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CAMBODGE – POLITIQUE : Après les élections cambodgiennes et la nomination de Hun Manet, Sam Rainsy réagit

Date de publication : 04/08/2023
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Sam Rainsy

 

En exclusivité pour Gavroche, le leader de l’opposition cambodgienne en exil commente la récente actualité politique dans son pays.

 

Par Sam Rainsy

 

On savait que le premier ministre cambodgien Hun Sen, 71 ans selon la dernière modification officielle de sa date de naissance, au pouvoir depuis 38 ans, voulait passer la main à son fils aîné Hun Manet et fonder ainsi une étonnante dynastie politique. Il avait laissé entendre que sa succession pourrait se faire “dans quelques années”. Peut-être “en 2028”, au terme d’un nouveau mandat législatif. Il avait aussi dit qu’il envisageait de rester au pouvoir “jusqu’à 90 ans”.

 

C’est pourquoi l’annonce soudaine le 26 juillet de sa démission qui prendra effet le 10 août de cette année a surpris bon nombre d’observateurs même si, au cours des derniers mois, Hun Sen était devenu plus vague sur la date précise de son départ. Il n’en demeure pas moins que cette subite démission traduit une précipitation que l’on cherche à expliquer.

 

Risque d’implosion

 

Des raisons de santé pourraient être à l’origine de cette précipitation de Hun Sen à céder sa place de premier ministre à son fils Hun Manet. Il a fait remarquer opportunément que le monarque précédent Norodom Sihanouk avait eu raison d’abdiquer au profit de son fils, l’actuel roi Norodom Sihamoni, suffisamment tôt (en 2004) au lieu d’attendre l’approche de sa mort (survenue en 2012) pour céder le trône, ce qui aurait provoqué inutilement des “problèmes”.

 

Mais le timing de cette passation du pouvoir de Hun Sen à Hun Manet semble surtout avoir un rapport avec la situation politique au lendemain des élections du 23 juillet dernier. Il y a eu indéniablement une aggravation des tensions au sein du parti au pouvoir, le Parti du Peuple Cambodgien (PPC) présidé par Hun Sen depuis la mort de Chea Sim en 2015.

 

Chea Sim qui avait pris la présidence du PPC en 1991 était un patriarche sage et respecté jusque dans les rangs de l’opposition démocratique. Je l’avais rencontré à plusieurs reprises en présence de son beau-frère, l’actuel ministre de l’intérieur Sar Kheng.

 

Avant de mourir Chea Sim avait demandé à Hun Sen de choisir entre le poste de premier ministre et celui de président du parti, c’est-à-dire de ne pas cumuler ces deux plus hautes positions. Hun Sen a fait fi de cette recommandation de Chea Sim et a manœuvré pour concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. On comprend la frustration et la rancune à son égard des principaux autres dignitaires du régime tels que Sar Kheng et Say Chhum, l’actuel président du sénat. Ceux-ci et d’autres encore jugent que Hun Sen a abusé de son pouvoir absolu pour imposer son fils Hun Manet comme futur premier ministre.

 

Avant les élections du 23 juillet, le calendrier politique n’était pas encore très précis, notamment concernant le jour du transfert du pouvoir du père au fils. Mais les tensions associées à ce changement dynastique de premier ministre sont apparues de plus en plus difficiles à résoudre jusqu’à faire courir au PPC le risque d’une implosion.

 

Ce 3 août, juste une semaine avant la prise d’effet de sa démission, Hun Sen a levé le voile sur le risque de cette implosion qui pourrait être violente quand il a déclaré : “Je voudrais vous prévenir que si mon fils (Hun Manet) est assassiné, je serai obligé de reprendre mon poste de premier ministre pour un temps et de chercher un autre successeur”.

 

Le risque d’assassinat a toujours été la hantise de Hun Sen, comme celle de nombreux autres dictateurs. Rien ne peut le mettre plus en colère que de lui rappeler l’assassinat de Mouammar Kadhafi en 2011. Il ne vaut mieux pas enfoncer le clou en ajoutant qu’un des fils de Kadhafi qui aurait pu lui succéder (Mutassim) a été également assassiné le même jour que son père et que deux autres fils de Kadhafi ont péri de mort violente durant cette époque du printemps arabe.

 

Il y a maintenant un risque que l’été cambodgien soit anormalement chaud en 2023.

 

Hun Sen veut prendre de court ses opposants

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les élections du 23 juillet ont été manipulées de bout en bout par les partisans de Hun Sen pour donner une écrasante majorité au PPC. C’était d’autant plus facile à réaliser que le seul vrai parti d’opposition, le Parti de la Bougie (PB), avait été écarté de la compétition électorale quelques semaines avant le jour du vote pour un motif bureaucratique grotesque.

 

Hun Sen voulait présenter ce scrutin comme un plébiscite. Son but est de donner une légitimité à Hun Manet quand celui-ci le remplacera à la tête du gouvernement “au bout d’un certain temps, au cours de la nouvelle législature 2023-2028”. La surprise maintenant vient du fait que Hun Sen cherche à imposer son fils tout de suite comme nouveau premier ministre dès le début de cette nouvelle législature.

 

Cette précipitation s’explique par le désir de Hun Sen de prendre de court ceux qui, à l’intérieur de son parti, ne soutiennent que du bout des lèvres son plan de succession politique jugé trop personnel et trop familial et qui pourraient chercher à déjouer ce plan. Hun Sen ne veut pas que ces frondeurs, même s’ils sont silencieux maintenant, puissent avoir le temps et l’occasion de saboter son plan de succession familiale auquel il tient par-dessus tout, ne serait-ce que pour lui assurer une impunité continue.

 

Pour Hun Sen il faut battre le fer pendant qu’il est chaud, pendant que lui-même a encore la force physique et morale pour exercer toute son autorité de chef absolu et pendant que ses adversaires restent encore apparemment inorganisés et relativement faibles.

 

Le jeu tordu de Hun Sen

 

C’est cependant à un jeu tordu que se livre Hun Sen.

 

Tout d’abord, vis-à-vis de tout l’électorat, il y a eu “tromperie sur la marchandise” quand Hun Sen annonce soudainement que c’est son fils Hun Manet qui deviendra premier ministre tout de suite au lendemain des élections du 23 juillet. En effet, c’était Hun Sen qui s’était porté candidat à ce poste à la veille de ces élections, en tant que président du PPC et premier ministre sortant. On s’attend à ce qu’il reste à la tête du gouvernement au moins pendant “un certain temps” encore.

 

A travers ces élections qu’il voulait spectaculairement favorables à son régime et à sa personne, Hun Sen voulait avant tout régler le problème de sa succession. Il voulait introniser son fils en lui transmettant le pouvoir sur un plateau d’argent représentant la légitimité, la respectabilité et la stabilité. Finalement, avec l’appréciation que le monde entier peut maintenant faire de ces “élections “, c’est sur un plateau fait d’un vulgaire morceau de fer rouillé et troué – qui laisse tout passer à travers – que Hun Sen va transférer le pouvoir à son fils. Par sa farce électorale Hun Sen a fait un cadeau empoisonné à son fils. Il voulait rendre sa succession parfaitement légitime mais il obtient exactement le contraire de ce qu’il voulait.

 

Mas le plus grave est ce mécontentement et imbroglio que Hun Sen a créé dans les rangs de son propre parti. Son plan de succession familial suscite les plus grandes réserves et le conduit à un véritable casse-tête pour ce qui est de l’attribution des postes ministériels et autres positions importantes sous le nouveau gouvernement que devra diriger son fils Hun Manet.

 

Le remplacement subit de Hun Sen par Hun Manet amène par ricochet à de nombreux autres changements qui peuvent s’avérer très délicats à réaliser. En effet, les anciens du régime qui ont travaillé sous les ordres de Hun Sen pendant des dizaines d’années ne peuvent pas et ne veulent pas se retrouver maintenant sous les ordres d’un Hun Manet beaucoup plus jeune et beaucoup moins expérimenté. Ils doivent être remplacés par des personnes plus jeunes tout aussi subitement que Hun Sen lui-même, mais sans avoir les avantages que s’est assuré Hun Sen.

 

Celui-ci a inventé des méthodes rusées pour continuer à contrôler ses troupes : remplacement des pères frustrés par un de leurs fils (ou gendres) respectifs, création et attribution de postes honorifiques comme lots de consolation, projet de permutation de postes qui ressemble de plus en plus à un jeu de chaises musicales, promesses de postes jusqu’à celles pouvant laisser les intéressés eux-mêmes sceptiques quant à leur réalisation.

 

Dans cette course vers les avantages du pouvoir, les candidats déclarés ou potentiels sont beaucoup plus nombreux que les postes disponibles, et le jeu des chaises musicales risque de se terminer par une bagarre généralisée, surtout quand Hun Sen ne sera plus là pour protéger son fils et successeur désigné. Autre preuve de l’existence de dangereuses frustrations : Hun Sen vient de demander aux autres dirigeants de son parti qui ne seraient pas contents, de faire preuve de “compréhension, abnégation et sens du sacrifice”. Il a dit que lui-même avait consenti à un  “sacrifice ” quand il a décidé d’abandonner son poste de premier ministre. Mais jusqu’à quand l’appel aux bons sentiments peut-il contenir un désir de révolte qui a des racines si profondes ?

 

Sam Rainsy

 

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