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GAVROCHE – CHRONIQUE : L’occident est fini, enfin presque (3/3)

Date de publication : 19/09/2023
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afghan militaires

 

On vous avait prévenu : notre chroniqueur Jean Charles Diplodas ne lâche pas l’affaire. Pour lui, la désoccidentalisation du monde est bien en marche. Troisième volet de sa série. Et si vous n’êtes pas convaincu, réagissez !

 

Assistons-nous à la désoccidentalisation du monde ?

 

Dernier volet : un pouvoir contesté. Des mutations nécessaires.

 

La guerre en Ukraine a brutalement accéléré et accentué un phénomène déjà sourdement à l’œuvre depuis le début du XXI° siècle : la coalescence d’un nombre toujours plus grand de nations, d’origines géographiques ou culturelles très diverses, pour contester l’ordre mondial mis en place par les Occidentaux après leur victoire militaire de 1945. Phénomène notable, parmi ces contestataires, nombre de nations, comme la Thaïlande, qui comptaient parmi les alliées les plus fidèles des démocraties occidentales. Après une série de votes révélateurs aux Nations-Unies, refusant de condamner l’agression russe, ou d’appliquer les sanctions occidentales, un saut qualitatif vient de se produire dans ce sens, avec l’ouverture des BRICS, jusqu’ici un club très fermé, à 6 nouveaux pays. Chacun d’entre eux jouant un rôle géostratégique majeur. 22 autres pays ont formulé déjà une demande d’adhésion.

 

Cette brusque levée de boucliers, imprévue, a pris de court les chancelleries européennes et le State Department. Et suscité dans la presse une interrogation inquiète : assistons-nous à la désoccidentalisation du monde ?

 

Pour essayer de répondre à cette question, nous avons dû repartir de ce que l’on appelle ‘’occidentalisation’’. Nous avons constaté qu’elle s’était produite récemment dans l’histoire des civilisations, et en deux phases principales, du XV° au XX° siècle : l’européanisation, consécutive à la Renaissance ; puis l’occidentalisation, résultat de la révolution industrielle et de l’apparition sur la scène internationale de la puissance américaine.

 

Nous avons vu que ni la domination coloniale, ni la domination technologique occidentale n’avaient, avant la deuxième guerre mondiale, provoqué une acculturation de la part de peuples qui souhaitaient seulement une modernisation. Exception faite, dans une certaine mesure, du Japon.

 

Par contre, après 1945, se produit une large américanisation du monde qui débouche sur une hégémonie, acquise après l’effondrement de l’Union soviétique. C’est cette américanisation et cette hégémonie qui se trouvent aujourd’hui contestées.

 

Trois facteurs principaux expliquent cette influence sur une grande partie des peuples qui entrent en contact avec les Américains. Leur modernité technique, leur avance technologique. Leur écrasante domination militaire : ‘’Dieu’’ est avec eux. Puis les principes politiques qui les animent depuis les 14 points du président Wilson. Le libre-échange, la démocratie, le désarmement, le règlement international des différends, le droit à l’auto-détermination de tous les peuples de la Terre. Enfin, pour cela, la création d’une Assemblée des Nations Unies, pour imposer un ordre mondial fondé sur ces principes, assurer le développement, et préserver la paix.

 

Encore faut-il, pour que cette occidentalisation perdure et ne soit pas remise en cause que 5 conditions soient réunies : 1- Que les Occidentaux ne violent pas les principes wilsoniens, en déclenchant les guerres ; et ne les perdent pas. 2- Que la démocratie ne soit pas remise en cause, et ses principes bafoués, de l’intérieur, par exemple aux États-Unis, par les Américains eux-mêmes. 3 – Que l’ordre occidental du monde permette un développement égalitaire, non exclusif, de la planète. 4 – Que l’ordre occidental, imposé au milieu du siècle précédent, soit capable de relever les nouveaux défis planétaires de ce siècle-ci. 5 – Que n’apparaisse pas dans le monde un rival systémique capable d’offrir un contre-modèle, de fédérer autour de lui les opposants, ou les laissés-pour-compte de l’ordre occidental, et d’offrir une alternative globale des relations internationales.

 

Or, précisément, aux yeux des contestataires de l’ordre occidental, ces 5 conditions ne sont plus réunies. A leurs yeux, aucun des buts proclamés n’a été atteint par l’ordre du monde conçu par les Occidentaux. L’image qu’offrent ces derniers se focalise sur les États-Unis, ‘’leaders’’ des démocraties. L’Europe, divisée, affaiblie, ne parvient pas à constituer une puissance alternative, ni à faire entendre une voix indépendante, malgré les tentatives constantes de la diplomatie française depuis le général de Gaulle. C’est donc naturellement sur les États-Unis que se cristallisent les reproches et les oppositions à l’Occident en général.

 

Aux yeux des “pays du Sud”, les promesses non tenues de l’Occident.

 

1 – La paix : Le premier des principes wilsoniens, repris par Churchill et FD Roosevelt, dans la Charte de l’Atlantique, qui servira de modèle à celle des Nations-Unies, est l’établissement « d’une paix qui offrira à toutes les nations les moyens de demeurer en sécurité à l’intérieur de leurs propres frontières et qui assurera à tous les êtres humains de tous les pays la possibilité de vivre durant toute leur existence à l’abri de la crainte et du besoin. »

 

Or, non seulement les nations-unies ne seront pas plus capables d’instaurer et de faire respecter la paix dans le monde que la défunte SDN, mais, en leur sein, les Occidentaux vont apparaître comme à leur tour facteurs et fauteurs de guerres à répétition. Indochine, Algérie, Vietnam, Grenade, Panama, Koweït, Afghanistan, Irak, Kosovo, Lybie…

 

Plus grave : l’Occident, loin d’être invincible, a commencé à être battu dans les guerres qu’il a déclenchées. “Dieu” semble ne plus être avec lui.

 

Cela a commencé dès la fin de la guerre. En Corée, l’Amérique, tout juste triomphante, détentrice exclusive de la puissance atomique, appuyée par les contingents onusiens, a été à un fil, assiégée dans le réduit de Pusan, de perdre la guerre, en face d’une modeste armée nord-coréenne. Un instant rétablies, dès qu’elles se sont approchées de la frontière chinoise, ses forces ont été ramenées en débâcle sur le 38° parallèle par une primitive APL, mal équipée et mal armée. La grande Amérique, et les Nations-Unies, heureuses d’aboutir à un match nul, sans même pouvoir signer la paix ! Aussitôt après, c’était l’humiliation du C.E.F. à Dien Bien Phu par les troupes de Giap. Et le retrait de la France d’Indochine. Une défaite cinglante qui n’allait pas tarder à inspirer les nationalistes algériens, et entrainer la fin de la colonisation française en Afrique.

 

Au Vietnam, les Américains étaient certains de faire beaucoup mieux que les Français : vingt ans d’engagement militaire, un demi-million d’hommes, le napalm, les B 52, les chars, l’artillerie, les hélicoptères, les défoliants… s’avérèrent pourtant impuissants contre des bodoïs et des Viêt-Cong insaisissables. Une défaite écrasante, humiliante, dont les images vont faire le tour du monde. Et une défaite morale aux conséquences domestiques ravageuses. La fière Amérique, la “cité sur la montagne” devenue honteuse d’elle-même et fracturée, déjà, en deux blocs antagonistes.

 

Afghanistan : triomphe des Talibans ; une débâcle humiliante et une fuite honteuse, après vingt ans de guerre, malgré l’appui de l’OTAN, dévoyée dans cette aventure.

 

L’Irak, la Libye : des “victoires” militaire sans lendemain qui, sous prétexte d’éliminer un dictateur, plongent le pays dans la violence, la misère et un chaos propice aux pires extrémistes. Et déstabilise les pays voisins, puis la zone subsaharienne. Sans solution politique, ni démocratie. Et, en violation des principes de la Charte, guerres déclenchées et conduites sans l’aval des Nations-Unies.

 

Une “nation building“, ouvertement assumée, également en contradiction avec les principes onusiens. Combien de coups d’État fomentés ou soutenus par la C.I.A., depuis Mossadegh, Farouk, Jacobo Guzman, Patrice Lumumba, Salvador Allende… ? Combien de guerres prétendant instaurer par la force une démocratie pour des peuples qui ne sont pas prêts à l’accepter ?

 

Cet Occident fait peur, parce qu’il porte la guerre, l’instabilité, le chaos, au lieu de garantir la paix : en Amérique centrale et latine, au Moyen-Orient, en Asie…

 

On peut le battre chez soi, mais aussi le frapper chez lui. Pour la première fois de toute son histoire, l’Amérique est attaquée sur son sol et atteinte dans son cœur symbolique. 19 fanatiques islamistes parviennent à semer la terreur et la mort dans New-York et Washington. Près de 3000 victimes. Beaucoup plus que l’attaque japonaise contre Pearl Harbour, menée avec 6 porte-avions, et 350 avions. Suivent Paris, Londres, Madrid, Berlin, Nice… Quelque chose de l’image de l’Occident a pour toujours changé, le 11 septembre.

 

2 – L’exemplarité démocratique :

 

Les États-Unis de George Washington, des founding fathers, du Bill of Rights, d’Abraham Lincoln, du président Wilson, de FD Roosevelt… avaient joué dans le monde un rôle charismatique pour donner aux autres peuples une envie de droits humains, de liberté et de démocratie. L’Amérique sortait de la deuxième guerre mondiale unie par l’épreuve, fière, avec une image d’elle-même conforme à son idéal. Ses films montraient un GI héroïque qui, des jungles de Guadalcanal aux plages de Normandie, libérait le monde de la tyrannie. Et le monde aimait cette image.

 

Assez vite, ensuite, les choses avaient commencé à se gâter. Le Maccarthysme avait révélé une face sombre, paranoïaque, et conduit à une chasse aux sorcières digne de l’Inquisition, qui avait fini par révulser.

 

Puis, Kennedy avait été assassiné. Malcom X avait été assassiné. Martin Luther King, le défenseur des droits civiques, avait été assassiné. Bob Kennedy avait été assassiné… Des émeutes raciales avaient rappelé que l’Amérique restait violemment raciste, discriminatoire. On avait vu des chiens lâchés sur des noirs.

 

Avec le Vietnam, l’Amérique s’était fracturée comme jamais depuis la guerre de sécession. On avait vu la garde civile de Kent, dans l’Ohio, tirer à balles réelles sur des étudiants. Hollywood donnait du guerrier américain une image terrifiante. Drogué, psychopathe, violeur de petites filles, assassin de civils, tortionnaire. Un cynique, amoral, qu’aucun idéal n’habitait, livré à la démesure et la folie : Apocalypse now, Platoon, Voyage au bout de l’enfer, Full metal jacket… My Lai.

 

Le Watergate avait montré un président des États-Unis qui n’hésitait pas à commanditer un cambriolage chez ses adversaires démocrates. A faire enregistrer secrètement ses proches, à mentir devant les caméras, déjà. Et il avait dû démissionner. Puis on avait vu un autre président, Reagan, qui promettait, déjà, de “Make America Great Again“, vendre secrètement des armes à la théocratie iranienne, pour financer des mouvements terroristes combattant le gouvernement du Nicaragua. Et envisager la totale démesure d’une “Guerre des étoiles”.

 

Avec George W Bush, un nouveau pas était franchi. Le Patriot Act, voté au lendemain du 11 septembre, allait permettre d’espionner la totalité de la population américaine. Appels téléphoniques, fax, courriels, messages postés sur les réseaux sociaux, allaient être épiés par une NSA qui, depuis le milieu des années 60 espionnait à une échelle jusqu’alors inconnue, dirigeants politiques, syndicaux, économiques, du monde entier, y compris ceux des alliés. Ce qu’allait révéler Edward Snowden. A ce système orwellien, s’ajoutaient les prisons secrètes de la C.I.A. dans le monde, l’usage systématique de la torture, et la zone de non-droit de Guantanamo. On vit un Secrétaire d’État tenter vainement de manipuler l’Assemblée Générale des Nations-Unies en brandissant de fausses “preuves” fabriquées par la CIA. Puis les États-Unis et, malheureusement, quelques supplétifs européens, sans mandat de l’ONU, attaquer et détruire un État souverain, sous le prétexte inventé d’armes de destructions massives qui n’existaient pas. Au prix de centaines de milliers de victimes et de la déstabilisation de tout le Moyen-Orient. Au profit de l’Iran et du fondamentalisme islamiste. Où était passée l’Amérique des pères fondateurs ?

 

Mais le comble allait être atteint avec l’élection de Donald Trump. On vit soudain pendant 4 ans un président américain, inculte et grossier, raciste, vulgairement sexiste, mentir systématiquement, proférer à répétition des énormités ridicules, contraint de payer de conséquentes indemnités à des prostituées pour éviter un procès, tandis que d’autres femmes portaient plainte pour viol. On l’entendit proférer des insultes ignobles contre son adversaire démocrate, et contre les plus hauts responsables européens. La chancelière allemande, ou le président français. Et professer un mépris avoué pour ses alliés européens. On le vit bras dessus bras dessous avec le dictateur nord-coréen, et proprement roulé dans la farine par celui-ci. Puis soutenir le régime de son “ami” Poutine. On le vit ériger les fake news les plus invraisemblables en “vérités alternatives”. Ordonner, puis décommander à la dernière seconde, des frappes de missiles contre des sites culturels iraniens inscrits au patrimoine mondial. Nier tout à trac la dangerosité du Covid et l’existence d’un réchauffement climatique. Retirer l’Amérique des accords internationaux signés avec l’Iran, des accords de paris sur le climat, et de l’UNESCO…

 

Rien, cependant, ne pouvait révéler autant la profondeur du recul démocratique des États-Unis, et la dégradation de leur influence sur le monde, que les dernières élections présidentielles et leurs conséquences. Après 4 années de scandales, de provocations, de palinodies, de mensonges, on put constater que la moitié des citoyens américains continuaient à soutenir fanatiquement, dans un culte aveugle de la personnalité, que n’auraient renié ni Staline, ni Mao, un président qui avait réussi à dresser l’une contre l’autre deux moitiés, désormais ennemies, de l’Amérique et à défigurer son image démocratique. On vit un ex-président des États-Unis battu aux élections, gracier ses acolytes condamnés par la justice, tenter frauduleusement d’inverser les résultats du scrutin, nier opiniâtrement sa défaite, mettre en accusation le système électoral américain, la presse américaine, la justice américaine, y compris les juges de la Cour suprême qu’il avait lui-même désignés, et, finalement, lancer contre le Capitole, contre les élus de la nation américaine, des troupes d’émeutiers décidés à casser, à piller et à tuer s’ils le pouvaient.

 

Mais le plus inquiétant est que Donald Trump n’est pas la maladie. Il n’en est que le symptôme. Le mal profond réside dans cette moitié de l’Amérique qui se reconnait parfaitement dans ce président. Et, qui s’apprête peut-être à le réélire, ou son clone.

 

L’image des États-Unis : racisme, tueries de masse, violence, drogue, inégalités criantes, misère, haines politiques, élections contestées, président irresponsable, haines politiques irréconciliables… constitue désormais un repoussoir plus qu’un modèle. Où est passé le “rêve américain” ? Quel est ce “modèle”, demandent les “pays du Sud”, qui, chez lui, ne réussit ni à établir la sécurité, ni la justice, ni les droits de l’homme pour les noirs, les hispaniques, les minorités ? Où les femmes n’ont plus le droit à l’IVG. Qui se détruit par la drogue, multiplie les sectes, et où près de 18% de la population croit encore que la terre est plate ? Quel humanisme, offre-t-il aux Africains, aux Asiatiques, aux Musulmans, aux Sud-américains …?

 

3 – Le développement inégalitaire des pays du monde.

 

Charte de l’Atlantique : « Cinquièmement, (les Nations Unies) désirent faire en sorte que se réalise, dans le domaine économique, la plus entière collaboration entre toutes les nations, afin d’assurer à toutes de meilleures conditions de travail, le progrès économique et la sécurité sociale. »

 

Pour atteindre cet objectif, deux institutions internationales ont été créées, qui sont au cœur des critiques portées par les BRICS : la Banque mondiale et le FMI. La fonction de la Banque mondiale est de réduire la pauvreté et les inégalités entre pays, en favorisant le développement de ceux qui sont le plus en difficulté. Tandis que celle du FMI consiste à veiller à la stabilité du système monétaire international, dominé par le dollar, en imposant des conditions draconiennes à son aide financière.

 

Le contrôle exclusif de ces institutions par les Occidentaux est souligné par la règle d’attribution des présidences. Celle de la Banque mondiale, depuis 1946 a toujours, sans aucune exception, été attribuée à un Américain. Actuellement : M. Ajaypal Singh Banga, économiste et homme d’affaires américain d’origine indienne. Celle du FMI, toujours dévolue à des Européens, sauf deux brefs intérims assumés par des Américains. Actuellement, Mme Kristalina Ivanova Georgieva, économiste et femme politique bulgare.

 

Cette domination est encore accentuée par le poids des Occidentaux dans les droits de vote, accordés en fonction du montant de la contribution de chaque pays. Sans surprise, sur 190 pays membres, les ‘’pays à faible revenu’’ ne disposent que de 5,9% des votes, tandis que 11 pays riches en capitalisent 55,2%. Parmi ceux-ci, sur ces 55,2%, 49,68% sont détenus par les pays occidentaux plus le Japon. (Données Banque de France).

 

Enfin, la critique porte sur le poids exorbitant du dollar dans l’économie mondiale depuis Bretton woods. En effet, en 2021, les Etats-Unis ne représentaient en valeur que 8,1% du commerce international et 15,7% du PIB mondial contre respectivement 15% et 18,6% pour la Chine. Or, le dollar reste la monnaie de transaction et de réserve dominante dans le monde. 88% de toutes les transactions de change sont effectuées en dollars, 31% en euros, 17% en yens et 14% en livres britanniques. Le Yuan chinois n’en représente que 7%.

 

Cette emprise monétaire permet aux États-Unis d’imposer au reste du monde l’extraterritorialité des lois américaines. Ils peuvent ainsi, à leur gré, décider sanctions et embargo à l’encontre de qui leur déplait, et les imposer au reste du monde, si les transactions sont libellées en dollars.

 

Cette domination occidentale sur les institutions internationales a-t-elle permis d’atteindre les objectifs de développement équilibré du monde, en particulier des pays pauvres, et de réduire les inégalités ?

 

Les BRICS admettent qu’elles ont, contribué au développement économique global. Le revenu national mondial par habitant passant, par exemple, de 692 $ en 1970 à 8742 $ en 2020.

 

Mais ils notent que ce revenu, compte tenu du différentiel entre croissance économique et démographique, est en net recul depuis 2011, où il atteignait 9595 $. Surtout, ils soulignent que ce développement global n’a pas réduit les inégalités criantes entre pays, voire entre continents. Au contraire, qu’il s’est fait, au bénéfice des pays riches, et au détriment des ‘’pays du Sud’’. Ainsi, quand, selon la Banque mondiale, en 2020, l’Amérique du Nord bénéficie d’un revenu par habitant de 51456 $, en Afrique sub-saharienne, on n’en compte que 1214 $. Les Américains 42 fois plus riches que les Africains. Quand l’Union Européenne affiche 27731 $ par habitant, l’Asie du Sud n’en compte que 1608. 17 fois moins. Si l’on adopte des critères qualitatifs, qui prennent en compte la santé, la longévité, le niveau d’éducation, le niveau de vie, en parité de pouvoir d’achat, comme l’IDH, indice de développement humain, on trouve, sur 195 pays, la Norvège au deuxième rang, l’Allemagne au 9°, les États-Unis au 21°, la France au 28°, mais la Chine au 79° rang, l’Inde au 132° et l’Éthiopie au 175° rang. Selon l’ONU, 800 millions d’humains souffrent de la faim en 2023.

 

Il apparait donc à beaucoup de ‘’ pays du Sud’’ que cet ordre du monde occidental, n’a pas rempli ses objectifs. Au contraire, a accentué les inégalités, au bénéfice des pays riches.

 

Il faut noter que les BRICS ne sont pas les seuls à dénoncer cette dérive. Joseph Stieglitz, prix Nobel d’économie 2001, Jean Tirole, prix Nobel 2014, ou Thomas Piketty, accusent également le FMI et la BM de servir principalement les intérêts des marchés financiers et des pays industrialisés avancés, en particulier les États-Unis.

 

4 – Les défis planétaires du XXI° siècle :

 

Le premier d’entre-eux, bien sûr, est le changement climatique qui menace toute l’humanité. Aux yeux des “pays du Sud” non seulement les Occidentaux ne savent pas le freiner, et font très peu pour ça. Mais ce sont eux qui l’ont déclenché, depuis la révolution industrielle, et qui continuent à l’entretenir avec leur mode de vie, fondé sur l’hyperproduction et l’hyper consommation matérielle. Une civilisation du toujours plus, du carbone, de l’obsolescence programmée, du gaspillage et des déchets. Que les Occidentaux ne manifestent, en pratique, aucune intention d’abandonner.

 

Les “pays du Sud” font observer qu’ils sont victimes d’une double injustice. Alors qu’ils ne sont pas historiquement responsables du changement climatique, ils en sont les premières victimes. Et, au moment où, enfin, ils auraient, eux-aussi, la possibilité d’accéder à la modernité, les pays qui en ont eu jusqu’ici le privilège, leur demandent, au nom de “la solidarité”, d’y renoncer. Ils font observer que, pour suivre le modèle économique américain, il faudrait 5 planètes Terre. Et pour le modèle européen, il en faudrait 3. Ils estiment donc que ce modèle occidental n’est plus viable. Pourquoi, dès lors, leur modèle politique, la démocratie libérale, serait-il plus valide ?

 

Un autre grand problème du XXI° siècle, qui concerne au premier chef les “pays du Sud”, est l’explosion démographique. Il se conjugue avec le précédent.

 

« Au cours de ce siècle, le monde va être confronté aux effets de la plus grande explosion démographique de l’histoire de l’humanité. Si des mesures ne sont pas prises dès maintenant, des milliards de personnes dans le monde vont devoir affronter la soif, la faim, l’insalubrité et les conflits en raison des sécheresses, des pénuries alimentaires, de la misère urbaine, des migrations et de l’épuisement de plus en plus marqué des ressources naturelles… D’après les projections, le changement climatique pourrait faire jusqu’à un milliard de déplacés au cours des 40 années à venir, par suite de l’intensification des catastrophes naturelles, de la sécheresse, de l’élévation du niveau des mers, et des conflits liés à la raréfaction des ressources. Les vastes migrations en provenance des zones touchées, qui placeront une pression plus grande encore sur les régions du globe qui se caractériseront par un climat tempéré, risquent de provoquer des problèmes sécuritaires importants dans les pays plus privilégiés. » Qui met ainsi en relation explosion démographique, développement, changement climatique, migrations et guerres ? Les BRICS, trop alarmistes ? Non ! L’OTAN, cette coalition militaire destinée à la défense de l’Europe et des États-Unis, dans sa “revue” du 14 février 2011. C’est tout dire.

 

Or, une fois de plus, les “pays du Sud” constatent que les Occidentaux, globalement en décroissance démographique, n’ont pas mis en place, depuis 1945, les Institutions internationales capables de faire face à ces défis. Qu’ils n’y répondent que par la fermeture de leurs frontières et, comme le prouve l’analyse de l’OTAN, par une inquiétante tentation, faute de pouvoir y remédier, de régler le problème par les armes.

 

Devant cette montée prévisible des conflits, parmi 10 ou 11 milliards d’humains à venir, pour préserver l’ordre social, résister aux révoltes, aux migrations de masse, de plus en plus, se fait jour parmi les ‘’pays du Sud’’ l’idée qu’il vaudrait peut-être mieux des régimes politiques forts, autoritaires, contrôlant étroitement leur population, qu’une démocratie libérale. Or, la Chine, justement adopte un modèle de ‘’société de moyenne aisance’’, rigoureusement contrôlée par un État-parti, tout en continuant à procurer modernisation et progrès à un milliard et demi de Chinois.

 

5 – L’émergence d’un contre-modèle

 

Quand, en 1989, s’écroule le mur de Berlin, et, en 1991, implose l’URSS, l’Occident exulte. L’adversaire idéologique des démocraties libérales disparait, leur laissant un champ complètement libre. Au point que certains croient pouvoir prédire la fin de l’histoire. Et, puisque la question politique est réglée, l’universalisation de la démocratie, croit-on, n’est plus désormais qu’une question de temps. Il convient donc de commencer par organiser économiquement l’empire mondial. Les Américains promeuvent alors, naturellement, la globalisation : la fin des frontières et des économies nationales, l’acceptation universelle de l’économie de marché et du libre commerce international. En un mot,l’expansion du système capitaliste à l’échelle globale. Les thuriféraires de la nouvelle doxa n’hésitent pas à vanter ce nouvel universalisme, économique, comme “la mondialisation heureuse”.

 

Bien rares sont alors ceux, derrière les réactions violentes des alter-mondialistes, qui perçoivent, que cette volonté de globalisation va tout au contraire refermer une longue parenthèse historique. Celle de la domination à la fois économique, technologique et militaire de l’Occident, et initier une désoccidentalisation relative du monde. Car, avec l’apparition d’un contre-modèle capable de coaliser autour de lui toutes les oppositions et les frustrations, cette stratégie américaine d’hégémonie économique, va déclencher une puissante réaction et l’exigence d’un rééquilibrage au profit des pays émergents. Et, même au sein des sociétés occidentales, la contestation d’un modèle de développement désormais incompatible avec les ressources énergétiques en voie d’extinction et les conséquences du réchauffement climatique.

 

Ce contre-modèle, fédérateur, c’est la Chine qui va l’incarner.

 

De 1949 à 1976, la double utopie de la socialisation forcée des moyens de production et d’échange, et de la révolution permanente, imaginée par Mao Zedong, a conduit la République Populaire de Chine de catastrophes en tragédies. Un million de morts pour la terreur rouge de 1951. De 20 à 30 millions pour le grand bond en avant, de 58 à 62. Plusieurs millions lors de la Révolution culturelle.

 

En 1976, à la mort de Mao, la RPC est un pays fermé, quasi autarcique, dont la croissance est négative : – 3,4%. Le PIB par habitant, de 163 $, quand il est de 864 $ pour la Corée du Sud, et de 5111 $ pour le Japon. Les 18% de la population urbaine s’entassent dans 3,6m2 habitables par personne. Dans les campagnes, 237 millions de paysans survivent au-dessous du seuil officiel de pauvreté, avec moins de 2000 calories/jour. L’agriculture emploie 71% de la main-d’œuvre, et ne crée que 31% du PIB. Un Chinois sur 3 est illettré. En 1978, la valeur totale des importations et exportations chinoises n’est que de 20,6 milliards de dollars : la Chine occupe seulement le 32e rang dans les échanges internationaux, et représente moins de 1 % du commerce mondial, alors que sa population est proche du milliard d’habitants.

 

Pas de quoi inquiéter l’Occident, ni susciter des vocations.

 

En 50 ans, tandis que disparait l’URSS, la RPC, convertie à l’initiative privée et à ‘’l’économie socialiste de marché’’, devient la deuxième puissance mondiale, et un acteur majeur des relations internationales, intégrée dans un système-monde qu’elle influence et investit. Cette formidable transformation, à elle seule, aurait de quoi inciter les pays dits “émergents” ou “du Sud”, à considérer le développement chinois comme un modèle alternatif.

 

Cependant, la Chine, consciente des fautes commises par l’URSS, prend soin de ne PAS s’ériger en modèle. Mais en contre-modèle.

 

Les États-Unis proclament-ils leur volonté d’établir partout la démocratie, en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Iran, au Panama… et de sanctionner les pays de “l’axe du mal” ? Justifient-ils leurs coups d’État ou leurs interventions militaires par le “Nation building” ? La Chine s’abstient totalement d’un tel messianisme.

 

Elle ne fait rien pour convertir ses partenaires au “socialisme à caractéristiques chinoises”. Elle ne développe nulle part à l’étranger des “Partis communistes” contrôlés par Pékin, comme le fit Moscou. Elle développe ses relations, sans ingérence, avec les régimes tels qu’ils sont. Avec les grandes démocraties Sud-américaines, les dictatures africaines, les théocraties, iranienne ou arabe, la démocrature ethno-nationaliste indienne, les monarchies du Golfe… dont absolument aucune n’a la moindre velléité de se convertir au communisme chinois. Si la Chine développe partout des lobbys, elle ne soutient nulle part des “contras”, des oppositions armées, ou politiques, destinées à changer de régime. Elle n’aura aucun scrupule à hacker les entreprises américaines, mais se gardera d’intervenir dans les élections comme le fait Moscou.

 

Les Occidentaux constituent-ils des alliances militaires, OTAN, AUKUS, et interviennent-ils militairement constamment partout dans le monde ? La Chine refuse toute alliance, toute appartenance à un bloc militaire. Et, sauf des incidents ponctuels limités à ses frontières, évite autant que possible des opérations de guerre. Depuis celle de Corée, quand le Yalu a été franchi par les Américains, elle s’est abstenue de participer à aucune guerre extérieure menée par une coalition. Même le problème géo-stratégique absolument vital que constitue pour la Chine l’impossibilité d’accéder librement à la haute mer par des détroits dont elle ne contrôle aucun, et de sécuriser ses lignes d’approvisionnement maritimes, est, jusqu’ici, traité d’une autre manière : la stratégie, pacifique, du “collier de perles”.

 

Aux modèles successifs américains de “l’offsetting“, de “l’Air Sea Battle“, du “Shock and awe“… fondés sur l’affrontement militaire, la RPC oppose un concept radicalement différent, celui de “la guerre hors limites” : «Le meilleur moyen de remporter la victoire, c’est de contrôler et non de tuer. » Un modèle qui abolit toute différence entre civil et militaire, et substitue le premier au second. Qui remplace le concept de “guerre”, par celui “d’affrontement de puissance”. Où les domaines de l’information, la technologie, l’économie, le cyber, l’I.A., la monnaie, l’écologie… prennent la place des champs de bataille. Une confrontation de puissance dans laquelle, par exemple, le développement des “routes de la soie”, la Belt and Road Initiative, peut causer plus de dégâts stratégiques aux Occidentaux, en Afrique, en Amérique latine, que la création de guérillas révolutionnaires, les milices Wagner ou une projection de forces. En restant toujours soigneusement en-dessous ou en-dehors du seuil militaire.

 

On peut constater, actuellement, le succès de cette stratégie, en Afrique noire francophone, où, au lieu de positionner des troupes, comme le font Américains et Français, la Chine offre de généreux crédits aux États émergents, pour des infrastructures construites par des techniciens chinois. Outre les accès aux terres arables, aux matières premières, ou la possession de hubs, dont elle bénéficie en retour, cet endettement volontaire, excessif, place insidieusement ces États sous la domination chinoise. Les troupes françaises, américaines, ou mercenaires de Wagner sont conspuées par les populations maliennes, soudanaises, nigériennes, gabonaises… qui exigent leur départ. Pas un mot, ni une manifestation contre les techniciens et entrepreneurs chinois. La stratégie de l’eau, contre celle du feu.

 

Les Américains, focalisés sur 20 ans de guerre au Vietnam, 20 ans de guerre en Afghanistan, 30 ans en Irak… devenus complètement imprévisibles pour leurs alliés, désertent-ils l’Afrique, l’Amérique latine ? Devenus exportateurs de pétrole et de gaz, cessent-ils d’importer du Moyen-Orient arabe ? Empêchent-ils les Européens et les Japonais, par leurs embargos de tout commerce avec l’Iran, la Russie ou Cuba ? Silencieusement, sans faire de vagues, les Chinois prennent leur place avec la B.R.I. Pendant 70 ans, Washington a-t-il soigneusement attisé le conflit pluriséculaire entre l’Arabie Saoudite, sunnite, et l’Iran chiite ? La diplomatie chinoise les réconcilie. La guerre hors limites ; l’eau contre le feu.

 

Conclusion :

 

Si l’on peut fortement douter que cette coalition disparate puisse proposer, encore moins imposer, un nouvel ordre mondial, la pertinence et le retentissement de ses critiques à l’encontre de celui échafaudé par les Occidentaux après 1945, rendent nécessaires de profondes mutations. Faute de réformes – Conseil de Sécurité, gouvernance mondiale, FMI, Banque mondiale, OMC, rôle du dollar… – la contestation, ce que certains appellent la “désoccidentalisation”, fera tache d’huile parmi les pays dits “du Sud”. Singulièrement en Afrique, en Amérique latine, et dans l’Indo-Pacifique. Au bénéfice de la Chine, qui tire les ficelles.

 

Rien de cette réorganisation du monde ne va se passer sans douleur, ni sans sacrifices pour les pays riches, privilégiés durant 5 siècles par leur domination, technologique et militaire du monde. L’émergence rapide, que l’on observe en Europe et aux États-Unis, des forces traditionalistes, nationalistes, autoritaires, voire suprémacistes, constitue un symptôme de cette angoisse du changement radical qui s’annonce et qu’elles refusent farouchement.

 

Mais plus on resterait obstinément sourds aux exigences de mutation qui montent, avec une violence accrue de l’intérieur des sociétés occidentales ; et avec une conflictualité encore heureusement limitée de l’extérieur, plus les risques d’explosion du système, ou de perte chaotique de contrôle, seront élevés. Et, comme toujours, le prix humain à payer, finalement.

 

Depuis au moins mille quatre cents ans, religions et idéologies politiques concevaient un monde global qui serait régi par la confrontation entre universalismes rivaux : dont la trop fameuse théorie du ‘’clash des civilisations’’ est un exemple. Peut-être, devant la montée des périls globaux, la solution collective devrait-elle s’orienter vers un monde pluriel, riche d’une diversité inclusive et coopérative. A laquelle un Occident, fidèle à ses valeurs et à ses principes, mais tolérant, pacifique et relativiste, peut encore apporter beaucoup.

 

Jean Charles Diplodas

 

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Conseils de lecture de Jean-Charles Diplodas :

 

1- « La guerre hors limites » de Qiao Liang et Wang Xiangsui. Collection Rivages Poche. Un ouvrage suscité par l’APL, et qui expose la posture stratégique chinoise. Lu et pris en compte par toutes les chancelleries et toutes les écoles de guerre dans le monde. Une remise en cause révolutionnaire des concepts de ‘’paix’’ et de ’’guerre’’, ‘’civil’’ et ‘’militaire’’. La réplique à la RMA occidentale.

 

2 – « L’Aigle, le Dragon, et la crise planétaire » de Jean-Michel Valentin, aux éditions du Seuil. Un ouvrage qui, loin de les opposer, montre l’étroite interdépendance qui unit la Chine et les États-Unis, la « Chinamérique », et leur responsabilité conjointe dans l’aggravation constante du changement climatique, toutes ses conséquences, et les risques majeurs qu’elle fait courir.

2 Commentaires

  1. J’ai l’impression d’avoir lu un long plaidoyer pour les pays non démocratiques et à tout le moins “illibéraux” pour employer une expression qui atténuerait les critiques. Ces modèles exercent, il est vrai, une véritable fascination que les termes de sud-global et de dé-occidentalisation semblent mobiliser. C’est vrai qu’ils sont tellement plus efficaces avec un parti unique, des élections truquées, des inégalités abyssales (mais bien inférieures à celles des USA), une corruption sans limites et une répression féroce des libertés individuelles. Des caractéristiques communes à tous ces pays dont la situation trouverait son origine dans un occident, le mal absolu, qui serait à l’origine et seul responsable de leur situation. Ai-je bien lu le texte et le sous texte ? Persécuté par le régime dictatorial sévissant actuellement en France, devant déposer une demande d’asile, j’hésite entre la Chine, La Russie, la Corée du Nord, l’Iran, L’Éthiopie, l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats Arabes Unis, la Turquie, le Burkina-Fasso, le Mali, la Guinée, le Niger… Merci pour les conseils…

  2. Belle finale : “…Peut-être, devant la montée des périls globaux, la solution collective devrait-elle s’orienter vers un monde pluriel, riche d’une diversité inclusive et coopérative. A laquelle un Occident, fidèle à ses valeurs et à ses principes, mais tolérant, pacifique et relativiste, peut encore apporter beaucoup…” Perso, j’espère cela !

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