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FRANCE – GÉOPOLITIQUE: Emmanuel Macron donne sa vision du monde à la revue «Le Grand continent»

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 27/11/2020
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Apporter à nos lecteurs des articles qui vont réfléchir et permettent d’aller au delà du récit factuel indispensable de la vie des pays d’Asie du Sud-Est et de la communauté française: tel est l’objectif de Gavroche. Nous avons donc repéré le long entretien donné récemment par Emmanuel Macron au site de géopolitique «Le Grand continent». Nous en publions des extraits et nous vous en recommandons la lecture intégrale.

 

Nous reproduisons ici des extraits de l’entretien donné par le président français à la revue «Le Grand continent» dont nous vous recommandons la lecture

 

L’année 2020 touche bientôt à sa fin. Entre gestion immédiate des urgences et vision à long terme, quel est aujourd’hui le cap pour vous ?

 

Vous l’avez dit, l’année 2020 a été jalonnée de crises. Celle évidemment de l’épidémie de Covid-19 et celle du terrorisme, qui est revenue ces derniers mois avec beaucoup de force en Europe mais aussi en Afrique. Je pense en particulier à ce terrorisme qu’on appelle islamiste, mais qui est fait au nom d’une idéologie qui déforme une religion.

 

Ces crises viennent s’ajouter à tous les défis que nous connaissions et qui étaient, je dirais, structurels : le changement climatique, la biodiversité, la lutte contre les inégalités – et donc l’insoutenabilité des inégalités entre nos sociétés et dans nos sociétés – et la grande transformation numérique. On est à un moment de notre humanité où, au fond, on a rarement eu une telle accumulation de crises de court terme, comme l’épidémie et le terrorisme, et de transitions profondes et structurantes qui changent la vie internationale et qui ont même des impacts anthropologiques : je pense au changement climatique comme d’ailleurs à la transition technologique qui transforme nos imaginaires, on l’a encore vu récemment, qui bouscule complètement le rapport entre le dedans, le dehors et nos représentations du monde.

 

Un fil directeur

 

Face à cela, et vous avez raison de parler de cap, il y a, je le crois très profondément, un fil directeur. C’est qu’on a besoin de réinventer les formes d’une coopération internationale. L’une des caractéristiques de toutes ces crises, c’est que l’humanité les vit avec des différences selon l’endroit où elle se trouve, mais nous sommes tous confrontés à ces grandes transitions et à ces crises ponctuelles au même moment. Pour les résoudre au mieux, nous avons besoin de coopérer. On ne battra pas l’épidémie et ce virus si on ne coopère pas. Quand bien même certains découvriraient un vaccin, s’il n’est pas diffusé à la planète entière, cela veut dire que le virus reviendra dans certaines zones. Pour combattre le terrorisme, on est là aussi tous frappés : il ne faut pas oublier que plus de 80 % des victimes de ce terrorisme islamiste proviennent du monde musulman, on l’a encore vu au Mozambique ces derniers jours. Nous avons une communauté de destin face à toutes ces crises. Et pour moi le premier cap dans la vie internationale est de chercher les voies d’une coopération utile : ce qu’on a fait sur le virus avec le mécanisme Act-A, ce qu’on a essayé de faire sur le terrorisme en bâtissant des coalitions nouvelles et ce qu’on a fait constamment sur les grands chantiers que je viens d’évoquer.

 

Nous devons avoir deux axes forts : retrouver les voies d’une coopération internationale utile qui évite la guerre mais permet de répondre à nos défis contemporains ; construire une Europe beaucoup plus forte, qui puisse peser de sa voix, de sa force, et avec ses principes dans ce cadre refondé.

 

Structurer une Europe politique

 

À côté de cela, le cap, pour moi, c’est aussi l’importance, dans ce moment – et l’un pour moi est complémentaire de l’autre – de renforcer et structurer une Europe politique. Pourquoi ? Parce que si on veut qu’il y ait de la coopération qui se crée, il faut que des pôles équilibrés puissent structurer cette coopération, autour d’un nouveau multilatéralisme, c’est-à-dire d’un dialogue entre les différentes puissances pour décider ensemble. Cela implique d’acter que les cadres de la coopération multilatérale sont aujourd’hui fragilisés, parce qu’ils sont bloqués : je suis obligé de constater que le Conseil de Sécurité des Nations Unies ne produit plus de solutions utiles aujourd’hui ; nous sommes tous coresponsables quand certains deviennent les otages des crises du multilatéralisme, comme l’OMS par exemple.

 

On doit réussir à réinventer des formes utiles de coopération, des coalitions de projets, d’acteurs et nous devons réussir à moderniser les structures et à rééquilibrer ces relations. Pour ce faire, nous avons aussi besoin de repenser les termes de la relation : pour moi le deuxième élément du cap, c’est une Europe forte et politique. Pourquoi ? Parce que je pense que l’Europe ne dissout pas la voix de la France : la France a sa conception, son histoire, sa vision des affaires internationales, mais elle construit une action beaucoup plus utile et forte si elle le fait par le truchement de l’Europe. Je pense même que c’est la seule possibilité pour imposer nos valeurs, notre voix commune, pour éviter le duopole sino-américain, la dislocation, le retour de puissances régionales hostiles. C’est ce qu’on a réussi à faire pour préserver l’Accord de Paris sur le climat : c’est vraiment l’Europe qui a structuré l’agenda après la décision du président Trump, pour garder ensuite la Chine avec nous. C’est ce qu’on a fait pour la lutte contre le terrorisme en ligne avec l’appel de Christchurch – en coopérant avec des Néo-Zélandais, mais c’est vraiment une action européenne que nous avons lancée ici même il y a un an et demi.

 

Je considère donc que, dans ce moment, il ne faut surtout pas perdre le fil européen et cette autonomie stratégique, cette force que l’Europe peut avoir pour elle-même. Si j’essaie de voir au-delà du quotidien, je dirais donc que nous devons avoir deux axes forts : retrouver les voies d’une coopération internationale utile qui évite la guerre mais permet de répondre à nos défis contemporains ; construire une Europe beaucoup plus forte, qui puisse peser de sa voix, de sa force, et avec ses principes dans ce cadre refondé.

 

Vous parlez de cap, en vous projetant vers l’avenir, mais on peut comprendre ce moment de transition en regardant aussi vers le passé pour se demander quelle est l’ère qui s’achève en 2020. Est-ce une ère qui a commencé en 1989, en 1945 ?

 

C’est très dur à dire, parce qu’on ne sait pas si on est à un moment qui permet de penser la période. Je ne sais pas s’il fait encore nuit pour que la chouette de Minerve puisse se retourner sur ce qui s’éteint pour le comprendre… Mais je pense que les deux éléments de césure que vous évoquez en sont, 1968 en est sans doute un aussi.

 

On voit qu’on a une crise du cadre multilatéral de 1945 : une crise de son effectivité, mais, plus grave à mes yeux, au fond, une crise de l’universalité des valeurs portées par ses structures. Et c’est pour moi – on l’évoquait tout à l’heure dans la conférence du Forum de Paris sur la paix – un des points les plus graves de ce qu’on vient de vivre dans la période récente. Des éléments comme la dignité de la personne humaine, qui étaient des intangibles, et dans lesquels au fond s’inscrivaient tous les peuples des Nations Unies, tous les pays représentés, sont maintenant mis en cause, relativisés. Il y a un relativisme contemporain qui vient, qui est vraiment une rupture, et qui est le jeu de puissances qui ne sont pas à l’aise avec le cadre des droits de l’homme des Nations Unies.

 

Il y a très clairement un jeu chinois, un jeu russe sur ce sujet, qui promeut un relativisme des valeurs et des principes, et un jeu aussi qui essaie de reculturaliser, de remettre dans un dialogue de civilisations, ou dans un conflit de civilisation, ces valeurs, en les opposant à l’aune du religieux par exemple. Tout cela est un instrument qui fragmente l’universalité de ces valeurs. Si on accepte de remettre en cause ces valeurs, qui sont celles des droits de l’homme et du citoyen, et donc d’un universalisme qui repose sur la dignité de la personne humaine et de l’individu libre et raisonnable, alors c’est très grave. Parce que les échelles de valeurs ne sont plus les mêmes, parce que notre mondialisation a été construite sur cet élément : il n’y a rien de plus important que la vie humaine. Donc, là, je vois une première rupture. Elle est très récente ; elle s’installe ; elle est le fruit de choix idéologiques totalement assumés de puissances qui, par ce truchement, voient les moyens de se rehausser, et d’une forme de fatigue, d’affaissement. On s’habitue et on pense que ce qui est devenu un ensemble de mots que l’on répète tout le temps n’est plus en risque. C’est la première rupture, et elle est très inquiétante.

 

La crise des sociétés occidentales

 

Il y a une deuxième rupture dans notre concert des nations, qui est, je pense, la crise des sociétés occidentales post-1968 et 1989. Vous voyez un néo-conservatisme monter, partout en Europe d’ailleurs, qui est une remise en cause – ce sont les néo-conservateurs eux-mêmes qui le prennent comme référence – de 1968, c’est-à-dire au fond d’un état de maturité de notre démocratie – la reconnaissance des minorités, ce mouvement de libération des peuples et des sociétés – et il y a le retour du fait majoritaire et en quelque sorte d’une forme de vérité des peuples. Cela revient dans nos sociétés, partout. C’est une vraie rupture qu’il ne faut pas négliger, parce qu’elle est un instrument de refragmentation.

 

Et je pense qu’on est aussi à un point de rupture par rapport au post-1989. Les générations qui sont nées après 1989 n’ont pas connu la dernière grande lutte qui a structuré la vie intellectuelle occidentale et nos relations : l’anti-totalitarisme. Elles se sont structurées pour beaucoup, ainsi que leur accès à la vie académique, politique, sur une fiction qui était la « fin de l’histoire » et un implicite qui était l’extension permanente des démocraties, des libertés individuelles etc. On voit que ce n’est plus le cas. Réémergent des puissances régionales qui sont autoritaires, réémergent des théocraties. La ruse de l’histoire, d’ailleurs, arrivant sans doute au moment des printemps arabes, où ce qui est vu avec cette même grille de lecture comme un élément de libération est un élément de retour de l’esprit de certains peuples et du religieux dans le politique. C’est une accélération extraordinaire d’un retour du fait religieux dans plusieurs de ces pays sur la scène politique.

 

Tous ces éléments produisent des ruptures très profondes dans notre vie, dans la vie de nos sociétés, et dans l’esprit qui est né dans ces dates de référence. Et c’est pour cela que je veux lancer ce qu’on pourrait appeler le « consensus de Paris », mais qui sera le consensus de partout.

 

Des ruptures pour nos sociétés

 

Tous ces éléments produisent des ruptures très profondes dans notre vie, dans la vie de nos sociétés, et dans l’esprit qui est né dans ces dates de référence. Et c’est pour cela que je veux lancer ce qu’on pourrait appeler le « consensus de Paris », mais qui sera le consensus de partout, qu’on a lancé aujourd’hui, qui consiste à aller au-delà de ces grandes dates qui ont structuré le fait politique, intellectuel des dernières décennies, pour interroger l’élément de concrétisation du consensus dit de Washington, et donc le fait que nos sociétés s’étaient aussi construites sur le paradigme d’économies ouvertes, d’une économie sociale de marché, comme on disait dans l’après-guerre en Europe, qui est devenue d’ailleurs de moins en moins sociale, de plus en plus ouverte, et qui, après ce consensus, au fond, est entrée dans un dogme où les vérités étaient : réduction de la part de l’État, privatisations, réformes structurelles, ouverture des économies par le commerce, financiarisation de nos économies, avec une logique assez monolithique fondée sur la constitution de profits. Cette ère-là a eu des résultats, ce serait trop facile de la juger avec le regard actuel. Elle a permis de sortir des centaines de millions d’habitants de la planète de la pauvreté, par l’ouverture de nos économies, par la théorie de l’avantage comparatif, beaucoup de pays pauvres en ont profité. Mais on la voit aujourd’hui différemment, ce qui est un élément de rupture profonde, par rapport aux grandes transitions que j’évoquais.

 

Premièrement, elle ne permet pas de penser et d’internaliser les grands changements du monde, en particulier le changement climatique qui demeure une externalité dans le consensus de Washington. Or, on arrive à un point où l’urgence est telle qu’il est impossible de demander à des gouvernants de gérer l’une des questions prioritaires du moment, la question sans doute prioritaire pour la génération à venir, simplement comme une externalité de marché. Il faut la remettre dans le marché. C’est ce que nous sommes en train de faire depuis l’Accord de Paris, avec par exemple le prix carbone, qui n’est pas compréhensible dans le cadre du consensus de Washington, car il implique que quelque chose d’autre que le profit doit être intégré.

 

La question des inégalités

 

La deuxième chose, ce sont les inégalités. Le fonctionnement de l’économie de marché contemporaine et financiarisée a permis l’innovation et la sortie de la pauvreté dans certains pays, mais il a accru les inégalités dans nos pays. Parce qu’il a délocalisé massivement, parce qu’il a réduit au sentiment d’inutilité une partie de notre population, avec des drames économiques, sociaux mais aussi psychologiques profonds : nos classes moyennes en particulier, et une partie de nos classes populaires ont été la variable d’ajustement de cette mondialisation ; et cela est insoutenable. C’est insoutenable, et on l’a sans doute sous-estimé. Nos démocraties vivent sur une forme de surface de sustentation, où il faut à la fois le principe politique de la démocratie et ses alternances, les libertés individuelles, l’économie sociale de marché et le progrès pour les classes moyennes. Ces éléments étaient la base sociologique de nos régimes : c’est comme cela qu’on fait depuis le XVIIIe siècle. À partir du moment où les classes moyennes n’ont plus d’éléments de progrès pour elles-mêmes et vivent le déclin année après année, un doute s’installe sur la démocratie. C’est exactement ce qu’on voit partout, des États-Unis de Donald Trump au Brexit en passant par les coups de semonce que nous avons dans notre pays et dans beaucoup de pays européens, c’est ce doute qui s’installe où l’on dit au fond : « puisque je n’ai plus de progrès, pour revenir au progrès pour moi, eh bien il faut soit que je réduise la démocratie et que j’accepte une forme d’autorité, soit que j’accepte de fermer des éléments de frontières parce que ce fonctionnement du monde ne marche plus. »

 

C’est pour cette raison que je crois très profondément que nous sommes à un point de rupture, qui est un point de rupture très profond aussi, en plus de ces rendez-vous politiques, qui est un point de rupture du capitalisme contemporain. Parce que c’est un capitalisme qui s’est financiarisé, qui s’est surconcentré et qui ne permet plus de gérer les inégalités dans nos sociétés et au niveau international. Et on ne peut y répondre qu’en le refondant. D’abord, on n’y répond pas dans un seul pays, j’ai fait une politique d’ailleurs qui ne va pas du tout dans ce sens et je l’assume parfaitement. Aussi vrai que le socialisme n’a pas marché dans un seul pays, la lutte contre ce fonctionnement du capitalisme est inefficace dans un pays. On n’y répond pas par la fiscalité, on y répond en construisant différemment les parcours de vie : par l’éducation et la santé quand on est un pays, mais ensuite par un fonctionnement différent des mouvements financiers et économiques, c’est-à-dire en intégrant l’objectif climatique, l’objectif d’inclusion et les éléments de stabilité du système dans le cœur de la matrice. Voilà comment je vois les choses.

 

Nous sommes à un moment de rupture politique par rapport à plusieurs choses qui avaient été acquises à des dates-clés. En même temps, nous sommes à un moment de rupture du système capitaliste, qui doit penser à la fois les sujets des inégalités et du changement climatique. S’ajoute à cela un fait nouveau, mais qui est en train de se structurer de manière perverse, que sont les réseaux sociaux et Internet. Et cette création formidable, qui a d’abord été faite pour échanger des savoirs et les faire circuler au sein d’une communauté académique, est devenue un instrument extraordinaire de diffusion de l’information, mais est aussi devenue deux choses dangereuses : un instrument de viralisation des émotions, quelles qu’elles soient – qui fait que chacun se voit dans le monde et dans l’émotion de l’autre sans recontextualisation, pour le meilleur et pour le pire –, et un élément de dé-hiérarchisation de toutes les paroles – et donc de contestation de toute forme d’autorité, au sens générique, qui permet de structurer la vie en démocratie et en société, qu’elle soit politique, académique ou scientifique – simplement parce que c’est là, que quelqu’un l’a dit, et que cela a la même valeur d’où qu’il parle. Cela, nous ne l’avons pas encore suffisamment intégré. Nous n’avons pas organisé d’ordre public de cet espace. Cet espace surdétermine nos choix aujourd’hui, et il change du même coup notre vie politique. Et donc, anthropologiquement, il bouscule les démocraties et notre vie.

 

L’importance de la démographie

 

Le dernier point d’inflexion est le changement démographique, qu’on oublie souvent. Dans ce qui structure ce moment, il y a ces grands changements climatiques, technologiques, politiques, économiques et financiers, et puis il y a le fait démographique. Nous avons une population qui continue de s’accroître à une vitesse folle. Nous avons, bien que je ne les défende pas, des théories malthusianistes qui vont revenir, parce que nous ne pouvons pas être dans un monde qui doit penser la rareté des ressources et la finitude de l’espèce humaine, et qui en même temps considère que sa démographie est un élément exogène. Aujourd’hui, on a atteint une augmentation de la population mondiale de 400 à 500 millions d’habitants tous les cinq ans. Et surtout, cette augmentation se fait avec des déséquilibres très profonds : si l’on prend la plaque Europe-Afrique, sur la même période, pour un pays d’Europe qui disparaît démographiquement, un pays d’Afrique apparaît. On assiste à une sorte d’accélération de la torsion de l’histoire. On a une Europe dont la démographie baisse de manière inquiétante – moins en France qu’ailleurs – on a des pays d’Europe où se produisent des mouvements de population très inquiétants, par exemple en Europe de l’Est. Et la démographie africaine est très importante. Tout cela crée aussi une reconception du monde, des capacités économiques, des destins, et vient évidemment aussi bouleverser les relations transnationales. ….

 

Version intégrale à lire sur le site du Grant Continent ici.

 

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