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GAVROCHE – ROMAN : «Hashtag Singapour», épisode 3: La terrasse du Fullerton Hotel

Journaliste : Alain Guilldou
La source : Éditions Gope
Date de publication : 23/01/2022
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Fullerton Hotel Singapour

 

Vous adorez Singapour. Tant mieux ! Ce roman feuilleton est fait pour vous grâce aux éditions Gope. Hashtag Singapour est une nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de C’est arrivé à Singapour (éditions Gope, 2022).  Dans cet épisode, le héros, Monsieur Tong va peut être trouver les réponses à ses interrogations dans l’épisode précédent :  Ses partitions de musique semblaient avoir fondu, des hashtags sont répandus sur la moquette, à moins que ce ne soit des dièses. Quelques semaines plus tôt, sa belle demeure a subi des intempéries dommageables. Tout semble soudain se liguer mystérieusement contre lui.

 

L’AUTEUR

 

Après une carrière d’enseignant, Alain Guilldou a été responsable de la communication du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses (BEA), ce qui l’a amené à tisser des liens avec de nombreux pays du monde, en particulier ceux d’Extrême-Orient. Il continue d’enseigner à Singapour, la ville-État qui lui a inspiré plusieurs nouvelles dont celle-ci.

 

L’INTRIGUE

 

M. Tong, violoniste mondialement admiré, est très attaché à son Stradivarius et à sa belle demeure de Singapour. Lors de ses tournées dans différents pays, Mme Tong en profite pour retrouver sa passion de jeunesse : chanter les Beatles dans un cabaret démodé. La tension latente dans le couple prend un tournant dramatique lorsque Mme Tong apprend le comportement inadmissible de son mari auprès de certaines femmes. Elle décide de lui donner une leçon d’une façon très personnelle précisément au moment où il est victime d’événements pour le moins inexplicables et qui risquent de lui faire perdre la raison. Mais qu’est-ce que la raison dans cette histoire ?

 

ÉPISODE 3 : UN COUPLE EN DÉSUNION

 

Autrefois, un certain nombre de domestiques arpentaient les pièces de la vaste propriété du matin au soir, mais M. Tong ne supportait pas que des étrangers se sentent comme chez eux, selon sa façon de voir les choses. Il préférait louer du personnel en nombre quand il recevait des amis, un mot pour lequel il avait une définition peu académique. Il préférait de loin le débarquement épisodique d’un bataillon de jardiniers à la présence quotidienne de deux trois « coupeurs d’herbe nonchalants ».

 

Hors de question d’entendre en permanence des duels de casseroles, des rires intempestifs ou des frotti-frotta entre domestiques à l’heure de la sieste. Deux femmes de ménage venaient le mercredi, l’une, « dame liquette », en charge du linge à laver, à étendre et à repasser dans la buanderie du sous-sol, ou à emporter au pressing ; l’autre, « dame plumeau », passait la journée à balayer les feuilles dont la véranda semblait particulièrement friande, courait après les blattes avec sa bombe antinuisibles et piégeait poussières et petits lézards dans un brouhaha d’aspirateur Dyson. Seule une cuisinière avait l’insigne honneur, chaque matin, de venir parfumer la demeure avec des plats épicés et des salades de fruits dont elle avait le secret. Elle se chargeait aussi de passer les commandes aux fournisseurs, qui livraient à domicile.

 

Ce mode de vie convenait à M. Tong, souvent absent, et à son épouse qui passait le plus clair de son temps à s’occuper d’elle-même et à donner libre cours à sa passion pour le chant. Les heures qu’il lui restaient, elle les partageait avec sa fille, selon l’humeur de cette dernière, avec des copines au téléphone ou à la terrasse du Fullerton Hotel. Devant elles, Katherine Tong n’évoquait qu’à demi-mot sa vie privée, son statut social, envié par toutes, n’étant pas censé laisser place à la moindre pleurnicherie. Si elle sentait qu’une larme risquait de délaver son maquillage, elle se levait brusquement et entraînait son amie du jour de l’autre côté du Cavanagh Bridge, devant l’hôtel, pour visiter une exposition temporaire proposée par l’Asian Civilisations Museum.

 

Pour sa part, aussi perdue que dans un dédale mythologique, Cheryl déambulait dans cet univers tel un papillon désinvolte à peine dégagé de son cocon.

 

Et voilà qu’une tempête d’une rare violence s’en était prise à la propriété de M. Tong, emportant une partie de la toiture sur la cime des arbres des voisins !
Que la tempête ait emporté une cinquantaine d’autres toitures et fait plusieurs « disparus », il pouvait l’entendre sans sourciller. Mais qu’elle se soit attaquée à LUI, à la manière d’une maladie qui hante un corps pourtant dûment vacciné, c’était trop. Bien entendu, il avait assailli sa compagnie d’assurances d’injonctions et de menaces de mauvaise publicité sur les réseaux sociaux si elle ne se démenait pas suffisamment vite pour établir le constat des dégâts et faire intervenir des charpentiers patentés. Dans un premier temps, il fallut bâcher le haut de la maison pour éviter que les pluies, fréquentes en cette partie de l’année, ne viennent endommager tentures et mobilier.

 

Un événement atmosphérique

 

Ruminant son indignation d’être la victime d’un événement atmosphérique comme le premier venu, il se sentait comme un œuf de crocodile écrasé par le gourdin d’un homme de Néandertal. Qu’allait-il en être de sa carrière ? N’allait-il pas attirer les catastrophes où qu’il aille ? Le Metropolitan de New York allait-il s’effondrer dans les flammes ? L’opéra de Sydney disparaîtrait-il sous les rouleaux meurtriers d’un tsunami ? La Fenice allait-elle s’enfoncer avec Venise dès qu’il y remettrait les pieds ?

 

Sans doute pas, mais il n’était pas au bout de la piste noire qui paraissait l’emporter irrésistiblement vers une forêt de sapins dressés en une clôture infranchissable.
Là-haut, dans la chambre de Cheryl, retentirent soudain des basses qui ébranlèrent la vieille demeure avec la régularité imperturbable d’un hortator de galère romaine.

 

— Putain, Cheryl, arrête ça ! hurla M. Tong dont l’énervement vibrait à l’unisson avec le CD que sa fille avait lancé.

 

Depuis longtemps, Katherine Tong ne prêtait plus attention au ton cinglant de son mari. Toute autre mère serait montée à l’étage pour exiger moins de décibels, toutefois, elle conservait une vraie nostalgie de l’époque où elle chantait dans des bars enfumés et bruyants. Elle y avait appris incidemment à être une mère compréhensive, parfois compatissante.

 

Bas résille et robe rouge

 

Son mariage l’avait contrainte à troquer ses bas résille et sa robe rouge longuement fendue contre des tenues strictes, traditionnelles ou européennes, et à remplacer ses fards bon marché par des produits de beauté made in France. La vulgarité discrète de son jeune visage s’était estompée avec l’âge au profit de ridules qui se coalisaient pour lui conférer un certain charme. D’elle-même, elle n’aurait peut-être pas teint ses cheveux, considérant que le blanc n’était au fond que la couleur du deuil à venir, mais son mari et sa vie sociale lui imposaient de se conformer à des codes qu’elle avait appris sur le tard et qui lui pesaient comme un fer à repasser sur le dos d’une coccinelle.

 

Vêtue d’une robe de soie vert acide, imprimée d’une guirlande de myosotis roses, Mme Tong contemplait avec mélancolie un paysage aussi artificiel que sa vie. A quelques mètres devant elle, la véranda donnait sur le massif composé d’arbres et d’arbustes tropicaux qui bloquaient complètement la vue. C’est à sa droite qu’apparaissaient les voitures pour lesquelles le portail avait été ouvert. A gauche, s’ouvrait une bifurcation qui permettait de repartir vers l’entrée ou d’aboutir au vaste garage qui abritait sa Mini Countryman bleu marine et la Mercedes Classe E coupé rouge de son mari. Le long du mur du garage, deux vélos électriques noirs, dont celui de Cheryl.

 

Poussant la voix pour dominer les basses qui donnaient à la demeure un avant-goût de tremblement de terre, M. Tong s’énerva :
— Alors, tu viens ?

 

A suivre…
Hashtag Singapour est une nouvelle d’Alain Guilldou auteur, entre autres, de C’est arrivé à Singapour, un recueil de nouvelles publiées aux éditions Gope.

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