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CAMBODGE – POLITIQUE : Ce qu’il faut retenir des 100 jours au pouvoir de Hun Manet

Date de publication : 30/11/2023
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Hun Manet ONU

 

Une analyse de Sam Rainsy, chef de l’opposition cambodgienne en exil

 

Cambodge : Les cent premiers jours de Hun Manet au poste de premier ministre montrent qu’un véritable transfert du pouvoir se fait toujours attendre

 

Par Sam Rainsy

 

Les cent premiers jours de Hun Manet en tant que premier ministre montrent que la direction suivie par le Cambodge n’a pas bougé d’un iota et qu’un véritable transfert du pouvoir se fait toujours attendre.

 

Le nouveau premier ministre a succédé à son père Hun Sen le 22 août. Son manque de crédibilité était tout de suite manifeste lorsqu’il s’est adressé à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre, prétendant que les élections nationales de juillet étaient libres, équitables et crédibles.

 

Comme ce fut le cas en 2018, aucun parti d’opposition digne de ce nom n’a été autorisé à se présenter à ces élections. Les pays démocratiques ont refusé d’envoyer des observateurs car il n’y avait rien à observer. Hun Manet n’a en réalité aucune légitimité démocratique.

 

Son père lui a offert son poste sur un plateau d’argent car Hun Sen, comme tous les dictateurs, craint de perdre son impunité si le pouvoir sort du cercle familial. Le Cambodge compte plus de 60 prisonniers politiques, emprisonnés simplement pour avoir critiqué une dictature et réclamé la démocratie. Hun Manet n’a pas encore libéré un seul d’entre eux. Parmi les prisonniers figure Kem Sokha, le leader de l’opposition démocratique, le Parti de sauvetage national du Cambodge (CNRP), lorsque celui-ci a été dissous par la Cour Suprême sous contrôle politique en 2017.

 

Parmi les prisonniers se trouve également une citoyenne américaine, l’avocate khméro-américaine Theary Seng, condamnée lors d’un procès de masse de dissidents en 2022.

 

De nouveaux prisonniers, ou plus précisément des otages, continuent d’être capturés. Kang Saran, qui n’a aucune affiliation politique, a été condamné en ce mois de novembre à trois ans de prison simplement pour avoir critiqué le gouvernement sur des questions telles que la corruption et l’insécurité économique sur Facebook.

 

L’habitude enracinée de Hun Sen de déplacer de force la population chaque fois que cela s’avère économiquement rentable pour son clan a été poursuivie sous son fils. Un rapport d’Amnesty International en novembre révèle que 10 000 familles ont été touchées par des déplacements forcés de la région d’Angkor Wat afin de “promouvoir le tourisme”. Beaucoup de ces familles y ont vécu depuis des générations. Elles ont été transportées vers un site de relocalisation isolé, sans terres agricoles exploitables, et on leur a dit de construire de nouvelles habitations avec quelques tôles ondulées et une bâche en plastique.

 

La gestion de la politique fiscale est clairement au-delà des compétences du nouveau premier ministre. La situation économique inquiétante du Cambodge montre que les recettes fiscales au cours des huit premiers mois de l’année étaient inférieures de 21% aux projections budgétaires. Hun Sen a dû intervenir pour dissuader son fils d’œuvrer à des projets d’augmentation des impôts existants et d’introduction de nouveaux prélèvements.

 

En matière de politique étrangère, Hun Manet a simplement continué à se reposer sur la Chine, qui soutient le régime en échange du droit d’exploiter la base militaire de Ream, sur le Golfe de Thaïlande. Cette base militaire étrangère qui s’agrandit de mois en mois, est une flagrante violation des Accords de Paris de 1991 et de la constitution du Cambodge de 1993. Le premier voyage à l’étranger du nouveau premier ministre s’est fait à Beijing.

Microfinance et esclavage des temps modernes

 

Quarante-quatre ans après la chute des Khmers rouges en 1979, le Cambodge demeure une économie peu développée. Sa population est l’une des plus endettées du monde si l’on se réfère aux dettes du microcrédit  par rapport au revenu. Une étude d’Equitable Cambodia et de LICADHO en août montre que la faim, le travail des enfants et les ventes de terres forcées sont des conséquences directes des emprunts de microcrédit dans la province de Kampong Speu.

 

Le fardeau de la dette excessive déchire littéralement les familles. De nombreux Cambodgiens ont émigré en Thaïlande à la recherche de travail pour rembourser des prêts familiaux, la communauté khmère dans ce pays voisin s’élevant maintenant à environ 2 millions de travailleurs migrants. De nombreux prêteurs de microcrédit stipulent comme condition qu’un membre de la famille doit travailler en Thaïlande, car ils savent qu’il n’y a aucune chance que le prêt puisse être remboursé avec les revenus domestiques cambodgiens.

 

Ni Hun Manet ni son père n’ont fait quoi que ce soit pour alléger ce fardeau de la dette excessive, souvent utilisée simplement pour assurer une existence au jour le jour plutôt que pour investir dans de petites entreprises pour sortir de la pauvreté. Un sondage Gallup en août a conclu qu’il n’y a aucun pays au monde où l’écart entre les riches et les pauvres en termes de capacité à se procurer de la nourriture est plus large qu’au Cambodge.

 


Pour Hun Manet, la seule façon de dissimuler l’absence de politiques pour améliorer la situation est de repousser l’objectif d’une économie plus prospère jusqu’en … 2050.

 

Pendant ce temps, l’esclavage numérique autour d’un “travail forcé sur Internet” continue de faire payer un lourd tribut humain. Des gangs criminels chinois exploitent un réseau de camps au Cambodge centré sur Sihanoukville, dans lequel des jeunes, généralement de Chine mais aussi de nombreux autres pays, sont trompés avec la promesse de vrais emplois. Ils se retrouvent piégés comme esclaves et sont forcés de commettre des escroqueries en ligne. Le racket prospère avec la complicité officielle. Des victimes d’esclavage qui pensaient avoir été secourues par la police ont signalé que la police cambodgienne était prête à les renvoyer aux maîtres esclavagistes moyennant le bon prix.

 

La vérité est que Hun Manet n’est rien de plus qu’un homme de paille pour son père, le dictateur qui a officiellement gouverné le Cambodge pendant près de quatre décennies. Hun Manet n’a montré aucune idée ou position politique qui pourrait le distinguer de son père.

 

Hun Sen a déjà déclaré qu’il redeviendrait premier ministre si nécessaire. L’incapacité de Hun Manet à ce jour à faire preuve de la moindre indépendance vis-à-vis de son père et à s’assurer une quelconque crédibilité, rend tout-à-fait envisageable une telle éventualité.

 

Il est inutile de chercher des signes de changement positif sous un “nouveau régime” lorsque le transfert de pouvoir n’a pas eu lieu en réalité. Mais ce jour viendra forcément, car il n’y a aucun indice qui montre que Hun Manet soit capable de gouverner sans son père qui tire les ficelles derrière des rideaux presque transparents. Lorsque Hun Sen ne pourra plus faire la pluie et le beau temps sur la scène politique, on peut parier que les Cambodgiens saisiront la première occasion pour pousser leur pays vers une véritable transition démocratique.

 

Sam Rainsy

 

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