Les éditoriaux de Gavroche suscitent toujours un débat nourri. La preuve, cette réaction de notre lecteur au récent texte « Vu d’ailleurs » de Richard Werly.
Ces « ils » se sont, au fil du temps, substitués au « IL », l’unique qui, en 1962, donna l’impression de réunir dans sa personne, auréolée de sa stature passée, un moment délicat de l’histoire de la France et l’adhésion populaire. La réunion des trois légitimités selon Max Weber, démocratique, historique et charismatique, fut, semble-t-il, atteinte. L’élection du président de la République au suffrage universel, aux antipodes du parlementarisme classique et vue, à l’époque, comme une forme de déviation monarchique et autoritaire, s’est cristallisée dans un homme qui, issu du suffrage universel, remit, sept ans plus tard, son existence et son départ au suffrage universel.
L’institution vit une réduction du mandat à cinq ans, mais en dépit de cette « capitis diminutio », la prééminence de l’élection, arrimée à une majorité parlementaire, maintint le décor et une forme de stabilité institutionnelle. De recours au référendum, comme De Gaulle en fit usage, il n’y eut point.
Les cohabitations successives portèrent atteinte au schéma d’origine et sans doute à la volonté gaullienne (qu’aurait-il fait ?). Mais dans tous les cas, une majorité parlementaire, même coalisée — bien que plus fragilement dans ce cas — assurait un rôle au Parlement, une majorité de gouvernement, et renvoyait le président à ses attributions littérales. L’élection avait encore un sens ; l’expression populaire, par le biais de l’expression « populiste », le vote blanc et l’abstention restaient à un étiage contenu et faible. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les dernières élections présidentielles de 2022, les élections européennes et surtout législatives qui suivirent ont conduit à instiller dans l’opinion et chez l’électeur le sentiment, si ce n’est la conviction, que voter ne sert à rien. Chez certains, le sentiment d’une élection « volée » est fortement ancré et s’est répandu.
Il en résulte un usage « dévoyé » du suffrage, soit dans l’expression de partis dits « populistes », à gauche et à droite, dans des formes qualifiées d’« extrêmes », soit dans l’abstention ou, par un simulacre de vote, le vote blanc. Le prolongement de ces comportements électoraux se manifeste possiblement dans des formes d’expression populaires en dehors de toute élection, comme le mouvement des Gilets jaunes ou les comportements plus ou moins insurrectionnels. Une des formes visibles, et qui va en s’amplifiant, est l’expression groupusculaire des identités multipliées à la recherche d’intersectionnalités fusionnantes, actives et potentiellement émeutières.
Rien, dans l’élection présidentielle à venir — en 2027 ou avant — n’augure l’avènement d’un phénomène cathartique de sursaut et d’unité possible derrière la cérémonie, la messe que constitue cet événement…
Bien au contraire, la multiplication des candidatures, encore pour le moment rêvées, n’est que l’expression du vide que représente le lieu de l’élection présidentielle — un vide, mais un trop-plein de vide, c’est-à-dire de promesses d’« ivrognes », comme on disait naguère.
L’expression d’un suffrage épuisé ou vide représente environ 70 % de l’électorat ; la « gauche » et la « droite », formant un « centre » nouveau style, ne représentent plus que 30 %, et l’élu — il y en aura nécessairement — environ 16 % de ces 30 %.
Rien n’augure que, dans ces conditions, une majorité parlementaire émerge. Nous risquons fortement d’assister à une reconduction de la situation actuelle : des institutions dites démocratiques dont la représentativité a été évacuée. La pire forme de danger pour la démocratie. Pas étonnant que l’on assiste à des formes d’engouement pour toutes les nuances d’autoritarisme, sur un fond de doutes à l’égard de l’élection et du pouvoir démocratique qu’elle est censée conférer.
Une démocratie dans laquelle il serait admis que l’on vote pour la forme, sachant que cet acte est vide, un simulacre, un vestige des temps anciens et dépassés des anciennes mœurs politiques ? Et pourquoi pas une démocratie sans vote ?
L’avenir de la Ve République n’est-il pas dans la fin de l’élection ?
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L’expression d’un suffrage épuisé, soit par l’absence d’inscription sur les listes électorales, soit par l’abstention, soit par une expression jugée populiste et divisée, par un tiers d’élus “centristes” eux-mêmes divisés, a conduit à dérégler l’horloge constitutionnelle initiale.
La dernière dissolution, précipitée par les résultats obtenus par les listes françaises aux élections européennes, fut une tentative de “clarifier” la situation et de rétablir les mécanismes traditionnels. La dissolution, actionnée le jour même des déconvenues électorales européennes, fut le signe d’une crispation institutionnelle en forme de “va-tout”, avec un parfum quelque peu suicidaire.
Rien n’y fit, et la situation menaça d’empirer, surtout face à la nécessité de voter le budget annuel. Le risque de l’impossibilité de le faire manifesta une étape supplémentaire dans la crise institutionnelle. Celle-ci avait déjà connu une phase subaiguë avant les deux élections de 2024. Le “gouvernement Attal”, démissionnaire, fut reconduit au-delà de ce que la pratique autorisait habituellement pour “gérer les affaires courantes”, au motif de la réussite des Jeux olympiques. Mais la durée fut telle que, d’affaires courantes, les affaires normales entraient progressivement dans le champ des attributions normales d’un gouvernement devenu irresponsable, puisqu’il pouvait être renversé, venant de l’être.
La focalisation ultérieure sur la nécessité impérieuse de voter un budget autorisa toutes les hypothèses politiques et institutionnelles. Le recours à l’article 16 de la Constitution fut le clou des débats. Le recours possible fut assez largement envisagé comme légitime, l’absence d’un budget étant présentée comme une forme d’apocalypse de l’État lui-même, malgré tous les subterfuges que la Constitution pouvait offrir. La crise de nerfs atteignit son comble.
C’est là que le point de bascule institutionnel aurait pu se produire — et peut, à l’avenir, se produire.
L’article 16 de la Constitution, au-delà des conditions de recours assez floues dont l’appréciation dépend du seul Président de la République — certes contraint de solliciter des avis, mais qui, par définition, ne contraignent pas — permet de prendre toutes décisions, y compris celles relevant du Parlement, exigées par les circonstances qu’il est donc le seul à apprécier. Le précédent de 1961, mis en œuvre par l'”Homme Illustre”, ne pourrait que renforcer la légitimité et l’autorité de recourir à cet expédient, même si, à l’époque, son usage fut limité dans le temps. On se souvint de Cincinnatus, et on parla de “dictature à la romaine”. Mais encore faut-il rappeler qu’à Rome, le “dictateur” devait être nommé par le Sénat. Le budget fut finalement adopté par d’autres voies et au prix d’astuces et de marchandages politiques dont le Premier ministre sut habilement faire usage.
Mais si, pour le budget de l’année 2026, la situation se répète, l’hypothèse du recours à l’article 16 reste ouverte. Les éléments de la discussion ont déjà été rôdés et sont prêts. Y recourir pourrait être plus aisé : l’insensibilisation provoquée par les débats encore chauds pourrait opérer et obtenir l’assentiment des partis politiques et de l’opinion publique, aspirant à un “État fort”, à l’efficacité, et au rejet de la “chienlit”.
Si, en 2027, l’élection présidentielle et les élections législatives qui suivront — une forme de proportionnelle n’ayant pas été adoptée d’ici là — ne permettent pas de régler certains problèmes institutionnels, la même situation politique pourrait se reproduire. Que resterait-il alors aux mains d’un tel président ? À part dissoudre au bout d’un an, démissionner au lendemain de son élection, s’il ne décide pas d’actionner une disposition qui permettrait de s’affranchir de la part démocratique des institutions de la Ve République, tout en prétendant rester dans leur cadre ?
La Constitution de la Ve République contient, tels des monstres dans l’œuf, tous les ingrédients d’évolutions possibles vers sa suspension ou sa transformation en un régime que certains qualifient d’”illibéral”. Point n’est besoin pour cela que les armées allemandes défilent sur les Champs-Élysées. La menace des armées russes pourrait être un autre scénario. En attendant, et pour l’heure, il s’agit de l’armée indonésienne…
La dernière élection législative ayant eu lieu en 2024, elle reste valide dans sa structure actuelle jusqu’en 2029, sauf dissolution désormais possible à tout moment. Dans cette configuration, l’élection de 2027 ne changerait rien à la situation actuelle, hormis l’élection d’une personnalité permettant de désamorcer l’imbroglio lié à l’absence de majorité parlementaire. Il y aurait donc, selon toutes probabilités, une dissolution consécutive à l’élection présidentielle, avec le risque de reconduction de la situation actuelle.
L’adoption d’un scrutin proportionnel pour les législatives, généralisé avec des modalités propres en Europe, serait-elle de nature à déverrouiller une situation nécessairement bloquée, faute de majorité de gouvernement ?
Il est d’usage de dire que la culture du compromis n’est pas française. Mais l’adoption d’un scrutin de type proportionnel — sachant que celui-ci peut être intégral ou non, national ou non, avec leurs effets de représentation propres — conduirait mécaniquement à la nécessité de recherches de compromis après l’élection, et non avant.
L’émergence d’un gouvernement formé d’alliances — certes plus ou moins stables — conduirait à placer le centre d’équilibre des pouvoirs constitutionnels du côté du Parlement et du Premier ministre.
Il s’agirait donc de passer d’un présidentialisme essentiellement issu du mode de scrutin — qui, selon la Constitution, peut être modifié par une loi ordinaire — à un parlementarisme, certes « rationalisé », comme l’envisageait à l’origine, en bon père de la Constitution, un parlementarisme « à l’anglaise ».
Cher lecteur, nous avons transmis votre réponse à notre chroniqueur Richard Werly. N’hésitez jamais à lui écrire sur cette adresse richard.werly@ringier.ch. Une nouvelle dissolution changerait elle la donne ? Non, sans doute. Mais il semble clair qu’Emmanuel Macron ne l’exclut pas… Continuez de nous lire. La rédaction
Un grand merci cher lecteur pour cette réaction à la chronique de notre conseiller éditorial Richard Werly. Nous la lui avons évidemment transmise. nous sommes toujours heureux de constater que, même vue de la lointaine Asie du Sud-Est, la politique française passionne. Continuez de nous lire ! La rédaction
Généralement. La Ve n’est pas un régime viable.
La Vᵉ République comptera 67 années au compteur en octobre 2025, une bonne longévité pour un régime politique français. Une certaine forme constitutionnelle permettant une certaine « plasticité ». Jusqu’à quand ? Un vieux meuble vermoulu ? Une vieille dame incontinente ?
Encore 4 ans pour égaler la IIIᵉ République… Avec des sparadraps, des couches et quelques perfusions intraveineuses, c’est sans doute possible… 2032, 2039, un nouveau souffle avec Emmanuel et Brigitte, toujours plus jeunes…