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THAÏLANDE – HISTOIRE: A Versailles, le roi de Siam face au souvenir du roi Soleil

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 27/11/2020
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Dernier épisode des lettres écrites par le roi Chulalongkorn à sa fille durant sa seconde visite en Europe en 1907. Le voici face au souvenir du roi Soleil qui fut le premier à reconnaitre diplomatiquement son si lointain pays. Un voyage dans le passé écrit avec la simplicité du découvreur lucide. Chulalongkorn, formidable explorateur de l’Europe !

 

Extraits des lettres sur la France du Roi Chulalongkorn (Rama V) envoyées à sa fille, la princesse Nibha Nobhadol, lors de son voyage en Europe en 1907.

 

Ma chère fille,

 

Ce matin, j’ai pris une voiture à onze heures pour aller à Versailles. Après la sortie de Paris, le parcours s’élève progressivement en altitude avec néanmoins quelques déclivités car on traverse des collines. Maisons et habitations sont présentes dans la première moitié du trajet, ensuite on passe par des champs et on arrive à une forêt, à la limite de laquelle on entre dans le territoire de Versailles. Il y a une barrière d’octroi en fer forgé, comme pour Paris, avec une douane installée sur chacun des points cardinaux. La ville de Versailles a beaucoup plus de bâtiments que Fontainebleau, les rues sont très larges mais les constructions ne sont pas très belles, de style provincial. Il y a plusieurs voies d’accès au Château.

 

Bordée de grands arbres

 

Celle que j’ai prise était bordée de grands arbres dont on avait taillé la tête et le flanc donnant sur la rue, de façon à créer l’impression d’une sorte de mur continu de chaque côté. Ce n’était pas très réussi, car il y avait des trouées par-ci par-là faisant comme des accrocs. Ensuite, papa a pris le chemin qui rejoint le fin fond parc. Je suis passé devant un château appelé le Grand Trianon, édifice au rez-de-chaussée assez grand, constitué de deux ailes reliées à leur extrémité par une construction centrale. C’était la résidence de la favorite de Louis XIV, mais rien de bien extraordinaire, je ne me suis pas arrêté, de peur de manquer de temps.

 

Au Petit Trianon

 

J’ai poursuivi jusqu’au Petit Trianon, où aimait habiter la Reine Marie-Antoinette, femme de Louis XVI et fille de l’Empereur d’Autriche. C’est une résidence en pierre de dimension très modeste, avec seulement cinq fenêtres en largeur de façade. La Reine Marie-Antoinette préférait les petites pièces, j’y reviendrai plus loin. A l’intérieur, elle est divisée par un grand corridor central, avec trois ou quatre pièces de chaque côté. L’une d’elles est très étrange, c’est la salle à manger, qui se trouve au milieu du côté cour (1) : une table en pierre en occupe le centre, le plateau est recouvert d’une mappemonde où sont représentés tous les pays, et dessinée, dit-on, par Louis XVI lui-même pour l’instruction de ses enfants. Le non du Siam y figure, en gros caractères. Mais pour manger, il n’y a pas de table, car quand c’était l’heure du repas, tout était préparé à l’étage en-dessous et les tables étaient montées en passant par une trappe dans le sol (2). Notre Sunthorn Phu (3) avait dû entendre parler de ce genre de dispositif, ou bien cela apparaissait déjà dans de vieux récits de l’époque de Kosapaan (4) sans qu’on y ait cru, de sorte qu’on n’en parle pas dans nos Chroniques (5).

 

Bustes de Louis XVI

 

Dans une autre pièce se trouvent des bustes de Louis XVI et de la Reine, ainsi que deux portraits du Roi et de la Reine disposés côte à côte sur un mur avec, en vis-à-vis, deux autres portraits de Marie-Antoinette enfant s’amusant à faire du théâtre. Dans l’enfilade des pièces, il y en a une assez petite, le boudoir. Puis c’est la chambre à coucher, avec un dessus-de-lit en soie brodée qui, dit-on, a été offert en cadeau de mariage par la ville de Lyon. Du côté qui donne sur la rue, un grand escalier descend vers la porte d’entrée. La façade de la salle à manger donne sur un jardin fleuri, agrémenté d’un bassin et encadré par un rideau d’arbres taillés qui forment une sorte de mur de verdure. Un mur réussi, cette fois-ci, permettant d’isoler l’espace intérieur. Au fond du jardin, on aperçoit un pavillon. De l’autre côté, la façade de la chambre ouvre sur une pelouse et un bois planté de grands arbres qui donnent beaucoup d’ombrage. A l’arrière du bâtiment, on trouve une grande cuisine, au-delà de laquelle s’étend un jardin pittoresque avec de nombreuses plantes colorées.

 

Après avoir quitté l’enceinte de ce bâtiment, j’ai traversé un ensemble composé d’arbres de petite dimension imitant la vraie nature (6), en taille réduite. En marchant encore un peu, je suis arrivé à une demeure royale (7) avec un toit de chaume, comme pour une maison rustique. Cette dernière était entourée de plusieurs petites maisons, ayant toutes un toit de chaume (8). On raconte que la Reine Marie-Antoinette aimait jouer à la fermière, et s’habillait de vêtements paysans quand elle allait s’amuser là-bas. On y élevait des vaches et quelques autres animaux de ferme. A vrai dire, c’est très joli et cela semble aussi divertissant que si l’on était en pleine campagne. Quand la propriétaire était encore là, cela devait être ravissant. Aujourd’hui, c’est moyennement entretenu, il me semble que l’on fait attention seulement aux chemins empruntés par les visiteurs, mais l’herbe n’est pas bien coupée et les plantes sont mal taillées.

 

Les nénuphars de la résidence

 

Devant la résidence, il y a un étang où l’on cultive des nénuphars et où on élève des poissons rouges ; il y en a toujours aujourd’hui, comme par le passé, mais ils sont tout petits. Quant aux nénuphars occidentaux, je les trouve bizarres. Ils poussent en groupes, serrés, avec de fleurs qui apparaissent entre les feuilles et non pas au bout de longues tiges comme chez nous. Et les feuilles sont épaisses, comme des feuilles de morène.

 

Après la visite complète de cette résidence, j’ai marché un peu en sortant de l’enceinte du Château pour aller voir les carrosses, dans la Grande Écurie. L’un d’entre eux était énorme, comparable à celui du Grand Char funéraire Maha Phichai Rajaroj de chez nous. On dit que son poids atteint sept cents kilogrammes. Il n’a été employé qu’une fois, sous le règne de Louis XIV. Napoléon y a fait substituer ses propres armoiries et ne l’a utilisé qu’une seule fois, lui aussi. Il fallait en effet jusqu’à huit chevaux pour le tracter, et comme il n’a guère de suspension, semble-t-il, et que les rues à l’entour du Château sont faites de pavés aussi grands que des briques à trous, il devait secouer épouvantablement. Il y en avait plusieurs autres sur lesquels Napoléon avait fait mettre son emblème ou qu’il avait fait fabriquer pour lui-même. Par exemple, le carrosse dans lequel Joséphine (9) a été reconduite, au moment du divorce. Un autre, utilisé pour aller chercher la nouvelle épouse (10). Et un autre pour le transport des ambassadeurs. Il y avait aussi des chaises à porteurs utilisées par les femmes de la Cour depuis l’époque de Louis XIV, ainsi que quelques traîneaux divers pour faire glisser sur la glace les reines et les favorites.

 

Le grand château

 

Après cette visite, nous sommes allés déjeuner à l’hôtel des Réservoirs, puis nous avons rejoint le grand Château. Ce palais est véritablement immense. Il est permis de penser que sa construction n’a pas pu être réalisée par un travail imposé. Il aurait été tout à fait impossible de faire exécuter ce travail, moyennant finance uniquement, comme on le fait aujourd’hui.

 

L’entrée qui donne sur la grand-rue est une vaste cour encadrée par deux bâtiments latéraux où logeaient les courtisans dans l’attente d’être reçu par le Roi, comme à Fontainebleau, et par une rangée de grandes sculptures en pierre de chaque côté ; la statue équestre de Louis XIV trône en plein centre de l’esplanade. Depuis le corps de logis central il n’y a pas moins de quatre décrochements pour rejoindre les ailes, et Louis XIV avait choisi de placer sa chambre exactement au milieu du bâtiment central.

 

Rien d’aussi fascinant que Versailles

 

Sur un côté, il y a une chapelle qui est contiguë au palais, comme dans d’autres châteaux. Mais à vrai dire, ce sont les autres qui tous ont imité la France, comme Schonbrunn en Autriche ou Peterhof en Russie ; ils ont été faits dans le même style et avec le désir d’avoir un édifice comparable, cependant aucun n’est aussi grand ni aussi fascinant que Versailles. Le but d’une telle construction à cette époque était de célébrer la grandeur du monarque, à la manière d’un monument, plutôt que de créer un lieu pour vivre ; du reste le résultat s’apparente bien plus à des galeries de tableaux qu’à une véritable résidence. Sans aucun doute c’est fort spectaculaire, mais il n’y a aucun confort pour y vivre.

 

Ainsi, alors qu’à Versailles la totalité du Château pouvait être habitée, la Reine Marie-Antoinette a préféré faire cloisonner des couloirs pour former de petites pièces d’habitation, vraiment toutes petites : si l’on pouvait en imagination redresser cet ensemble sur un plan vertical, cela ressemblerait à une étagère de rangement. (../..) Il y a deux grandes salles : l’une est la Galerie des Glaces, qui est tapissée de miroirs sur le mur intérieur tandis que la façade extérieure est constituée d’une succession de portes fenêtres. Le plafond est entièrement décoré de peintures à la gloire de Louis XIV, chaque caisson le mettant en scène dans une posture particulière, car ce Roi était extrêmement orgueilleux et se comparait lui-même au soleil avec toute sa puissance. Ces tableaux illustrent admirablement l’histoire et sont exécutés avec un talent exceptionnel. C’est dans cette Galerie qu’auprès la victoire sur les Français lors de la dernière guerre (11) a eu lieu la proclamation de l’Empire Allemand.

 

L’autre grande salle (12) a un toit en verrière et les murs sont couverts de tableaux des deux côtés. C’est tout à fait comme une vraie galerie de tableaux, sauf que ce ne sont pas de petites toiles qui sont accrochées au mur mais d’immenses tableaux qui recouvrent la totalité de l’espace mural divisé en compartiments, avec des personnages grandeur nature. Ce ne sont que des scènes des batailles gagnées par la France, d’un côté celles qui se sont déroulées sous les règnes des ancien rois, de l’autre presque uniquement les victoires de Napoléon Bonaparte. (../..)

 

S.M Chulalongkorn

 

(1) Le texte édité dit « du côté rue », mais cette indication semble ne pas correspondre à la disposition actuelle des lieux. Peut-être les abords du bâtiments étaient-ils aménagés différemment en 1907, ou bien peut-être le mot rue désigne-t-il ici une cour effectivement dégagée au bas de la façade de la salle à manger. Les traducteurs ont donc choisi d’utiliser le mot « cour », celle-ci se situant entre le bâtiment et le jardin fleuri mentionné plus bas.
(2) Ces ‘’tables volantes’’, commandées par Louis XV au mécanicien Loriot, n’ont finalement jamais été réalisées, probablement pour des raisons de coût.

 

(3) Sunthorn Phu (1786-1855) est le poète le plus illustre de la littérature thaïlandaise. Sa vie et ses oeuvres figurent encore au programme des écoles, du primaire à l’université, et ne cessent d’inspirer chercheurs et critiques. C’est le poète de tout Nation. Son ouvrage le plus populaire est le conte en vers Pra A-phai Mani, qui a donné lieu à de nombreuses adaptations pour le théâtre, la télévision, le cinéma et même la bande dessinée.

 

(4) Kosapaan était l’Ambassadeur à la tête de la seconde délégation envoyée par le Roi Narai à Louis XIV en 1686

 

(5) Les Chroniques royales ou Chroniques dynastiques (phongsawadan) désignent un ensemble de documents dans lesquels étaient consignés sous forme chronologique les évènements de l’histoire royale. Elles apparaissent déjà en 1680 sous le règne du Roi Narai. Après le sac d’Ayutthaya par les Birmans, le Roi Taksin d’abord puis le Roi Rama I ordonnèrent à la fin du XVIIIème siècle la recension des documents qui n’avaient pas été détruits et la reconstitution d’un corpus historique. Ces Chroniques formeront, avec d’autres documents de diverses sources, la base de l’histoire du Siam.

 

(6) Il s’agissait vraisemblablement de recréer, dans l’enceinte du Château de Versailles, un environnement permettant à la Reine Marie-Antoinette de se sentir « à la campagne »autour de sa ferme…

 

(7) C’est la « Maison de la Reine »

 

(8) Le « Hameau de la Reine »

 

(9) Joséphine de Beauharnais, la première épouse de Napoléon.

 

(10) Marie-Louise, fille de l’empereur d’Autriche, la deuxième épouse de Napoléon.

 

(11) La guerre franco-allemande de 1870

 

(12) La Galerie des Batailles

 

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