Home Histoire et Patrimoine INDOCHINE – ÉCRIVAINS: Jeanne Leuba, le mal être d’une occidentale à l’ère coloniale

INDOCHINE – ÉCRIVAINS: Jeanne Leuba, le mal être d’une occidentale à l’ère coloniale

Journaliste : François Doré
La source : Gavroche
Date de publication : 03/04/2021
0

Notre chroniqueur François Doré, animateur de la formidable Librairie du Siam et des colonies à Bangkok, a l’art de nous faire découvrir des auteurs passionnants de l’époque coloniale. Plus qu’un voyage dans le temps, une épopée littéraire et humaine. Il revient avec cette chronique sur la romancière Jeanne Leuba.

 

Une chronique de François Doré, librairie du Siam et des colonies

 

Quelle est cette Aile de Feu ? Est-ce ‘cet appel magnétique des pays perdus au fond des voyageurs ou bien le tourment de partir pour qui n’est pas resté ?’ C’est sur ce point d’interrogation que se termine le beau roman de Jeanne Leuba, un de ses meilleurs, daté de 1920. Plus qu’une banale histoire de ménage à trois, la romancière raconte plutôt le mal d’être d’une Occidentale, partagée entre l’aventure de la vie aux Colonies et le regret de l’exil.

 

Concession agricole

 

Françoise Raucourt, la narratrice, est une très jolie jeune femme, qui a accepté de quitter sa famille et sa vie parisienne pour suivre Félix, son mari, en Indochine. Il s’est associé au séduisant baron d’Abreuil pour reprendre en mains la concession agricole en Annam, d’un vieux colon, trop usé pour la garder. Françoise va représenter, dans cette littérature indochinoise, un des plus beaux visages de la coloniale, ‘exquise, intelligente et courageuse’ pour Clotilde Chivas Baron : elle est Jeanne Leuba elle-même, incarnant le charme de la Française vraie…

 

Une fois de plus, il faudra retrouver les deux registres qui constituent l’œuvre de la romancière : d’un côté, le magistral tableau de la beauté de son Annam quotidien, celui qu’elle a parcouru en tous sens, et la vie de tout ce petit peuple qui l’entoure et pour lequel son œil, souvent critique, conserve pourtant de l’affection. Et puis il y a le côté subjectif du roman, l’histoire de la jolie Françoise, face à deux hommes, qui reconnaissons-le, n’ont pas le plus joli rôle dans cette histoire. Le mari Félix, guère sensuel, va trouver dans l’aventure indochinoise, la vie campagnarde à laquelle il avait toujours rêvé. Il se séparera petit à petit de sa femme, transformé par des plaisirs vulgaires en un paysan alcoolique…

 

Séduisant baron

 

Et puis il y a le beau, le séduisant baron Jean d’Abreuil ! Quelle déception ! Et pourtant elle avait su lui résister pendant les deux tiers du roman, avant de devenir sa maîtresse. L’amour fou ne sera pour elle qu’une suite de souffrances : le cœur du beau d’Abreuil est resté en Occident… Et, coquetterie de l’auteur archéologue, c’est au milieu de ruines khmère et cham que la pauvre Françoise apprendra les trahisons de ses deux compagnons. Mais attention, comme l’écrit si justement Pujarniscle, il ne faut pas regarder ce roman comme l’histoire d’une Bovary coloniale ! Pour lui, les héros du drame ne sont pas le mari, la femme et l’amant, mais plutôt, ‘ le soleil et la femme’. N’est-il pas, lui aussi, une Aile de Feu, le soleil implacable de ces terres de fièvre, et qui sait détruire, jour après jour, le plus gracieux des visages féminins ?

 

Phèdre émouvante

 

Malleret lui aussi voit dans le personnage si attachant de Françoise Raucourt, ‘une émouvante Phèdre, incapable de conserver une jeunesse éternelle’… Remercions Jeanne Leuba pour la beauté de son héroïne et les émouvantes splendeurs et misères de cette vraie Coloniale… ‘L’ombre Nuptiale’, est le premier roman de Jeanne Leuba, publié en 1919, au sortir de la Grande Guerre. Disons le tout de suite, il n’est pas situé en Indochine mais en France. Là encore, nous retrouvons l’ambivalence de la pensée de l’auteur : il y a d’abord l’histoire subjective, cet amour fou entre Christiane Schoerer, peintre de talent et jeune divorcée, et son amant, Jacques Chantin, illustre romancier de l’époque.

 

Faisant fi du respect des codes de la bonne société qui les entoure et des règles du mariage, ils vivent leur passion dans la liberté la plus totale. Hélas ! nous sommes en juin 1914, et le monde apprend avec stupeur l’assassinat de Sarajevo. Jacques devine déjà vers quel drame va s’engouffrer l’Histoire du monde. Il partira, comme les autres pour le front, vers son destin. Viendra alors pour Christiane, le temps de l’angoisse de l’attente. Elle n’aura plus aucune nouvelle de son amant, et les codes de la société l’empêcheront de retrouver sa trace au milieu des charniers de 1914. Et c’est là que ce situe la vision objective du roman ; un témoignage exceptionnel du Paris pendant la première année de guerre.

 

Une vue de l’arrière et du dévouement total de ces femmes sans hommes, qui comme Christiane, volontaires dans les hôpitaux, essaieront de soulager les souffrances des rescapés de la grande tuerie.

 

François Doré. Librairie du Siam et des Colonies.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Les plus lus