britannique, régnait en laissant aux PM Rana la gestion des affaires courantes. Il n’utilisait le Taraï que pour y chasser le tigre mais il a permis, contre argent, le défrichement de la jungle à un nombre croissant d’immigrés généralement venus d’Inde. Ces Madhésis ont été à la pointe de la guerre civile qui a éclaté en 1996.

 

4. C’est pour mettre fin au « féodalisme » comme l’écrivent certains Népalais que celle-ci a éclaté.

 

Force est de constater, selon les mêmes commentateurs, que celui-ci a perduré jusqu’à ce que traumatisés par le séisme de 2015 qui fit 10 000 morts, les partis décident d’une constitution fédérale qui déplaisait à l’Inde et celle-ci a puni le Népal en lui coupant le courant et les vivres pendant 6 mois.[2]

 

5. Mais le fédéralisme n’est plus à la mode car il coûte cher et n’a pas mis fin, au contraire, à la corruption, si bien que le féodalisme reste la norme aujourd’hui comme en 1994.

 

Pour conclure rapidement car il y aurait tant à dire sur ce « petit » pays où on parle toutes les langues, y compris le français, où l’on pratique de nombreuses religions, où les cultures sont diverses et bien vivantes, d’où l’on est informé du monde entier.[3]

 

Pour conclure en quelques lignes, le Népal peut devenir un grand pays en mettant fin à la corruption et s’il cesse d’être le jeu des grandes puissances, acceptant la domination de l’Inde ou tentant maladroitement de brandir la « China card », refusant avec hauteur l’aide américaine jusqu’à ce qu’il finisse par l’accepter en 2021 et consacre ses moyens à la lutte contre la Covid, qui frappe là comme ailleurs, le réchauffement climatique qui risque de provoquer des inondations par la fonte des glaciers, la hausse des prix, le ralentissement économique et l’accroissement des inégalités.

 

Il est dommage que des puissances moyennes ne voient dans le monde que l’héritage de plus en plus compromis de l’Empire colonial et de la francophonie et ne trouvent dans ces hautes montagnes qu’un terrain de jeu dangereux, négligeant ceux qui n’ont pas été membres de la « Françafrique » en zone subsaharienne – et où d’ailleurs certains Africains veulent gérer eux-mêmes leurs affaires.

 

[1]L’auteur de ces lignes se souvient d’une élection britannique dont l’ambassadeur, se préparant à partir en voyage, avait écrit sur la foi des sondages qu’elle se concluait par un « Hung Parliament », oubliant que les instituts de sondage se trompent quelquefois mais son télégramme est parti en son absence… alors que le Parlement est resté aux mains d’un des deux partis.

 

[2]L’auteur de ces lignes a connu ces délestages, dont on pouvait à la rigueur connaître le jour mais pas l’heure pour ne pas donner l’alerte aux voleurs… jusqu’à ce qu’un directeur héroïque de l’électricité du Népal chasse de son entreprise les voleurs et rétablisse le courant. Koolman Ghising est tellement adulé qu’aucun gouvernement n’a encore réussi à le démettre.

 

[3]Un ami cher passe la moitié de l’année au Rwanda pour faire bouillir sa marmite et celle de ses dizaines de collaborateurs !

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