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BIRMANIE – EUROPE: Le décryptage européen accablant de la crise birmane

Journaliste : Rédaction
La source : Gavroche
Date de publication : 11/04/2021
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C’est un long communiqué que le Conseil de l’Union européenne a publié dimanche 11 avril. Selon l’UE, le monde est horrifié par le coup d’État militaire sanglant au Myanmar, avec des rapports faisant état de plus de 80 personnes tuées à Bago vendredi. Plus de 700 personnes sont désormais portées mortes ou disparues. Le constat de l’UE est amer: la concurrence géopolitique en Birmanie rend difficile la recherche d’un terrain d’entente, afin de mettre un terme à la violence et d’assurer un retour à la démocratie.

 

Nous publions ici un communiqué de l’Union européenne le 11 avril

 

La démocratie est de plus en plus contestée de nos jours, mais dans peu d’endroits de manière aussi dramatique et brutale qu’en Birmanie. Au petit matin du 1er février, l’horloge de la transition démocratique birmane a été ramenée plusieurs années en arrière par un coup d’État militaire digne des années 1970. L’armée a affirmé que les élections de novembre 2020, remportées haut la main par la Ligue nationale pour la démocratie (LND), avaient été en quelque sorte “frauduleuses”, sans en apporter la moindre preuve. Elle a déclaré l’état d’urgence et mis en état d’arrestation la conseillère d’État Daw Aung San Suu Kyi et le président Win Myint, ainsi que d’autres dirigeants démocratiques.

 

Résistance créative et courageuse

 

La résistance civile au coup d’État a été si étendue, créative et courageuse qu’elle a, je crois, pris les militaires par surprise. Ils ont eu recours aux seuls moyens qu’ils connaissent et qu’ils ont utilisés si souvent dans le passé : la violence et la répression. Jusqu’à présent, au moins 550 manifestants non armés, dont 46 enfants, ont été tués. Plus de 2 800 personnes ont été arrêtées. Le monde regarde avec horreur l’armée utiliser la violence contre son propre peuple.

 

La Birmanie: objet de tensions géopolitiques

 

Pourtant, même face à une telle brutalité, la géopolitique divise la communauté internationale et fait obstacle à une réponse coordonnée. La Birmanie est voisine des deux plus grands pays du monde par la population : la Chine et l’Inde. Sa situation géographique en fait un point stratégique pour l’initiative chinoise “Belt and Road” (offrant un accès en eau profonde à l’océan Indien), mais aussi pour le propre corridor de l’Inde vers la mer de Chine méridionale. D’autres pays comme le Japon, la Corée du Sud et Singapour ont également de forts intérêts économiques en Birmanie. Et la Russie est le deuxième fournisseur d’armes du pays, après la Chine.

 

Il n’est donc pas surprenant que la Russie et la Chine bloquent les tentatives du Conseil de sécurité des Nations unies, par exemple pour imposer un embargo sur les armes. La Chine tient à protéger ses intérêts stratégiques dans le pays et a qualifié le coup d’État de “remaniement gouvernemental majeur”, tandis que la Russie insiste sur le fait qu’il s’agit d’une “affaire purement intérieure”. La semaine dernière, Alexander Fomin, vice-ministre russe de la défense, a été le plus haut responsable étranger à assister au défilé de la Journée des forces armées du Myanmar, alors que d’autres pays, notamment asiatiques, avaient réduit leur niveau de représentation.

 

Démocratie et paix ethnique

 

La situation est compliquée par le tissu ethnique très diversifié et complexe de la Birmanie : il existe 135 ethnies reconnues à l’intérieur de ses frontières et certaines, comme les Rohingya, ne sont même pas reconnues. Les conflits entre les minorités ethniques et le gouvernement central durent depuis l’indépendance.

 

“Pendant des décennies, la mauvaise réponse à ce haut degré de diversité ethnique a été une dictature centralisée et militaire qui signifiait la violence entre l’armée centrale et les groupes ethniques, ainsi que la suppression des droits démocratiques pour tous.”

 

De vastes étendues de terre ne sont pas contrôlées par le gouvernement, mais dirigées par des “organisations armées ethniques” ou des milices, qui, dans certains cas, se comptent par dizaines de milliers. Pendant des décennies, la mauvaise réponse à cette grande diversité ethnique a été une dictature militaire centralisée, synonyme de violence entre l’armée centrale et les groupes ethniques et de suppression des droits démocratiques pour tous.

 

Après 2010, un processus progressif de démocratisation a conduit à des élections libres en 2015, remportées par la LND de Daw Aung San Suu Kyi. La transition démocratique s’est accompagnée la même année d’une paix ethnique. Après des décennies de conflit armé, un accord de cessez-le-feu à l’échelle nationale a été signé en octobre 2015 entre le gouvernement et les groupes ethniques armés. Il s’agissait d’une étape importante et démontrait la forte volonté politique de traiter les griefs de longue date par le dialogue et la coopération plutôt que par la violence. L’UE a été invitée à signer l’accord de cessez-le-feu à l’échelle nationale en tant que témoin international.

 

Paix ethnique

 

Tout comme l’introduction de la démocratie a favorisé la paix ethnique, son abolition risque maintenant de recréer la violence ethnique. En effet, les organisations ethniques se rangent de plus en plus du côté des manifestants et reprennent le combat contre les militaires. La situation peut devenir incontrôlable : fin mars, des frappes aériennes lancées par l’armée dans l’État de Kayin ont tué plusieurs civils et déplacé environ 10 000 personnes. La répression devient de plus en plus violente, comme le montrent également les meurtres perpétrés à Bago.

 

Que peut faire l’UE ? Partenariat pour la démocratie

 

La présence économique de l’UE  en Birmanie est limitée, mais nous sommes en train de devenir un important marché d’exportation de vêtements grâce aux préférences “Tout sauf les armes”, qui offrent aux pays en développement un accès au marché de l’UE en franchise de droits et de quotas. La Birmanie a exporté 2,4 milliards d’euros en 2020, avec une baisse de 20 % par rapport à 2019 en raison de la pandémie. En termes d’investissements directs étrangers, l’UE a une empreinte plutôt limitée (700 millions de dollars en 2019), contre 19 milliards de dollars pour la Chine.

 

“Malgré les revers, la Birmanie a été un rare exemple de transition vers la démocratie, dans une région où nous assistons de plus en plus à un retour en arrière de la démocratie.”

 

Pourtant, tout en reconnaissant que nous avons un levier direct limité, l’UE peut et doit essayer de jouer un rôle actif. Nous ne pouvons accepter qu’un gouvernement démocratiquement élu soit renversé et remplacé par un régime militaire. Malgré des revers, la Birmanie est un exemple rare de transition vers la démocratie, dans une région où l’on assiste de plus en plus à un retour en arrière de la démocratie. L’UE a également investi un capital important (financier et politique) dans cette transition, avec des missions d’observation électorale, une aide au développement accrue (688 millions d’euros entre 2014-2020) et des préférences commerciales favorables (TSA).

 

Il y a ensuite la dimension régionale. En décembre 2020, nous avons convenu d’un partenariat stratégique avec l’ASEAN, afin de renforcer nos liens avec l’une des régions les plus dynamiques du monde. Cela nous donne également l’occasion de nous engager de manière plus approfondie avec l’ANASE sur la Birmanie.

 

La charte de l’ASEAN (le lien est externe) cite “l’adhésion aux principes de la démocratie, de l’État de droit et de la bonne gouvernance, du respect et de la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales” comme un précepte fondamental dans son préambule. En même temps, l’ASEAN est une organisation basée sur le consensus qui “évolue à un rythme confortable pour tous”, ce qui limite la mesure dans laquelle elle peut jouer un rôle majeur dans ce type de conflit. Cependant, en tant qu’UE, nous avons intérêt à promouvoir les tentatives de médiation et de résolution de la crise menées par la région et nous devrions soutenir toutes les forces au sein de l’ASEAN qui plaident en ce sens.

 

Nous pourrions renforcer cette voie diplomatique en proposant d’accroître nos liens économiques si la Birmanie retrouve la voie de la démocratie : outre l’intensification des échanges commerciaux, nous pourrions proposer des investissements de qualité susceptibles d’aider le pays à emprunter la voie du développement durable grâce à des technologies de pointe et à des principes commerciaux durables. Le Myanmar a besoin d’un ensemble plus diversifié d’investisseurs externes, et le type d’investissement que les entreprises européennes offrent généralement est précieux. Le besoin de durabilité est crucial étant donné que le Myanmar est l’un des trois pays du monde les plus menacés par l’impact du changement climatique.

 

La réponse immédiate de l’UE et les prochaines étapes

 

Notre réponse au coup d’État a été rapide et étroitement coordonnée avec nos partenaires. Le 2 février, l’UE27 a publié une déclaration ferme condamnant le coup d’État, appelant à la libération immédiate de tous les prisonniers et à la restauration des autorités démocratiquement élues.

 

L’UE a immédiatement suspendu tous les paiements d’aide au développement qui ont été versés dans les coffres du gouvernement. Les activités bénéficiant aux autorités, telles que la formation de la police, où l’UE aide au respect de normes élevées en matière de police civile, ont également été gelées. Le 22 mars, l’UE a adopté une première série de sanctions à l’encontre de 11 personnes clés responsables du coup d’État, dont le commandant en chef et son adjoint. Nous travaillons actuellement à l’élaboration d’un deuxième train de mesures visant d’autres personnes et des entreprises appartenant à l’armée. Nous voulons faire comprendre à la junte que ses actions ont des conséquences.

 

Dans notre action, nous sommes guidés par le principe de “ne pas nuire” : nous ne frappons que les responsables du coup d’État et leurs intérêts commerciaux, en évitant tout impact négatif sur l’ensemble de la population. C’est pourquoi nos sanctions ne visent que les entreprises appartenant à l’armée et comprennent une “clause humanitaire” permettant l’acheminement de l’aide. En fait, ECHO a déjà alloué 11,5 millions d’euros d’aide d’urgence et est prêt à en faire plus, si nécessaire.

 

Les sanctions en elles-mêmes ne sont pas une politique. Nous devons créer une plateforme diplomatique commune pour lancer un processus de dialogue visant à rétablir la démocratie au Myanmar, conformément à la volonté manifeste de son peuple courageux.

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