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CHRONIQUES: Le Rap qui dit non !

Journaliste : Eugénie Mérieau
La source : Gavroche
Date de publication : 29/12/2018
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Les militaires thaïlandais n’avaient, à l’heure d’écrire ces lignes, pas encore décidé d’interdire le clip téléchargé plus de 15 millions de fois. Écouter la chanson « Prathet Ku Mi » ( mon pays, c’est ça ), c’est comprendre les raisons de son succès.

 

Sur une musique hip-hop classique et répétitive, les rappeurs thaïlandais de Rap Against Dictatorship ont posé des paroles percutantes, directes, écorchées, sur tout ce qui va mal dans le royaume.

 

Les critiques montent en puissance jusqu’à exploser dans les refrains scandés en chœur de « Mon pays, c’est ça ! Mon pays c’est ça ! ».

 

Sublimant la rage, la désillusion, la frustration d’une génération entière, pour ne pas dire d’un pays entier, la chanson reflète un besoin de renouvellement, une lassitude de la Thaïlande traditionnelle et nationaliste incarnée par l’armée.

 

Elle s’adresse à la génération des 20-40 ans qui n’est plus dupe du discours sur la « thainess ».

 

L’angoisse de la succession monarchique est désormais dépassée.

 

Le maintien de la junte apparaît anachronique à cette génération hyperconnectée.

 

Le titre a été mis en ligne le 14 octobre, pour marquer le 45ème anniversaire des grandes manifestations d’étudiants d’octobre 1973.

 

Elle n’est devenue « virale » qu’une dizaine de jours plus tard, lorsque le clip a été mis en ligne sur Youtube.

 

Dans un décor épuré en noir et blanc, la caméra suit un à un le mouvement et le « flot » de dix rappeurs thaïlandais, qui se relaient pour dénoncer ce qu’ils estiment être l’hypocrisie et les dysfonctionnements de la société thaïlandaise.

 

Le clip rejoue une scène traumatique du massacre d’octobre 1976.

 

Alors que les forces de sécurité et les paramilitaires attaquèrent les étudiants à Thammasat, la foule déchaînait ses passions morbides au cours de lynchages publics, dans le parc adjacent de Sanam Luang.

 

Une photo ayant immortalisé une de ces scènes est depuis devenue l’emblème de la violence d’Etat en Thaïlande.

 

On y voit l’arbre, le pendu, la foule, et cet homme, qui se saisit d’une chaise, pour cogner sur le mort.

 

Or dans le clip, la caméra tourne autour d’un arbre arbre duquel pend un cadavre frappé par la foule…

 

Au-delà d’un visuel qui prend à la gorge, les paroles de la chanson sont d’une intensité rare.

 

Elles commencent par cette interpellation : « tu sais ce qu’il a ce pays ? je vais te le dire, écoute ».

S’ensuit une longue liste de critiques, courtes et acerbes, ponctuées par des « alors, t’es prêt à connaître la vérité » :

« Mon pays, c’est quoi : c’est le pays dont le parlement est une salle de repos pour soldats ; c’est le pays dont les constitutions sont juste bonnes à être déchirées par l’armée ; c’est le pays dont les ministres portent des montres appartenant à des cadavres ; c’est le pays dans lequel si tu commets un meurtre mais que t’as de l’argent on peut toujours trouver à s’arranger ; c’est le pays dans lequel il faut choisir : la vérité ou les balles ; c’est le pays dans lequel les lois servent les policiers et sont là pour nous intimider ; c’est le pays dans lequel personne ne lit, et surtout pas les élites au pouvoir ; c’est le pays dans lequel on nous dit de rester tranquilles pour ne pas dormir en prison ; c’est le pays dans lequel on meurt, on meurt quand on va manifester ; c’est un pays qui a des lois mais qui préfère les flingues ; c’est un pays gouverné par l’ignorance et la peur ; c’est un pays dans lequel c’est toujours l’armée qui choisit le premier ministre ; mon pays [c’est ça], et on nous dit d’aimer ce pays !!! ».

 

Dans cette chanson, les rappeurs ne s’en prennent ni au Roi, ni à la religion bouddhiste.

 

Leur propos est de rassembler, non diviser.

 

Pour eux, la division entre les Jaunes et les Rouges ne fut qu’un artifice au service de l’armée.

 

S’y laisser enfermer fut le grand piège collectif des années 2010, en sortir est l’urgente nécessité des années 2020.

 

Un thème cher au parti « Nouveau Futur » fondé en mars dernier par Thanathorn Jungrungrunangkit (dont la famille est actionnaire du quotidien « Matichon »).

 

Lequel s’est empressé de twitter son soutien et son admiration aux artistes.

 

Dédié aux victimes des crimes d’État, ce titre s’inscrit dans la tradition des chansons engagées qui avait éclos dans les années 1960, sous le nom de « chansons pour la vie » popularisées par le groupe «Caravan», groupe mythique anti-dictature.

 

Mais à la différence de Caravan qui mettait sa musique au service d’une ruralité chérie voire fantasmée, RAD s’ancre radicalement dans la modernité urbaine. D’ailleurs, l’acronyme de Rap Against Dictatorship, RAD, renvoie sciemment à un autre mot : «Radical».

 

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Eugénie Mérieau

 

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