Rien de tel, en cette période de pandémie, que de se replonger dans les livres et la littérature. Et personne ne sait mieux faire cela que notre ami François Doré, de la librairie du Siam et des colonies à Bangkok. Le revoici sur les traces de l’aventure indochinoise Leuba. Après un séjour de deux ans à Hanoï quand son époux Henri était patron de l’EFEO, un court retour en France en 1920, puis un nouveau départ, cette fois-ci vers le Cambodge…
Une chronique de François Doré, de la librairie du Siam et des Colonies
Jeanne Leuba restera plus de quarante ans au Cambodge. Une passion pour ce petit pays, son peuple attachant et ses merveilles de pierres, à une époque où l’une après l’autre, les grandes ruines oubliées, émergeaient de leur sauvage écrin, pour renaître aux yeux émerveillés des archéologues.
Jeanne en sera de tous les instants, toujours auprès de son mari. Elle trouvera cependant le temps d’écrire et l’on peut découvrir plus de 100 nouvelles signées par elle à travers la presse métropolitaine ou indochinoise entre 1920 et 1934.
Retrouvons à travers son unique roman cambodgien, sans doute les plus belles pages qui ont été écrites sur la beauté du Cambodge.
Il fut un temps heureux de la littérature, où la langue pouvait être œuvre d’art.
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Pauvre Espinouse ! Pourtant, que la vie était belle au fond de ces mystérieuses forêts du Kulen ! Comment avez-vous pu y trouver une fin si lamentable ?
Encore cette lumière, toujours présente dans l’œuvre de Jeanne Leuba, mais cette fois-ci c’est celle de la ‘brevis lux’ de Catulle, cette lumière si brève de la vie qui s’éteindra pour chacun de nous un soir, pour toujours, alors que celle du jour, elle, renaîtra chaque matin.
C’est toujours aux côtés de son archéologue de mari, qu’après l’art cham de l’Annam, la romancière va découvrir les beautés de l’art khmer au Cambodge, où elle va vivre pendant près de quarante ans.
Son unique roman cambodgien, ‘La Brève Lumière’, paraîtra en 1930.
Encore une histoire à plusieurs niveaux, mais où les splendeurs de la forêt cambodgienne et des paysages étranges du Kulen, ‘les sombres falaises sculptées d’idoles géantes, percées d’antres érémitiques et de ces bêtes de pierre énormes sous le couvert noir de la tragique forêt’, font oublier au pauvre héros les noirceurs de la vie humaine.
Une existence sans contraintes
Agent forestier, Espinouse y vit une existence sans contraintes, accompagné de Bill, son fidèle Bleu d’Auvergne, Oublié de son administration depuis cinq ans, il vit dans un pauvre campement, entouré de ses gardes, où il retrouve sa compagne Pên, ‘une rude cambodgienne bien plantée, avec l’air garçonnier qu’elles ont dans cette race. Quelques années de la vie molle et goulue des concubines d’Européens en avaient fait une épaisse goton…’.
Son seul souci, est la présence mystérieuse de ceux qu’on appelle ‘les hommes du Kulen’. Voleurs des plus beaux arbres, pilleurs des temples oubliés, ils terrorisent tous les pauvres Cambodgiens de la région. Et de plus, certains disent qu’ils obéissent à un Roi
Blanc ?…
Modeste solde
Enfin arrive le jour où Espinouse, après avoir économisé jour après jour sur sa modeste solde, peut enfin demander son congé pour pouvoir retourner en France.
Après de déchirants adieux avec son personnel et son chien Bill, notre héros prend la route pour Siem Reap puis le bateau pour Phnom Penh. Il descend au Grand Hôtel, sur les quais de la grande ville et retrouve quelques amis pour goûter avec délice le retour aux plaisirs oubliés d’une vie mondaine.
Alors qu’il s’installe à l’hôtel, il remarque sur le mur une affiche : ‘Tournée DEBRIANT’. Les meilleurs artistes de Paris avec la belle Conchita Romanès, dans ses chansons espagnoles et ses danses en costume’. Tout alors va basculer pour Espinouse, à partir du moment où pétrifié, il va regarder l’éblouissante espagnole d’opérette entrer en scène…
Un mari aimant
Encore une fois, pour Jeanne Leuba, le bonheur auquel une jeune femme pourrait espérer auprès d’un mari aimant, va s’évanouir, ‘tel cette fleur au bord du chemin, que je voulais et que je n’ai pas eue…’. C’est l’épigraphe du dernier roman de l’écrivain, ‘Ecumes..’, publié en 1943 à Saïgon. L’histoire nous plonge dans l’univers du Music Hall parisien, dont la belle Anne Helderest la vedette adulée et courtisée.
Mais là encore, Mme Leuba va mettre en scène des femmes trop sensibles, complètement désarmées devant la veulerie et la lâcheté de ces hommes, qui avec ‘leurs instincts de chats, vous câlinent sans vous aimer, se frottent à vous comme un matou à un bâton de chaise et vous laissent tomber le jour où vous attendez un enfant’…
Comme ces mêmes Écumes, que l’on voit flotter , pleines de détritus le long du quai et au contraire, gracieuses de beauté en pleine mer, la jolie danseuse découvrira dans la souffrance, la réalité de celui qu’elle aime, qui à lui seul, aura su tromper les quatre héroïnes du roman…
François Doré..
Librairie du Siam et des Colonies